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La gouvernance de la confidentialité des autorités cantonales a‑t-elle été adaptée à l’arrivée de la transparence ?

Christian Flueckiger, le 25 février 2021
L’arrivée des règles de la trans­pa­rence a ouvert une grande brèche dans le secret de fonc­tion, que le Tribunal fédé­ral ne cesse d’agrandir d’arrêt en arrêt sur ce thème. Les auto­ri­tés canto­nales ne peuvent pas se repo­ser sur le devoir de dili­gence et de fidé­lité pour garder la maîtrise sur la gouver­nance de l’information « transparente ».

Introduction

Le droit d’accès aux docu­ments offi­ciels concré­tise le but essen­tiel de la trans­pa­rence, qui est de renver­ser le prin­cipe du secret de l’activité de l’administration au profit de celui de trans­pa­rence quant à la mission. Ainsi, toute personne a le droit de deman­der à consul­ter des docu­ments offi­ciels et d’obtenir des rensei­gne­ments sur leur contenu de la part des auto­ri­tés, sans devoir justi­fier d’un inté­rêt parti­cu­lier. Les règles sur la trans­pa­rence fondent donc une présomp­tion en faveur du libre accès aux docu­ments offi­ciels1.

Autrement dit, seules les infor­ma­tions déte­nues par l’État , qui sont rendues secrètes par la légis­la­tion spéciale ou qui tombent sous une des excep­tions prévues dans la loi sur la trans­pa­rence elle-même, restent suscep­tibles d’être soumises au secret de fonc­tion2.

Au regard de cette réalité, pas encore ancrée dans les gènes de l’administration, se pose la ques­tion de savoir si la gouver­nance, actuelle et quoti­dienne, de la confi­den­tia­lité des données trai­tées par le person­nel de l’administration est encore adap­tée. Pour un début de réponse, il n’est pris en compte que le droit des Cantons du Jura et de Neuchâtel, ainsi que les données non person­nelles, afin de simpli­fier les explications.

Pratique dans l’administration juras­sienne et neuchâteloise

Le devoir de confi­den­tia­lité du person­nel admi­nis­tra­tif juras­sien réside à l’article 25 de la Loi sur le person­nel de l’État, inti­tulé « secret de fonc­tion ». Il est inter­dit à l’employé de divul­guer des faits dont il a eu connais­sance dans l’ac­com­plis­se­ment de son travail et qui doivent rester secrets en raison de leur nature, des circons­tances ou d’ins­truc­tions spéciales. Dans les mêmes limites, il lui est inter­dit de commu­ni­quer à des tiers ou de conser­ver par-devers lui, en origi­nal ou en copie, des docu­ments de service. L’administration neuchâ­te­loise connaît une règle rédi­gée à peine diffé­rem­ment, à l’article 20 de la Loi sur le statut de la fonc­tion publique (LSt), mais qui est iden­tique sur l’étendue de la norme. La viola­tion de ces devoirs est notam­ment répri­mée par l’article 320 du Code pénal.

En paral­lèle, le person­nel admi­nis­tra­tif est soumis à un devoir de fidé­lité et de dili­gence. L’article 15 LSt prévoit que le person­nel admi­nis­tra­tif doit se montrer digne de la confiance que leur situa­tion offi­cielle exige. Il accom­plit ses tâches avec enga­ge­ment, fidé­lité, honnê­teté et impar­tia­lité, dans le respect des instruc­tions reçues. La dispo­si­tion juras­sienne3 est rédi­gée diffé­rem­ment puisque les employés sont tenus de remplir leurs obli­ga­tions avec dili­gence, compé­tence et effi­ca­cité, selon les règles de la bonne foi. Mais l’étendue des devoirs reste rela­ti­ve­ment similaire.

Pour l’instant, les diri­geants de l’administration se reposent essen­tiel­le­ment sur la soumis­sion au secret de fonc­tion et sur le devoir de fidé­lité pour s’assurer que les infor­ma­tions ne trans­pirent pas à l’extérieur de manière inappropriée.

