La protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel en vertu de l’art. 58 par. 2 RGPD

Arrêt CJUE C‑46/23 du 14 mars 2024
I. Résumés des faits pertinents
Au mois de février 2020, la Budapest Főváros IV. Kerület Újpest Önkormányzat Polgármesteri Hivatala (administration municipale d’Ujpest – 4e de Budapest-Capitale, Hongrie, ci-après : l’« administration d’Ujpest ») décide de fournir une aide financière aux résidents qui appartiennent à une catégorie de personnes fragilisées par la pandémie de COVID-19 et qui remplissent certaines conditions d’éligibilité.
À cette fin, elle s’adresse au Magyar Allamkincsar (Trésor public) et au Budapest Fovaros Kormanyhivatala IV. Kerületi Hivatala (bureau du Gouvernement de la capitale Budapest – bureau du 4e arrondissement, ci-après : le « bureau gouvernemental ») en vue d’obtenir les données à caractère personnel nécessaires pour la vérification de ces conditions d’éligibilité. Ces données comprennent notamment les données d’identification de base (nom, prénom, adresse, etc.) et les numéros de sécurité sociale des personnes physiques. Le Trésor public hongrois et le bureau gouvernemental communiquent alors les données demandées.
Aux fins du versement de l’aide financière, l’administration d’Ujpest adopte l’arrêté municipal n°16/2020, relatif à l’introduction du programme « Ujpest + Megbecsülé » (programme permettant aux citoyens bénéficiant de prestations assimilables à une pension, d’obtenir des bons d’achat à faire valoir au marché et à la halle de foire d’Ujpest), modifié et complété par l’arrêté municipal n°30/2020. Ces arrêtés contiennent des critères d’éligibilité à l’aide ainsi établie. L’administration d’Ujpest agrège les données obtenues dans une base de données conçue aux fins de la mise en œuvre de son programme d’aide et créé un identifiant ainsi qu’un code-barres spécifique pour chaque jeu de données.
II. Le problème et la procédure avant la CJUE
Alertée par un signalement, la Nemzeti Adatvédelmi és Információszabadság Hatóság (autorité nationale de la protection des données et de la liberté de l’information, Hongrie, ci-après : l’« autorité de contrôle hongroise ») a ouvert d’office, le 2 septembre 2020, une enquête relative au traitement des données à caractère personnel sur lequel reposait le programme d’aide susmentionné. Dans une décision adoptée le 22 avril 2022, cette autorité a constaté que l’administration d’Ujpest avait violé plusieurs dispositions des art. 5 RGPD et 14 RGPD ainsi que l’art. 12 par. 1 RGPD. Elle a également relevé que l’administration d’Ujpest n’avait pas informé les personnes concernées, dans le délai d’un mois, des catégories de données à caractère personnel traitées dans le cadre de ce programme, des finalités du traitement en cause, ni des modalités selon lesquelles ces personnes pouvaient exercer leurs droits à cet égard.
L’autorité de contrôle hongroise a ordonné à l’administration d’Ujpest, en vertu de l’art. 58 par. 2 let. d RGPD, d’effacer les données à caractère personnel des personnes concernées qui, selon les informations fournies par le bureau gouvernemental et le Trésor public hongrois, auraient certes eu droit à cette aide, mais ne l’auraient pas demandée. Elle a estimé que tant le Trésor public hongrois que le bureau gouvernemental avaient violé les dispositions relatives au traitement des données à caractère personnel desdites personnes. Elle a également condamné l’administration d’Ujpest et le Trésor public hongrois à payer une amende au titre de la protection des données.
Par recours administratif contentieux, introduit devant le Fovarosi Törvényszék (Cour de Budapest), juridiction de renvoi, l’administration d’Ujpest conteste la décision de l’autorité de contrôle hongroise en faisant valoir que cette dernière n’a pas le pouvoir d’ordonner l’effacement des données à caractère personnel, en vertu de l’art. 58 par. 2 let. d RGPD, en l’absence de demande présentée par la personne concernée, au sens de l’art. 17 RGPD. En s’appuyant sur un arrêt de la Cour suprême hongroise (arrêt Kfv.II.37.001/2021/6), la requérante en conclu que le droit à l’effacement, prévu à l’art. 17 RGPD, est conçu exclusivement comme un droit de la personne concernée.
