La Convention 108+, une réponse adéquate à l’ère du numérique !
La numérisation de la société suscite de grands espoirs pour améliorer nos conditions de vie et notre bien-être. Elle est souvent présentée comme la solution à tous nos problèmes. S’il est incontestable que le développement des technologies de l’information et des communications est un facteur de progrès dans de nombreux secteurs d’activités privés ou publics, force est de constater que la numérisation comporte aussi de nombreux risques et peut s’avérer « un formidable support à la surveillance et à l’instrumentation » des citoyens et citoyennes. C’est un défi considérable pour le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée. Il est dès lors impérieux de veiller à ce que la numérisation se fasse au bénéfice de l’humanité, respecte la dignité et le droit à l’autodétermination informationnelle de chaque être humain et s’inscrive dans un cadre démocratique.
Le Conseil de l’Europe s’efforce de mettre en place les cadres juridiques permettant de garantir l’Etat de droit, les droits humains et la démocratie également dans le monde numérique. Concrétisant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit au respect de la vie privée, le Conseil de l’Europe a adopté la Convention sur la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé de données à caractère personnel (Convention 108) ouverte à la signature le 28 janvier 1981. Cette Convention demeure le seul instrument international juridiquement contraignant. Elle renferme les principes de base de la protection des données aujourd’hui universellement reconnus. Elle s’applique à tout traitement de données à caractère personnel du secteur public et du secteur privé. Elle a un caractère ouvert : non seulement les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent la ratifier, mais les Etats non-européens ayant une législation de protection des données conforme aux exigences de la Convention peuvent y adhérer. Aujourd’hui la Convention a été ratifiée par les quarante-sept Etats membres du Conseil de l’Europe. Huit pays provenant d’Afrique et d’Amérique latine y ont adhéré. La Convention 108 vient d’être modernisée et un protocole d’amendement a été ouvert à la signature des Parties le 10 octobre 2018. À ce jour, cinq Etats parties l’ont ratifiée et trente-trois autres, dont la Suisse, l’ont signée. La Convention 108+ se veut une réponse aux défis du numérique et a notamment pour objectif de renforcer la protection des personnes en garantissant « l’autonomie personnelle fondée sur le droit de la personne de contrôler ses propres données à caractère personnel et le traitement qui en est fait » et en garantissant la dignité humaine. Le respect de la dignité humaine est fondamental au regard du développement de l’Intelligence Artificielle et du recours croissant aux décisions individuelles automatisées ou algorithmiques. En effet l’être humain ne doit pas être soumis à la machine et laisser celle-ci maître des décisions, mais il doit pouvoir garder le contrôle et ne pas être traité comme un simple objet. La Convention 108+ vise, par son article premier, à « protéger toute personne physique, quelle que soit sa nationalité ou sa résidence, à l’égard du traitement des données à caractère personnel, contribuant ainsi au respect de ses droits de l’homme et de ses libertés fondamentales et notamment du droit à la vie privée ». Elle fait du droit à la protection des données non pas un droit supérieur aux autres droits de l’homme, mais un droit au service de l’exercice d’autres droits et libertés fondamentales.
Elle vise aussi à renforcer les mécanismes de mise en œuvre et à améliorer l’effectivité du droit à la protection des données. Elle veut également promouvoir « les valeurs fondamentales du respect de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel à l’échelle mondiale, favorisant ainsi la libre circulation de l’information entre les peuples ». De par son caractère général, ouvert et non orienté sur l’une ou l’autre technologie, elle assure la cohérence et la convergence avec d’autres cadres juridiques pertinents.
Parmi les dispositions pertinentes, mentionnons :
- l’ancrage du principe de proportionnalité pour tout traitement de données. Une base de légitimité ne suffit pas à elle-seule pour justifier le traitement, il faut le respect de la proportionnalité ;
- en lien avec ce principe, la Convention 108+ prévoit l’obligation de mise en conformité et de démonstration de la conformité du traitement, l’obligation de l’examen de l’impact potentiel du traitement sur les droits et libertés fondamentales, l’obligation de concevoir le traitement de manière à prévenir les risques d’atteintes à ces droits et libertés ;
- elle prévoit qu’un traitement de données à caractère personnel ne peut en outre intervenir que s’il repose sur une base de légitimité (consentement, ou autres fondements légitimes prévus par la loi). Elle interdit le traitement de données sensibles sans que des garanties appropriées prévues par le droit interne des Etats parties ne soient mises en place pour prévenir les risques pour les intérêts, droits et libertés fondamentales de la personne, notamment les risques de discrimination.
La Convention 108+ renforce également les obligations de transparence et les droits des personnes concernées, en particulier en inscrivant au côté des droits d’accès et de rectification :
- l’obligation d’informer les personnes concernées ;
- le droit de toute personne de ne pas être soumise à une décision l’affectant de manière significative, qui serait prise uniquement sur le fondement d’un traitement automatisé de données sans que son point de vue soit pris en compte ;
- le droit de toute personne d’obtenir connaissance du raisonnement qui sous-tend le traitement de données, lorsque les résultats de ce traitement lui sont appliqués ;
- le droit d’opposition au traitement ; et
- le droit de disposer d’un recours effectif.
En conclusion, le respect des droits des personnes dans le monde numérique passe par un cadre juridique international fort. Le Convention 108+ offre un niveau élevé de protection des données, similaire à celui du RGPD et permet d’apporter une réponse universelle aux défis actuels.
Proposition de citation : Jean-Philippe Walter, La Convention 108+, une réponse adéquate à l’ère du numérique !, 6 octobre 2020 in www.swissprivacy.law/15
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