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Les services d’agents de footballeurs, un marché sous (hyper-)surveillance ?

Nathan Philémon Matantu, le 22 septembre 2025
Dans ses conclu­sions, l’avo­cat géné­ral souligne que la règle­men­ta­tion de la FIFA sur la profes­sion d’agent, bien qu’a­ni­mée par des inté­rêts a priori légi­times, néces­site une analyse circons­tan­ciée de chacun des trai­te­ments envi­sa­gés pour qu’ils puissent vala­ble­ment repo­ser sur un inté­rêt légi­time (art. 6 par. 1 let. f RGPD).

Conclusions de l’avocat géné­ral M. Nicholas Emiliou du 15 mai 2025, affaire C‑209/​2023 (FT, RRC Sports GmbH contre FIFA)

Introduction

En qualité d’instance diri­geante mondiale du foot­ball, la FIFA super­vise l’activité des 211 asso­cia­tions natio­nales. Ces dernières, ainsi que tous les acteurs de l’industrie du foot­ball – soit les clubs, les joueurs et leurs agents –, sont tenus de se confor­mer aux règle­ments de la FIFA et d’observer ses décisions.

Le 6 janvier 2023, la FIFA publie le Règlement FIFA sur les agents (« Règlement FIFA ») adopté le mois précé­dent, par lequel elle cherche notam­ment à rehaus­ser les stan­dards de la profes­sion d’agent, à limi­ter les conflits d’intérêts entre les diffé­rents acteurs de l’industrie du foot­ball (p.ex. : évitant les cas de double-repré­sen­ta­tion), à renfor­cer la trans­pa­rence et à lutter contre toute pratique abusive, exces­sive ou spécu­la­tive (art. 1 par. 2 Règlement FIFA). La FIFA y condi­tionne le droit d’exercer le métier d’agent de joueurs à l’obtention d’une licence et régit notam­ment la rému­né­ra­tion, les acti­vi­tés et la conduite des agents. À titre illus­tra­tif, la FIFA impose aux agents de d’indiquer diverses infor­ma­tions rela­tives à leurs acti­vi­tés (p.ex. : noms de leurs clients ; nature, contenu et durée du contrat conclu avec ceux-ci ; détails de toutes les tran­sac­tions, y compris le montant des indem­ni­tés versées aux agents ; etc.), lesquelles sont ensuite mises à dispo­si­tion des clubs, joueurs ou agents de joueurs (art. 19 Règlement FIFA).

Un agent, l’agence RRC Sports – dont l’agent est direc­teur géné­ral – et le vice-président de l’association d’agents de joueurs « Football Forum » ont intro­duit une action en cessa­tion pour limi­ter l’application du Règlement FIFA. En effet, ils estiment que certaines dispo­si­tions violent les art. 56 (libre pres­ta­tion des services), 101 (inter­dic­tion des ententes) et 102 TFUE (inter­dic­tion des abus de posi­tion domi­nante) ainsi que l’art. 6 RGPD. Amené à statuer, le Landgericht Mainz a décidé d’interroger la CJUE sur la comp­ta­bi­lité du Règlement FIFA avec les dispo­si­tions précitées.

Bien que les ques­tions préju­di­cielles couvrent plusieurs domaines du droit, la présente contri­bu­tion se concentre sur les aspects de protec­tion des données.

Application du RGDP au secteur du sport

Dans un premier temps, l’avocat géné­ral analyse l’applicabilité du droit euro­péen au sport (semi-)professionnel. Il rappelle que selon la juris­pru­dence de la CJUE, le droit euro­péen a voca­tion à s’appliquer à l’ensemble du domaine spor­tif lorsque celui-ci consti­tue une acti­vité écono­mique. En revanche, les règles (p.ex. : les règles de jeu) sont extraites du champ d’application du droit euro­péen et béné­fi­cient ainsi d’une « excep­tion spor­tive » à condi­tion qu’elles aient été adop­tées unique­ment pour des motifs d’ordre non-écono­mique et qu’elles n’intéressent que le sport en tant que tel.

Dans la suite de ses déve­lop­pe­ments rela­tifs à l’exception spor­tive, l’avocat géné­ral s’épanche sur la ques­tion de son appli­ca­bi­lité à la libre circu­la­tion et au droit de la concur­rence, mais n’expose pas la situa­tion qui prévaut en droit de la protec­tion des données.