À la suite d’un recours constitutionnel introduit par l’autorité de contrôle hongroise, l’Alkotmanybirosag (Cour constitutionnelle hongroise) a annulé l’arrêt susmentionné de la Kuria (Cour suprême), en jugeant que cette autorité est en droit d’ordonner d’office l’effacement des données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite, y compris en l’absence d’une demande présentée par la personne concernée. Dans son argumentation, elle s’appuie sur l’avis n°39/2021 du comité européen de la protection des données selon lequel l’art. 17 RGPD prévoit deux hypothèses d’effacement distinctes, l’une étant l’effacement à la demande de la personne concernée, l’autre consistant en une obligation autonome du responsable du traitement, de sorte que l’art. 58 par. 2 let. g RGPD devrait être considéré comme une base juridique valable aux fins de l’effacement d’office de données à caractère personnel traitées de manière illicite.
À la suite de cette dernière décision, la juridiction de renvoi continue d’éprouver des doutes en ce qui concerne l’interprétation des art. 17 RGPD et 58 par. 2 RGPD. Elle estime que le droit à l’effacement des données à caractère personnel est défini à l’art. 17 par. 1 RGPD comme un droit de la personne concernée et que cette disposition ne comprend pas deux hypothèses distinctes d’effacement.
III. Les questions préjudicielles
La juridiction de renvoi cherche à déterminer si, indépendamment de l’exercice des droits de la personne concernée, l’autorité de contrôle d’un État membre peut exiger du responsable du traitement ou du sous-traitant qu’il efface les données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite. Et si tel est le cas, sur quelle base juridique, puisque l’art. 58 par. 2 let. c RGPD prévoit expressément une demande présentée par cette personne en vue d’exercer ses droits et que l’art. 58 par. 2 let. d RGPD envisage la mise en conformité des opérations de traitement avec les dispositions dudit règlement. Pour sa part, l’art. 58 par. 2 let. g RGPD renvoie directement à l’art. 17 RGPD, dont l’application exigerait une demande explicite de la personne concernée.
Dans ces conditions, la Fovarosi Törvényszék (Cour de Budapest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions préjudicielles :
- L’art. 58 par. 2 let. c d et g RGPD doit-il être interprété en ce sens que l’autorité de contrôle d’un État membre, peut ordonner au responsable du traitement ou au sous-traitant d’effacer des données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite même en l’absence de demande explicite présentée par la personne concernée conformément à l’art. 17 par. 1 RGPD ?
- Dans le cas où il conviendrait de répondre à la première question en ce sens que l’autorité de contrôle peut ordonner au responsable du traitement ou au sous-traitant d’effacer des données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite même en l’absence de demande présentée à cet effet par la personne concernée, cela est-il indépendant du fait que les données à caractère personnel aient ou non été collectées auprès de la personne concernée ?
IV. Les réponses apportées par le CJUE
Concernant la première question, selon l’art. 58 par. 2, let. d RGPD, l’autorité de contrôle peut ordonner au responsable du traitement ou au sous-traitant de mettre les opérations de traitement en conformité avec les dispositions de ce règlement, le cas échéant, de manière spécifique et dans un délai déterminé. En outre, l’art. 58 par. 2 let. g RGPD prévoit que l’autorité de contrôle a le pouvoir d’ordonner la rectification ou l’effacement de données à caractère personnel ou la limitation du traitement en application des art. 16, 17 et 18 RGPD, ainsi que la notification de ces mesures aux destinataires auxquels les données à caractère personnel ont été divulguées en application de l’art. 17 par. 2 et de l’art. 19 RGPD.
La Cour à titre liminaire, rappelle que les dispositions pertinentes du droit de l’Union, mentionnées précédemment, doivent être lues conjointement avec l’art. 5 par. 1 RGPD, qui énonce les principes relatifs au traitement des données à caractère personnel et parmi lesquels figure notamment, celui prévoyant que les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée. Il incombe donc au responsable du traitement de démontrer qu’il respecte ces principes. Dans le cas contraire, les autorités de l’État membre sont habilitées à intervenir, conformément à leurs missions et pouvoirs, prévus aux art. 57 et 58 RGPD.
