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Saisie de courriels sans autorisation préalable en procédure administrative

Samia Moura, le 18 novembre 2025
Dans ses conclu­sions du 23 octobre 2025, l’Avocate géné­rale Medina affirme que les articles 7 et 8 de la Charte n’imposent pas d’autorisation judi­ciaire préa­lable pour les inspec­tions des auto­ri­tés de concur­rence. Elle propose une lecture fonc­tion­nelle du droit à la protec­tion des données, fondée sur la propor­tion­na­lité et la nature de la procédure.

I. Les faits

Les affaires jointes C‑258/​23, C‑259/​23 et C‑260/​23 trouvent leur origine dans des inspec­tions menées par l’Autoridade da Concorrência (AdC), l’autorité portu­gaise de la concur­rence, dans le cadre d’enquêtes portant sur de possibles ententes anti­con­cur­ren­tielles, en viola­tion de l’article 101 du Traité sur le fonc­tion­ne­ment de l’Union euro­péenne (TFUE).

Ces inspec­tions ont donné lieu à des perqui­si­tions dans les locaux des entre­prises concer­nées et à la saisie de données élec­tro­niques, notam­ment des cour­riels profes­sion­nels échan­gés entre employés. Les mesures ont été effec­tuées sans auto­ri­sa­tion judi­ciaire préa­lable, comme le permet le droit portu­gais de la concurrence.

Les socié­tés visées, Imagens Médicas Integradas SA, Synlabhealth II SA et SIBS – Sociedade Gestora de Participações Sociais SA, ont contesté la léga­lité des opéra­tions, invo­quant une atteinte à leurs droits fonda­men­taux garan­tis par la Charte des droits fonda­men­taux de l’Union euro­péenne, en parti­cu­lier les art. 7 et 8, rela­tifs au respect de la vie privée et à la protec­tion des données personnelles.

Le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão portu­gais a donc saisi la CJUE de plusieurs ques­tions préju­di­cielles, portant notam­ment sur :

  1. la quali­fi­ca­tion des cour­riels profes­sion­nels comme « corres­pon­dance » proté­gée par l’art. 7 de la Charte ;
  2. la compa­ti­bi­lité avec les art. 7 et 8 d’une saisie réali­sée sans auto­ri­sa­tion judi­ciaire préalable ;
  3. la possi­bi­lité d’appliquer au domaine du droit de la concur­rence le stan­dard établi dans l’arrêt Bezirkshauptmannschaft Landeck où la Cour avait exigé une auto­ri­sa­tion judi­ciaire avant l’accès par la police à des données conte­nues dans un télé­phone portable.

Dans ses conclu­sions du 23 octobre 2025, l’Avocate géné­rale Laila Medina propose à la Cour de répondre que les art. 7 et 8 de la Charte n’exigent pas systé­ma­ti­que­ment une auto­ri­sa­tion judi­ciaire préa­lable pour les inspec­tions des auto­ri­tés de concur­rence, dès lors que la mesure est prévue par la loi, propor­tion­née et assor­tie d’un contrôle juri­dic­tion­nel ex post effectif.

II. Le droit

L’existence d’une ingé­rence dans les droits fondamentaux

L’Avocate géné­rale commence par rappe­ler que les art. 7 et 8 de la Charte protègent la corres­pon­dance et les données à carac­tère person­nel contre toute ingé­rence injus­ti­fiée. Les cour­riels échan­gés entre colla­bo­ra­teurs d’une entre­prise, même dans un cadre stric­te­ment profes­sion­nel, consti­tuent selon elle une « corres­pon­dance » protégée.

Cette approche découle de la juris­pru­dence WebMindLicenses  et de la juris­pru­dence de la Cour euro­péenne des droits de l’Homme, notam­ment Copland c. Royaume-Uni, qui consi­dèrent que le carac­tère profes­sion­nel d’une commu­ni­ca­tion ne l’exclut pas de la protec­tion de la vie privée, car cette dernière reste suscep­tible de conte­nir des infor­ma­tions rele­vant du domaine privé.