À notre sens, le droit de la protec­tion des données s’applique plei­ne­ment au sport (semi-)professionnel. En effet, l’applicabilité du RGPD est exclue dans quatre situa­tions, en parti­cu­lier lorsque le trai­te­ment s’inscrit dans le cadre d’une acti­vité ne rele­vant pas du champ d’application du droit de l’Union (art. 2 par. 2 let. a RGPD) ou lorsque celui-ci est effec­tué par une personne physique dans le cadre d’une acti­vité stric­te­ment person­nelle ou domes­tique (art. 2 par. 2 let. c RGPD). Ces excep­tions doivent être inter­pré­tées stric­te­ment (CJUE, arrêt du 10 juillet 2018 dans l’affaire C25/​17, par. 37).

La première excep­tion n’est toute­fois pas appli­cable car l’Union euro­péenne est habi­li­tée à agir à la fois en matière de marché inté­rieur (art. 4 par. 2 TFUE let. a TFUE) et en matière de sport (art. 6 let. e TFUE). Quant à la seconde, elle suppose que le trai­te­ment ait lieu sans aucun lien avec une acti­vité profes­sion­nelle ou commer­ciale (cf. consid. 18 RGPD), ce qui suppose qu’elle s’inscrive unique­ment dans le cadre de la vie privée et fami­liale de la personne physique (CJUE, arrêt du 10 juillet 2018 dans l’affaire C25/​17, par. 42). Or, les trai­te­ments en cause concernent le sport (semi-)professionnel et donc une acti­vité commer­ciale, de sorte que l’art. 2 par. 2 let. c RGPD n’est pas appli­cable. Par consé­quent, aucune excep­tion n’est appli­cable au secteur du sport (semi-)professionnel.

Dans l’hypothèse où la régle­men­ta­tion en cause portait sur le sport amateur, elle serait égale­ment soumise au RGPD faute d’activité s’inscrivant unique­ment dans le cadre de la vie privée et fami­liale. Ainsi, le RGPD demeure en prin­cipe appli­cable aux litiges touchant le secteur du sport.

Les règles rela­tives à la produc­tion et à la divul­ga­tion d’informations à examiner

Après avoir orienté l’autorité de renvoi quant aux éléments à prendre en compte lors de l’examen de possibles viola­tions du droit de la concur­rence et de la libre circu­la­tion, l’avocat géné­ral analyse l’existence d’une poten­tielle viola­tion de l’art. 6 par. 1 let. f RGPD.

En effet, l’art. 16 Règlement FIFA oblige les agents à parta­ger, à travers une plate­forme gérée par la FIFA, diverses infor­ma­tions rela­tives aux accords de service conclus avec les clients, au paie­ment d’indemnités et à la coopé­ra­tion entre agents. Les agences doivent égale­ment four­nir des infor­ma­tions sur le nombre d’agents qui opèrent à travers elles et le nom de tous leurs employés. La FIFA met ensuite toutes ces données à dispo­si­tion sur sa plate­forme, en parti­cu­lier les infor­ma­tions rela­tives aux clients, aux services four­nis par les agents, aux tran­sac­tions impli­quant des agents ainsi qu’à leur rému­né­ra­tion (art. 19 Règlement FIFA).

L’art. 6 par. 1 let. f RGPD dispose qu’un trai­te­ment de données person­nelles est licite s’il est « néces­saire aux fins des inté­rêts légi­times pour­sui­vis par le respon­sable du trai­te­ment ou par un tiers, à moins que ne prévalent les inté­rêts ou les liber­tés et droits fonda­men­taux de la personne concer­née qui exigent une protec­tion des données à carac­tère person­nel […] ». Pour se fonder sur cette dispo­si­tion, le trai­te­ment doit cumu­la­ti­ve­ment respec­ter trois condi­tions. Tout d’abord, il doit pour­suivre un inté­rêt légi­time. Ensuite, le trai­te­ment doit être néces­saire pour réali­ser les inté­rêts pour­sui­vis. Enfin, la pondé­ra­tion des inté­rêts en présence doit conduire à la conclu­sion que les inté­rêts ou les liber­tés et droits fonda­men­taux des personnes concer­nées ne prévalent pas sur les inté­rêts pour­sui­vis par le respon­sable de trai­te­ment ou le tiers (pour un déve­lop­pe­ment de ces condi­tions, cf. Nathan Philémon Matantu, L’intérêt légi­time au sens de l’art. 6 par. 1 let. f RGPD : un examen en trois étapes, 5 février 2025 in www​.swiss​pri​vacy​.law/​336).

