Les limites du secret d’affaires : Analyse des recommandations du PFPDT par le TAF

Arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF) du 9 octobre 2024, A‑758/2024
Le 6 septembre 2023, le Préposé fédéral à la protection des données (PFPDT) publie des recommandations dans le cadre d’une médiation entre Smood SA et la PostCom, au sujet de l’étendue de l’accès au rapport d’expertise commandé par cette dernière, dont l’objet était d’établir si Smood SA était soumise à une obligation d’annonce conformément à l’art. 4 de la loi sur la poste du 17 décembre 2010 (LPO ; RS 783.0). Estimant que les arguments de la société de livraison sur les besoins de protection du secret d’affaires n’étaient pas suffisants, le PFPDT a recommandé l’accès complet au rapport en vertu du principe de transparence (voir www.swissprivacy.law/267 pour une analyse des recommandations).
Trois mois plus tard, la PostCom rend une décision suivant la recommandation du PFPDT et octroie un accès intégral au rapport d’expertise. La société demanderesse fait recours devant le TAF contre cette décision.
Dans son arrêt du 9 octobre 2024, le TAF confirme plusieurs principes posés par le PFPDT, mais prend une position moins stricte sur leur application. En effet, le Tribunal reconnaît la validité de certains caviardages refusés tant par le PFPDT que par la PostCom, notamment ceux relatifs aux passages concernant les clauses contractuelles précises ainsi que ceux contenant des éléments susceptibles d’engendrer un véritable avantage concurrentiel.
Le TAF rappelle que la menace d’une atteinte n’a pas besoin d’être concrétisée avec certitude pour être sérieuse, et rejette l’idée que seules des données constituant une « solution clé en main » pourraient justifier une exception au principe de transparence. Cette approche serait trop restrictive et aurait pour conséquence de vider l’art. 7 al. 1 let. g LTrans de sa substance.
Pour limiter ou refuser l’accès à un document, le secret d’affaire exige la réalisation de quatre conditions cumulatives :
- un lien entre l’information et l’entreprise,
- l’information est relativement inconnue,
- un intérêt subjectif au maintien du secret, et
- un intérêt objectivement fondé à ne pas révéler l’information.
Les informations doivent être pertinentes sur un plan commercial et leur révélation doit impacter les résultats ou la compétitivité de l’entreprise. Ce désavantage concurrentiel est admis par le TAF à plusieurs reprises, en contradiction avec les recommandations du PFPDT. C’est notamment le cas pour les clauses relatives à la durée des contrats, à la responsabilité ou le mode de calcul des prix.
Toutefois, le TAF confirme aussi que de nombreuses autres informations, notamment les analyses juridiques, les données déjà publiées, ou encore les conditions générales disponibles sur le site web de l’entreprise, ne peuvent faire l’objet d’un caviardage. Elle indique à plusieurs reprises que l’entreprise n’a pas suffisamment démontré en quoi leur divulgation lui causerait une atteinte concrète et sérieuse. Le Tribunal rappelle qu’il est nécessaire de préciser quelles informations constituent des secrets d’affaires, et qu’une indication générale ne suffit pas.
Dans ces recommandations, le PFPDT avait souligné que les personnes morales, telles que Smood SA et ses partenaires, bénéficient d’une protection moins rigoureuse que les personnes physiques, malgré une protection prévue sous l’ancienne LPD alors en vigueur (art. 19 al.1bis aLPD). De son côté, le TAF se concentre davantage sur les intérêts commerciaux spécifiques de l’entreprise, en acceptant la divulgation de certaines informations, à condition qu’elles ne portent pas atteinte à la compétitivité de la société de livraison.
Ainsi, l’arrêt du TAF marque une évolution nuancée du dossier. Il reconnaît le principe fondamental de transparence tout en rappelant que certaines limites peuvent et doivent s’appliquer lorsque des intérêts économiques concrets et suffisamment démontrés sont en jeu.
Une approche plus stricte sur le secret d’affaires
Un des aspects les plus frappants de la décision du TAF par rapport à celle du PFPDT réside dans la stricte application des critères du secret d’affaires. Alors que le PFPDT privilégie une interprétation relativement souple du secret d’affaires, en se concentrant sur la transparence publique et en permettant l’accès à des informations qu’il juge non sensibles, le TAF insiste quant à lui sur le fait que certaines informations, telles que celles liées à la stratégie commerciale ou aux relations contractuelles spécifiques, doivent être protégées lorsque leur divulgation pourrait porter atteinte à la compétitivité de l’entreprise. Par exemple, le TAF a validé les caviardages relatifs aux clause contractuelles précises concernant les relations de Smood SA avec ses partenaires, jugeant que ces informations pourraient permettre à des concurrents de comprendre et d’exploiter des aspects sensibles du modèle d’affaires de l’entreprise.
Le TAF semble ainsi adopter une vision plus pragmatique du secret d’affaires, insistant sur la nécessité de démontrer concrètement l’impact d’une divulgation d’informations sur la compétitivité de l’entreprise. En ce sens, le Tribunal ne se contente pas de la simple hypothèse de préjudice que pourrait causer une divulgation, mais attend que l’entreprise présente des éléments justifiant la nécessité de caviarder certains passages du rapport.
Le secret d’affaire, un outil de défense pour les entreprises ?
Cette décision met en lumière le rôle important que le secret d’affaires joue comme outil de défense pour les entreprises, particulièrement dans des situations où l’accès à des informations sensibles peut compromettre leur compétitivité.
On peut également noter que cette décision intervient dans un contexte où le secret d’affaires est souvent utilisé comme une barrière contre la transparence. La jurisprudence évolue pour assurer que ce secret ne soit pas invoqué de manière systématique et que, lorsqu’il est invoqué, il soit objectivement justifié par des arguments de compétitivité tangibles et documentés.
Les informations publiées et la protection des données
Dans la décision du TAF, une autre divergence importante réside dans l’interprétation des informations déjà rendues publiques. Le PFPDT a tendance à accorder moins de poids à la protection des données relatives au modèle d’affaire Smood SA qui auraient fait l’objet d’une publication antérieure, au motif que leur caractère confidentiel s’en trouverait réduit. En revanche, le TAF considère que des informations publiées, même si elles figurent dans la décision de la PostCom, méritent encore une protection, en raison de leur capacité à donner à un concurrent un avantage stratégique concret.
Conclusion
Certains arguments ont été abandonnés entre la médiation devant le PFPDT et le recours devant le TAF. En effet, il n’est plus question de la protection de la sphère privée des personnes morales ni de la possibilité « [d’]influencer le sort de procédures administratives et judiciaires en cours ». Ce retrait semble s’expliquer par la faible portée juridique de ces arguments, déjà relativisés par le PFPDT, en particulier en ce qui concerne les personnes morales. Smood SA semble ainsi avoir recentré sa stratégie sur la protection du secret d’affaires, plus susceptible d’emporter la conviction du TAF.
L’arrêt du TAF met en exergue la nécessité d’un juste équilibre entre la transparence publique et la protection des informations commerciales essentielles. Bien que le principe de transparence soit fondamental, la décision du TAF va à l’encontre de la tendance d’un accès complet aux documents portées par le PFPDT. Par une analyse plus approfondie du secret d’affaires et son application au cas par cas, le TAF montre une approche structurée lorsqu’il s’agit de concilier intérêt public et protection des données sensibles.
Proposition de citation : Charlotte Beck, Les limites du secret d’affaires : Analyse des recommandations du PFPDT par le TAF, 15 mai 2025 in www.swissprivacy.law/352

