Encore un géant (Meta) condamné pour traitement illicite de données personnelles d’enfants
Meta Irlande permet depuis 2016 à tous les utilisateurs d’Instagram (y compris les enfants) de passer d’un profil privé à un profil public pour passer à un compte professionnel ou « business account ». Ce faisant, des informations de contact supplémentaires, composées d’une adresse électronique et/ou d’un numéro de téléphone, sont mises à disposition du public sur le compte. Cet affichage obligatoire est arrêté en septembre 2019, date à partie de laquelle il devient facultatif.
L’Autorité irlandaise de protection des données (DPC) ouvre une procédure pour analyser la licéité des traitements, par ce biais, de données personnelles d’enfant en relation avec la divulgation publique d’adresses électroniques et/ou de numéros de téléphone d’enfants utilisant la fonctionnalité de compte professionnel Instagram et son paramètre public par défaut pour les comptes Instagram personnels d’enfants.
Les autres autorités de contrôle concernées par la décision émettent des objections, raison pour laquelle le Comité européen de la protection des données (CEPD) doit régler le litige opposant les différentes autorités (au sujet de la procédure de l’art. 65 par. 1 let. a RGPD, voir https ://swissprivacy.law/95/). Dans sa décision du 28 juillet 2022, le CEPD impose à la DPC de reconnaître, en sus des violations déjà admises, une violation de l’art. 6 par. 1 RGPD.
La nécessité du traitement à l’exécution d’un contrat
Dans sa décision, le CEPD analyse d’abord si l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie (art. 6 par. 1 let. b RGPD) peut servir de motif pour l’affichage public des informations de contact d’enfants détenant un compte professionnel. L’exécution contractuelle signifie que le traitement doit être nécessaire et faire partie intégrante de la prestation contractuelle fournie aux personnes concernées.
Dans le cas d’espèce, le compte professionnel est initialement conçu pour les activités traditionnelles (traditional business) avec un souhait de proposer des canaux de communication autres qu’Instagram. Néanmoins, la création d’un tel compte est ouverte à l’ensemble des utilisateurs de l’application, dont les enfants. L’application ne permet pas le même niveau d’information pour ce type de compte que pour ses services standards. Les utilisateurs enfants ne peuvent pas s’attendre à ce que la mise à disposition de leurs détails de contact au public soit nécessaire à l’utilisation de l’application.
En outre, il existe des possibilités moins intrusives qui ôtent à ce traitement de données son caractère nécessaire, comme la possibilité technique de distinguer entre l’utilisateur enfant et l’adulte. Cette mesure permettrait de ne pas partager les informations de contact de l’enfant, et ce sans impacter le fonctionnement avec affichage de telles informations pour les autres comptes professionnels traditionnels (expression du principe de minimisation selon l’art. 5 par. 1 let. c RGPD, admise par la DPC et prise en considération par le CEPD dans son analyse de l’art. 6 par. 1 lest. b RGPD).
Par ailleurs, Meta Irlande admet savoir que certains utilisateurs passent plus volontiers par le canal offert par l’application pour échanger avec leur communauté.
Finalement, prenant en compte également les risques pour la personnalité et les droits fondamentaux que cet affichage est susceptible d’engendrer pour les personnes concernées, le CEPD conclut que Meta Irlande ne peut pas s’appuyer sur ce fondement pour afficher de facto les informations de contacts d’enfants ayant un compte professionnel.
La nécessité du traitement pour des intérêts légitimes du responsable du traitement ou de tiers
Le CEPD examine également l’art. 6 par. 1 lit. f RGPD, qui permet au responsable du traitement de traiter des données personnelles pour ses intérêts légitimes, sous réserve d’intérêts prépondérants de la personne concernée. Les enfants méritent à cet égard une protection spécifique dès lors qu’ils sont moins conscients des risques, des conséquences, des garanties concernées et de leurs droits.
Meta Irlande dit poursuivre son intérêt légitime de « créer, fournir, soutenir et maintenir des produits et fonctionnalités innovants permettant aux enfants de s’exprimer, de communiquer, d’engager le dialogue avec les communautés relevant de leurs intérêts et de créer leur propre communauté ». L’entreprise estime aussi viser l’intérêt légitime de l’ensemble des utilisateurs d’Instagram en leur permettant d’échanger avec les titulaires de comptes professionnels.
Émettant des doutes quant au caractère spécifique de ces intérêts, le CEPD cherche à savoir si le traitement est nécessaire à la poursuite des intérêts invoqués, ce qui implique dans un premier temps une analyse factuelle cherchant à établir la connexion entre le traitement et lesdits intérêts. Dans la mesure où de nombreuses personnes préfèrent communiquer avec leur communauté par Instagram, d’autres moyens que la mise à disposition au public des informations de contact permettent de poursuivre ces intérêts. Partant, le traitement n’est pas nécessaire pour atteindre les intérêts soulevés par Meta Irlande.
Dans un second temps, le CEPD procède à la mise en balance des intérêts avancés par Meta Irlande et les risques du traitement à l’égard des personnes concernées. L’âge des utilisateurs est pris en compte, de même manière que leurs attentes relativement à l’information reçue.
Avant septembre 2019, les utilisateurs de comptes professionnels, enfants compris, ont comme seule information que leur communauté peut communiquer avec eux, sans qu’un lien soit fait avec les données de contact.
Après septembre 2019, ils savent que ce sont les données de contact qui permettent ces communications et ils ont la possibilité d’opt-out. En revanche, Meta Irlande ne prévient à aucun moment des risques que l’affichage d’informations de contact est susceptible d’engendrer, notamment en termes de harcèlement ou de grooming. Partant, le CEPD conclut que Meta Irlande ne peut pas non plus se prévaloir de ce fondement et qu’elle viole l’art. 6 par. 1 RGPD en procédant à un traitement de données personnelles illicite, ne reposant sur aucun fondement.
Compte tenu de la décision rendue par le CEPD, la DPC reconnaît une violation de l’art. 6 par. 1 RGPD en plus des violations déjà admises des art. 5 par. 1 let. a et b, 12 par. 1, 24, 25 par. 1 et 2 et 35 par. 1 RGPD. Elle prononce une sanction à l’égard de Meta Irlande d’un montant de EUR 405’000’000 accompagnée de mesures correctives.
Qu’en est-il du contrôle parental ?
L’autorité hambourgeoise de protection des données, représentant les autorités des autres Länder, soulève une objection concernant le contrôle parental en demandant à la DPC d’investiguer sur une violation de l’art. 6 par. 1 let. a RGPD et, partant, de l’art. 8 RGPD.
Le RGPD prévoit que lorsqu’un traitement de données personnelles d’un enfant de moins de 16 ans repose sur son consentement en vertu de l’art. 6 par. 1 let. a RGPD, le traitement n’est licite qu’à condition que le consentement ait été donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale (art. 8 par. 1 RGPD).
Cette exigence ne s’applique que lorsque le responsable du traitement justifie un traitement de données avec le consentement et ne s’applique pas aux autres justifications. L’on pourrait se poser la question de la possibilité pour les enfants de conclure des contrats en ligne. Cette question échappe au RGPD et tombe dans les différents droits nationaux, et le CEPD et la DPC concluant à un traitement illicite par Meta Irlande, cette question peut en l’espèce rester ouverte.
Proposition de citation : Pauline Meyer, Encore un géant (Meta) condamné pour traitement illicite de données personnelles d’enfants, 21 octobre 2022 in www.swissprivacy.law/180
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