La saisie d’e‑mails consti­tue donc bien une ingé­rence dans les droits garan­tis par la Charte. Reste à déter­mi­ner si cette ingé­rence est justi­fiée et si elle doit être soumise à une auto­ri­sa­tion judi­ciaire préa­lable pour être conforme au prin­cipe de proportionnalité.

La distinc­tion entre procé­dure pénale et procé­dure administrative

Les procé­dures pénales, par leur fina­lité répres­sive, visent à établir la culpa­bi­lité d’une personne physique et peuvent débou­cher sur des sanc­tions priva­tives de liberté. Elles justi­fient donc un niveau de garan­tie renforcé, incluant géné­ra­le­ment l’exigence d’une auto­ri­sa­tion judi­ciaire préa­lable pour toute mesure d’investigation portant sur des commu­ni­ca­tions privées ou des données sensibles.

Les procé­dures admi­nis­tra­tives de concur­rence, en revanche, ont une nature diffé­rente : elles pour­suivent un objec­tif de régu­la­tion écono­mique et préven­tive, visant à garan­tir le bon fonc­tion­ne­ment du marché. Les enti­tés concer­nées sont des personnes morales et les données collec­tées concernent des acti­vi­tés profes­sion­nelles, non des éléments rele­vant de la sphère intime.

Pour l’Avocate géné­rale, cette diffé­rence de fina­lité et de sujet justi­fie que les garan­ties procé­du­rales ne soient pas iden­tiques. Appliquer méca­ni­que­ment le stan­dard pénal à des enquêtes écono­miques revien­drait, selon elle, à para­ly­ser l’efficacité des auto­ri­tés de concurrence.

Ainsi, elle estime que l’absence d’autorisation judi­ciaire préa­lable dans le droit portu­gais ne viole pas en soi les art. 7 et 8 de la Charte, pour autant que la mesure soit clai­re­ment enca­drée par la loi et que les personnes concer­nées disposent d’un recours effec­tif a posteriori.

L’arrêt Landeck : un précé­dent non transposable

L’Avocate géné­rale consacre une partie impor­tante de son raison­ne­ment à expli­quer pour­quoi la solu­tion rete­nue par la Cour dans l’arrêt Landeck ne peut être appli­quée à la présente affaire.

Dans Landeck, la CJUE avait jugé qu’un contrôle judi­ciaire préa­lable était indis­pen­sable avant que les auto­ri­tés pénales n’accèdent aux données d’un télé­phone portable saisi dans le cadre d’une enquête criminelle.

La Cour avait fondé sa déci­sion sur la gravité parti­cu­lière de l’ingérence dans la vie privée, souli­gnant que les télé­phones contiennent des infor­ma­tions extrê­me­ment sensibles sur la person­na­lité, la vie fami­liale et les rela­tions sociales de l’individu.

L’Avocate géné­rale observe que la situa­tion portu­gaise est radi­ca­le­ment différente.

Les inspec­tions de concurrence :

  • ne visent pas des personnes physiques, mais des entreprises ;
  • ne concernent pas des éléments intimes, mais des docu­ments d’activité économique ;
  • et ne servent pas à établir une culpa­bi­lité, mais à préve­nir et sanc­tion­ner des distor­sions de concurrence.

Elle en conclut que l’arrêt Landeck repo­sait sur un raison­ne­ment ancré dans le droit pénal, où la protec­tion de la vie privée doit être maxi­male, tandis que les enquêtes admi­nis­tra­tives obéissent à une logique de propor­tion­na­lité ajus­tée à leur but.

Pour Medina, trans­po­ser sans nuance Landeck au droit de la concur­rence revien­drait à confondre deux régimes juri­diques distincts, fondés sur des fina­li­tés, des desti­na­taires et des degrés d’intrusion incom­pa­rables. Les auto­ri­tés de concur­rence, rappelle-t-elle, ne disposent pas de pouvoirs de contrainte pénale : leurs inspec­tions reposent sur la coopé­ra­tion des entre­prises et sont soumises à un contrôle juri­dic­tion­nel complet a poste­riori.

Le rôle du contrôle juri­dic­tion­nel ex post

L’Avocate géné­rale admet que la saisie de docu­ments élec­tro­niques néces­site un enca­dre­ment rigou­reux pour éviter les abus, mais estime que cet enca­dre­ment peut se maté­ria­li­ser par un contrôle juri­dic­tion­nel ex post plutôt que ex ante.