Or désor­mais, un docu­ment quali­fié d’officiel n’est mani­fes­te­ment pas soumis au secret de fonc­tion, si aucune excep­tion n’empêche l’accès4. Autrement dit, si l’application des règles rela­tives à la trans­pa­rence légi­ti­ment la révé­la­tion des infor­ma­tions, l’agent public n’a pas le droit de garder secret le docu­ment demandé par quiconque5. Par exemple, si une personne employée par le Ministère public juras­sien ou neuchâ­te­lois commu­ni­quait sur demande à des tiers les direc­tives internes qui déter­minent les cadres et les condi­tions des peines à infli­ger aux auteurs de certains délits, elle ne commet­trait pas une viola­tion du secret de fonc­tion, puisque la juris­pru­dence a admis qu’elles étaient acces­sibles sans restric­tion6 ; quand bien même les infor­ma­tions paraî­traient d’une haute impor­tance stra­té­gique aux yeux des auto­ri­tés pénales. Depuis lors, les direc­tives gene­voises se trouvent sur inter­net7. Dans une ordon­nance pénale de clas­se­ment fribour­geoise du 22 octobre 2019 rela­tive à une pour­suite pour viola­tion de secret de fonc­tion, le procu­reur extra­or­di­naire a d’ailleurs suivi le même raison­ne­ment8. Celui-ci relève que si des infor­ma­tions peuvent être acces­sibles sur une simple demande d’un citoyen, les infor­ma­tions ne peuvent dès lors plus être quali­fiées de secrètes au sens du secret de fonc­tion9.

En pratique, il n’est pas rare de croi­ser des direc­tives préci­sant la manière d’appliquer des règles légales au cas par cas. De même qu’il arrive fréquem­ment que les deman­deurs de tels docu­ments essuient un refus caté­go­rique. Aux yeux de l’administration, il est tradi­tion­nel­le­ment incon­ce­vable que les desti­na­taires d’une déci­sion connaissent les « mots d’ordre » internes lorsqu’il s’agit d’exercer une capa­cité d’appréciation.

Faute de pouvoir se repo­ser sur le secret de fonc­tion pour empê­cher le person­nel de l’administration de commu­ni­quer à des tiers ce type de direc­tives, sans s’en réfé­rer préa­la­ble­ment à la hiérar­chie, les auto­ri­tés peuvent-elles se fonder sur le devoir de dili­gence et de fidélité ?

Selon le Tribunal fédé­ral, ce dernier impose aux employés, dans le cadre restreint de la commu­ni­ca­tion à des tiers, de ne pas utili­ser, ni révé­ler, des faits desti­nés à rester confi­den­tiels, dont ils ont pris connais­sance au service de l’employeur. L’obligation de discré­tion s’étend non seule­ment aux faits que l’employeur a expres­sé­ment quali­fié de secrets, mais aussi à tous ceux dont il appa­raît, selon les circons­tances, que l’employeur veut en inter­dire la divul­ga­tion ; l’intérêt légi­time au main­tien du secret est présumé10.

Cette défi­ni­tion, bien qu’émanant du droit privé, rejoint passa­ble­ment celle des lois canto­nales préci­tées rela­tives au secret de fonc­tion, tant dans son éten­due que dans ses condi­tions. On constate que l’information doit être expres­sé­ment quali­fiée de secrète par l’employeur, ou qu’il appa­raît que ce dernier veut en inter­dire la commu­ni­ca­tion, pour qu’elle soit soumise au devoir de confi­den­tia­lité compris dans celui de dili­gence et fidé­lité. Or, il n’est pas imagi­nable que l’administration puisse décla­rer confi­den­tiel et impo­ser le secret sur des infor­ma­tions desti­nées à être acces­sibles selon les règles de la trans­pa­rence11 ; du moins pas sans base légale formelle.

Par consé­quent, un employé de l’administration qui commu­ni­que­rait un docu­ment acces­sible selon les règles de la trans­pa­rence12 ne pour­rait pas faire l’objet d’une pour­suite pénale pour viola­tion du secret de fonc­tion, ni admi­nis­tra­tive pour viola­tion de son devoir de fidé­lité et diligence.

En conclu­sion, si les auto­ri­tés neuchâ­te­loises et juras­siennes souhaitent éviter que les commu­ni­ca­tions préci­tées se fassent en dehors de toute super­vi­sion, et souhaitent avoir une gouver­nance active de la commu­ni­ca­tion des infor­ma­tions acces­sibles au sens des règles sur la trans­pa­rence, elles devraient adop­ter des dispo­si­tions formelles dans leurs lois respec­tives sur le person­nel, puisqu’il s’agit d’une restric­tion de la trans­pa­rence, au sens de l’article 69 al. 4 CPDT-JUNE. Pour ce faire, celles-ci devraient préa­la­ble­ment répondre aux exigences requises pour restreindre un droit consti­tu­tion­nel, telles que le respect du prin­cipe de la propor­tion­na­lité et la présence d’un inté­rêt public.