Avant de procé­der à la subsomp­tion, l’avocat géné­ral rappelle à juste titre que seules les personnes physiques – c’est-à-dire les agents, leurs employés, les employés d’agences, les joueurs et les employés des clubs – peuvent tirer des argu­ments d’une éven­tuelle viola­tion de l’art. 6 par. 1 let. f RGPD. En revanche, les personnes morales (p.ex. : les agences ou les clubs) ne sont pas habi­li­tées à le faire, dans la mesure où le RGPD ne protège que les personnes physiques (art. 1 par. 1 RGPD).

Plusieurs inté­rêts envi­sa­geables, mais sont-ils légitimes ?

L’avocat géné­ral souligne que la notion d’« inté­rêt légi­time » est juri­di­que­ment indé­ter­mi­née et peut ainsi couvrir divers inté­rêts, y compris des inté­rêts écono­miques. Un inté­rêt est notam­ment suscep­tible d’être légi­time lorsqu’une rela­tion entre la personne concer­née et le respon­sable du trai­te­ment préexiste, en parti­cu­lier lorsque la première est cliente du second ou qu’elle est à son service (consid. 47 RGPD).

La présente rela­tion entre les agents et la FIFA diffère toute­fois de la rela­tion clas­sique client-service. Cela étant, les agents repré­sentent les acteurs de l’industrie foot­bal­lis­tique et les conseillent à l’aune du cadre régle­men­taire de la FIFA. En consti­tuant un maillon essen­tiel de cet écosys­tème, les agents sont ainsi suffi­sam­ment liés à la FIFA.

Au-delà de cette rela­tion de proxi­mité, l’art. 1 par. 2 Règlement FIFA énumère huit inté­rêts justi­fiant l’adoption du Règlement FIFA. Alors que certains d’entre eux sont mani­fes­te­ment légi­times – il en est ainsi de la limi­ta­tion des conflits d’intérêts, de la lutte contre les pratiques abusives et du contrôle de la confor­mité au Règlement FIFA –, d’autres convainquent plus diffi­ci­le­ment l’avocat géné­ral. L’intérêt à amélio­rer la trans­pa­rence finan­cière et admi­nis­tra­tive entre dans cette seconde catégorie.

En effet, l’avocat géné­ral consi­dère que la trans­pa­rence est un inté­rêt légi­time lorsqu’il est ques­tion d’une acti­vité publique. En revanche, la situa­tion est moins évidente lorsque les acti­vi­tés écono­miques des personnes privées sont en cause. D’une part, l’intérêt à la trans­pa­rence doit être pondéré avec le respect de la vie privée de la personne concer­née. D’autre part, une trans­pa­rence concer­nant des infor­ma­tions écono­miques et finan­cières peut avoir des consé­quences néga­tives sur le fonc­tion­ne­ment des marchés (p.ex. : favo­ri­ser des actes de concur­rence déloyale). Par consé­quent, il invite la juri­dic­tion de renvoi à véri­fier, dans chaque cas, dans quel but la trans­pa­rence devrait être garantie.

Dans l’ensemble, les orien­ta­tions de l’avocat géné­ral sur la ques­tion de la trans­pa­rence sont convain­cantes, mais deux remarques s’imposent selon nous.

En premier lieu, les caté­go­ries « acti­vité publique » et « acti­vité écono­mique » ne sont pas adap­tées à la situa­tion parti­cu­lière de la FIFA. La FIFA ne déploie certes pas d’activité publique, mais il n’en demeure pas moins qu’elle exerce, en paral­lèle de ses acti­vi­tés écono­miques et avec le consen­te­ment exprès ou tacite des auto­ri­tés natio­nales et de l’Union euro­péenne, un rôle d’autorégulateur de fait de l’écosystème foot­ball. Or, dans la mesure où ce sont bien les rôles de régu­la­teur et de surveillant du marché qui sont en cause, la FIFA devrait pouvoir se préva­loir d’un inté­rêt légi­time à rece­voir certaines données person­nelles et à les partager.

En second lieu, comme semble le recon­naître impli­ci­te­ment l’avocat géné­ral, il existe des constel­la­tions où il y a un inté­rêt légi­time à publier des données person­nelles, les rendant ainsi acces­sibles aux autres acteurs du marché. Les données publiées par les auto­ri­tés de surveillance des marchés finan­ciers (p.ex. : la liste des titu­laires d’autorisation) consti­tuent des exemples de constel­la­tions où il y a un inté­rêt légi­time à rendre publiques certaines infor­ma­tions de nature économique.