Selon elle, ce qui compte est la possi­bi­lité effec­tive de contes­ter la léga­lité et la propor­tion­na­lité de la mesure devant un juge indé­pen­dant. L’entreprise doit pouvoir démon­trer qu’une saisie a outre­passé les limites fixées par la loi et obte­nir la resti­tu­tion ou la suppres­sion des données concernées.

Ce contrôle différé, s’il est complet et exercé dans un délai raison­nable, assure un équi­libre suffi­sant entre le droit à la protec­tion des données et la néces­sité d’une action admi­nis­tra­tive efficace.

L’Avocate géné­rale précise toute­fois que la propor­tion­na­lité demeure une exigence perma­nente : plus la collecte est large et intru­sive, plus la super­vi­sion du juge devra être rigoureuse.

Le prin­cipe de propor­tion­na­lité comme critère directeur

Enfin, l’Avocate géné­rale rattache l’ensemble de son raison­ne­ment au prin­cipe de propor­tion­na­lité, préci­sant que les limi­ta­tions aux droits fonda­men­taux doivent être stric­te­ment néces­saires à la réali­sa­tion d’un objec­tif d’intérêt général.

Dans le contexte des enquêtes de concur­rence, cela signi­fie que :

  • les auto­ri­tés doivent cibler la collecte de données sur les éléments pertinents ;
  • les infor­ma­tions pure­ment person­nelles doivent être exclues ou anonymisées ;
  • et toute utili­sa­tion détour­née des données doit être proscrite.

La propor­tion­na­lité devient ainsi le fil conduc­teur qui remplace l’exigence d’un contrôle judi­ciaire préa­lable uniforme.

L’intensité de la protec­tion varie en consé­quence selon la nature de la procé­dure, la fina­lité de la collecte et le degré d’atteinte à la vie privée.

III. Conclusions

Les conclu­sions de l’Avocate géné­rale Medina dans les affaires jointes C‑258/​23, C‑259/​23 et C‑260/​23 s’inscrivent dans une approche prag­ma­tique : trou­ver un équi­libre entre effi­ca­cité des enquêtes de concur­rence et protec­tion des droits fondamentaux.

Elle recon­naît que la saisie d’e‑mails profes­sion­nels consti­tue bien une ingé­rence dans les art. 7 et 8 de la Charte, mais estime que cette protec­tion doit s’adapter au type de procé­dure concernée.

Contrairement à l’arrêt Landeck, où la gravité de l’ingérence justi­fiait un contrôle judi­ciaire préa­lable obli­ga­toire, les enquêtes de concur­rence peuvent, selon elle, se conten­ter d’un contrôle ex post, pour autant que la mesure soit prévue par la loi, propor­tion­née et pour­suive un objec­tif d’intérêt général.

Le droit suisse de la concur­rence adopte une logique simi­laire. L’art. 42 al.2 de la LCart permet à la ComCo d’ordonner elle-même une perqui­si­tion et la saisie de cour­riels. Les personnes concer­nées peuvent cepen­dant deman­der la mise sous scel­lés des pièces (art. 50 al. 3 DPA) ; c’est alors la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédé­ral qui décide si la perqui­si­tion est admis­sible. Ce méca­nisme assure, là aussi, un contrôle judi­ciaire a poste­riori, sans bloquer l’action de l’autorité au moment de l’enquête.

Cette compa­rai­son montre que, dans l’Union comme en Suisse, le contrôle du juge reste essen­tiel, mais qu’il peut inter­ve­nir a poste­riori, tant que la propor­tion­na­lité et les droits des personnes sont effec­ti­ve­ment garantis.

En plaçant la propor­tion­na­lité au centre du dispo­si­tif, l’Avocate géné­rale Medina rappelle que, dans ce domaine, le bon équi­libre compte davan­tage que la forma­lité d’une auto­ri­sa­tion préalable.



Proposition de citation : Samia Moura, Saisie de courriels sans autorisation préalable en procédure administrative, 18 novembre 2025 in www.swissprivacy.law/382


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