À rele­ver que le risque d’une « perte de maîtrise » de la commu­ni­ca­tion d’informations offi­cielles, à commen­cer par le « timing » choisi, est moindre. Il n’est pas facile pour un employé d’évaluer en amont et avec certi­tude qu’un docu­ment est parfai­te­ment acces­sible selon la CPDT-JUNE, surtout que les excep­tions sont nombreuses et parfois déli­cate à appré­hen­der (l’intérêt public peut par exemple repor­ter l’accès). Néanmoins, une infor­ma­tion desti­née à être infailli­ble­ment publiée prochai­ne­ment pour­rait « sortir » plus rapi­de­ment que prévu sans que l’auteur de la commu­ni­ca­tion puisse être sanc­tionné. De même qu’un docu­ment iden­tique, simi­laire à un autre, déjà déclaré acces­sible, pour­rait être adressé aux jour­na­listes en total impu­nité, tels qu’un rapport d’impact ou d’audit, des conven­tions de départ, ainsi que des direc­tives internes13.

  1. Arrêt du TF 1C_​59/​2020 du 20 novembre 2020, consid. 4.1 ; arrêt du TAF 1C_​533/​2018 du 26 juin 2019, consid. 2.1 (et réf. citées).
  2. Dominique Hänni, Vers un prin­cipe d’in­té­grité de l’ad­mi­nis­tra­tion publique, la préven­tion de la corrup­tion en droit admi­nis­tra­tif, Schulthess, CG, 2019, p. 173 et 178, N. 433 et 449 ; Sylvain Métille, L’utilisation de l’informatique en nuage par l’administration publique, PJA 2019 p. 609 (612); Préposé fédé­ral à la protec­tion des données et à la trans­pa­rence, Mise en œuvre du prin­cipe de la trans­pa­rence dans l’administration fédé­rale : ques­tions fréquem­ment posées, Q. 1.1.2 et 1.1.3.
  3. Art. 22 LPers.
  4. Dominique Hänni, Vers un prin­cipe d’in­té­grité de l’ad­mi­nis­tra­tion publique, la préven­tion de la corrup­tion en droit admi­nis­tra­tif, Schulthess, CG, 2019, p. 178 et 180 s, N. 449 et 457.
  5. Dominique Hänni, Vers un prin­cipe d’in­té­grité de l’ad­mi­nis­tra­tion publique, la préven­tion de la corrup­tion en droit admi­nis­tra­tif, Schulthess, CG, 2019, p. 178, N. 450.
  6. Arrêt Tribunal fédé­ral du 13 juin 2016, 1C_​604/​2015.
  7. http://​ge​.ch/​j​u​s​t​i​c​e​/​d​i​r​e​c​t​i​v​e​s​-​d​u​-​p​r​o​c​u​r​e​u​r​-​g​e​n​e​ral.
  8. Ordonnance de clas­se­ment du procu­reur extra­or­di­naire du Ministère public fribour­geois du 22 octobre 2019, FG1/​F 17 4249.
  9. Voir aussi Dominique Hänni, Vers un prin­cipe d’in­té­grité de l’ad­mi­nis­tra­tion publique, la préven­tion de la corrup­tion en droit admi­nis­tra­tif, Schulthess, CG, 2019, p.178, N. 450.
  10. ATF 127 III 310 consid. 5a.
  11. Dominique Hänni, Vers un prin­cipe d’in­té­grité de l’ad­mi­nis­tra­tion publique, la préven­tion de la corrup­tion en droit admi­nis­tra­tif, Schulthess, CG, 2019, p. 180, N. 455 et 458 ; Frédéric Erard, Le secret médi­cal. Etude des obli­ga­tions de confi­den­tia­lité des soignants en droit suisse, Thèse, 2020, p. 211 et 515, N. 534 et 1325.
  12. Art. 69 ss PDT-JUNE, RSN 150.30, RSJU 170.41.
  13. Voir https://​www​.ppdt​-june​.ch/​f​r​/​A​c​t​i​v​i​t​e​s​/​C​o​n​c​i​l​i​a​t​i​o​n​s​.​h​tml.


Proposition de citation : Christian Flueckiger, La gouvernance de la confidentialité des autorités cantonales a‑t-elle été adaptée à l’arrivée de la transparence ?, 25 février 2021 in www.swissprivacy.law/57


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