Dans le présent contexte, il peut y avoir un inté­rêt légi­time à publier certaines données person­nelles, notam­ment le nom des agents titu­laires d’une licence et certaines sanc­tions telles que la suspen­sion ou le retrait d’une licence. Dans le même temps, le fait qu’il y ait un inté­rêt légi­time à impo­ser une trans­mis­sion des données person­nelles à la FIFA ne signi­fie pas néces­sai­re­ment qu’il y a un inté­rêt légi­time à les rendre acces­sibles à l’ensemble des acteurs de l’industrie foot­bal­lis­tique. Il convient donc de procé­der à un examen précis pour chaque caté­go­rie de données.

Nécessité de commu­ni­quer et de publier les données

Une fois les inté­rêts légi­times iden­ti­fiés, il convient de véri­fier s’il est néces­saire de divul­guer les données person­nelles à la FIFA et de les rendre acces­sibles aux acteurs de l’industrie footballistique.

Pour que les trai­te­ments soient conformes à l’art. 6 par. 1 let. f RGPD, la FIFA doit, pour chaque caté­go­rie de données, démon­trer à la juri­dic­tion de renvoi que quatre condi­tions sont remplies :

  1. Les trai­te­ments protègent réel­le­ment l’intérêt géné­ral invo­qué et ne visent pas à atteindre des objec­tifs cachés ;
  2. Il y a un besoin objec­tif de pour­suivre les objec­tifs invoqués ;
  3. Les trai­te­ments permettent d’atteindre les objec­tifs pour­sui­vis ; et
  4. Il n’y a pas de mesures alter­na­tives moins intru­sives de la vie privée des personnes concernées.

Constatant que le Règlement FIFA impose aux agents de commu­ni­quer de nombreuses caté­go­ries de données et que ces données sont suscep­tibles d’être publiées sans distinc­tion, l’avocat géné­ral invite à juste titre l’autorité de renvoi à véri­fier s’il est possible de limi­ter les trai­te­ments à l’aune des critères susmen­tion­nés. À titre d’exemple, il doit être possible pour la FIFA de véri­fier la confor­mité à certaines obli­ga­tions régle­men­taires sans que les données ne soient publiées.

Pondération des inté­rêts et attente des personnes concernées

À suppo­ser que les trai­te­ments soient néces­saires pour réali­ser les inté­rêts légi­times pour­sui­vis, il convient de pondé­rer les inté­rêts du respon­sable du trai­te­ment, resp. des tiers avec les inté­rêts, liber­tés et droits de la personne concernée.

À cet égard, l’avocat géné­ral rappelle que les attentes raison­nables des personnes concer­nées doivent être prises en compte (cf. consid. 47 RGPD). En l’occurrence, les agents doivent s’attendre à ce que leurs données soient trai­tées pour assu­rer la confor­mité aux dispo­si­tions du Règlement FIFA, mais ne s’attendent pas néces­sai­re­ment à ce que les données soient rendues acces­sibles aux clubs, aux joueurs et aux autres agents.

Comme le met en évidence l’avocat géné­ral, les infor­ma­tions sur la clien­tèle des agents et sur le contenu des contrats sont des infor­ma­tions déli­cates dans un marché si concur­ren­tiel. Leur commu­ni­ca­tion à tous les acteurs du marché pour­rait modi­fier l’équilibre en place au profit des clubs et des joueurs et au détri­ment des agents. Pour ne pas violer le droit des personnes concer­nées à la vie privée (art. 7 CDFUE), à la protec­tion de leurs données person­nelles (art. 8 CDFUE) ainsi que leur liberté d’entreprise (art. 16 CDFUE), il sied donc de trou­ver un meilleur équi­libre entre les inté­rêts de tous les acteurs.

Conclusion

Il résulte des conclu­sions de l’avocat géné­ral que tous les trai­te­ments en cause dans le cadre de la rela­tion entre la FIFA et les agents ne peuvent pas se fonder sur l’art. 6 par. 1 let. f RGPD. S’agissant des données commu­ni­quées à la FIFA, une analyse précise de la situa­tion juri­dique présup­pose que l’on iden­ti­fie toutes les caté­go­ries de données en cause et que l’on déter­mine l’intérêt pour­suivi pour chacune d’elles. Quant à la divul­ga­tion de données aux autres acteurs du marché, elle devrait être limi­tée à un nombre restreint de caté­go­ries de données.



Proposition de citation : Nathan Philémon Matantu, Les services d’agents de footballeurs, un marché sous (hyper-)surveillance ?, 22 septembre 2025 in www.swissprivacy.law/373


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