A cet égard, la Cour a déjà précisé que, lorsqu’une autorité nationale de contrôle estime, à l’issue de son enquête, que la personne concernée ne bénéficie pas d’un niveau de protection adéquat, elle est tenue, en application du droit de l’Union, de réagir de manière appropriée afin de remédier à l’insuffisance constatée, et ce indépendamment de l’origine ou de la nature de cette insuffisance. A cet effet, l’art. 58 par. 2 RGPD énumère les différentes mesures correctives que l’autorité de contrôle peut adopter. Il appartient à cette autorité de contrôle de choisir le moyen approprié.
Il est bon de préciser également que l’art. 58 par. 2 RGPD opère une distinction entre les mesures correctives qui peuvent être ordonnées d’office (let. d et g) et celles qui peuvent être adoptées qu’à la suite d’une demande présentée par la personne concernée en vue d’exercer ses droits (let. c). En ce qui concerne l’art. 17 par. 1 RGPD, une distinction est également à faire entre l’effacement des données à la demande de la personne concernée et, d’autre part, l’effacement découlant de l’existence d’une obligation autonome, pesant sur le responsable du traitement, et ce indépendamment de toute demande de la personne concernée. Rappelons également qu’en vertu de l’art. 5 par. 2 RGPD, le responsable du traitement doit s’assurer notamment, de la licéité du traitement des données qu’il effectue.
Il importe de préciser que, bien que le choix du moyen approprié et nécessaire relève de l’autorité nationale de contrôle et que celle-ci doit opérer ce choix en prenant en considération toutes les circonstances du cas d’espèce, cette autorité n’en est pas moins tenue de s’acquitter avec toute la diligence requise de sa mission consistant à veiller au plein respect du RGPD. Dès lors, en vue d’assurer une application effective du RGPD, il est nécessaire que cette autorité dispose des pouvoirs effectifs afin d’agir efficacement contre les violations de ce règlement et notamment d’y mettre fin.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le pouvoir d’adopter certaines des mesures correctives visées à l’art. 58 par. 2 RGPD, notamment celles figurant sous la lettre d et g, peut être exercé d’office par l’autorité de contrôle d’un État membre dans la mesure où l’exercice d’office de ce pouvoir est requis pour lui permettre de s’acquitter de sa mission. Dès lors, lorsque cette autorité estime, à l’issue de son enquête, que ce traitement ne satisfait pas aux exigences de ce règlement, elle est tenue en application du droit de l’Union, d’adopter les mesures appropriées afin de remédier à la violation constatée, et ce indépendamment de l’existence d’une demande préalable présentée par la personne concernée en vue d’exercer ses droits en application de l’art. 17 par. 1 RGPD.
Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’art. 58 par. 2 RGPD doit être interprété en ce sens que le pouvoir de l’autorité de contrôle d’un État membre d’ordonner l’effacement de données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite peut viser tant des données collectées auprès de la personne concernée que des données provenant d’une autre source.
Le libellé de l’art. 17 par. 1 RGPD établit une obligation autonome pour le responsable du traitement, d’effacer les données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite, n’inclut aucune exigence relative à l’origine des données collectées. Par conséquent, il y a lieu de considérer, à l’instar de l’ensemble des gouvernements ayant déposé des observations écrites et de la Commission, que l’exercice du pouvoir d’adoption de mesures correctrices, au sens de l’art. 58, par. 2 let. d et g RGPD, ne saurait dépendre du fait que les données à caractère personnel en cause aient été ou non collectées directement auprès de la personne concernée.
V. Conclusion
L’art. 58 par. 2 let. d et g RGPD doit être interprété en ce sens que l’autorité de contrôle d’un État membre est habilitée, dans l’exercice de son pouvoir d’adoption des mesures correctrices prévues à ces dispositions, à ordonner au responsable du traitement ou au sous-traitant d’effacer des données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite, et ce alors qu’aucune demande n’a été présentée à cet effet par la personne concernée en vue d’exercer ses droits en application de l’art. 17 par. 1 RGPD.
L’art. 58 par. 2 RGPD doit être interprété en ce sens que le pouvoir de l’autorité de contrôle d’un État membre d’ordonner l’effacement de données à caractère personnel ayant fait l’objet d’un traitement illicite peut viser tant des données collectées auprès de la personne concernée que des données provenant d’une autre source.
Proposition de citation : Hugo Duval, La protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel en vertu de l’art. 58 par. 2 RGPD, 10 avril 2025 in www.swissprivacy.law/348

