La transparence, exigence essentielle de la confiance environnementale
TF 1C_177/2022 du 22 juillet 2022.
I/ Prolégomènes contextuels et indépendance
Un récent arrêt du Tribunal fédéral suscite un intérêt marqué dans le champ de la transparence, nonobstant le fait que la question à résoudre était principalement celle de la qualité pour recourir du Chimiste cantonal valaisan (considérants 2.2.1 à 2.2.3).
L’état de fait de cet arrêt permet toutefois de comprendre qu’une association avait formulé une demande de consultation des rapports d’analyse d’eau potable de diverses communes du Haut-Valais auprès du Service valaisan de l’environnement (SEN).
Dans le canton du Valais, la qualité de l’eau (spécifiquement dans le Haut-Valais) fait l’objet d’une foultitude d’interrogations, suite notamment à une pollution massive au mercure. Ces interrogations ont engendré des procédures diverses dont la plus emblématique avait trait à l’accès au rapport historique de cette pollution1
Pour en savoir plus, une demande d’accès à l’arrêt cantonal du 14 février 2022 (dans la cause A1 21 682 ayant été porté au Tribunal fédéral a été formulée et celui-ci a été remis dans une version non anonymisée.
Les requérants ont opté pour la voie administrative classique, aux fins d’accéder aux informations sollicitées, en lieu et place de la procédure en transparence prévue par le droit valaisan.
II/ L’arrêt du Tribunal fédéral du 22 juillet 2022 (1C_177/2022)
Le Chimiste cantonal avait refusé la demande de renseignement formulée par l’association pour la défense du sol agricole (ADSA), respectivement l’avait déclarée irrecevable. Il l’avait transmise aux communes concernées comme objet de leur compétence. L’association de droit public avait alors recouru auprès de la Cour de droit public du Tribunal cantonal, avec succès. Le Chimiste avait recouru auprès du Tribunal fédéral qui avait déclaré son recours irrecevable.
En substance, il ne se prévalait d’aucune disposition du droit cantonal lui octroyant la qualité pour recourir. Il invoquait la clause générale de l’art. 89 de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF), motif pris qu’en tant qu’organe du canton spécifiquement chargé du contrôle des denrées alimentaires selon l’art. 49 de la loi sur les denrées alimentaires (LDAI) et les objets usuels et l’art. 3 de la loi valaisanne d’application (LaLDAI/VS) de cette loi, il serait touché comme un particulier dans la mesure où l’arrêt attaqué le contraindrait à transmettre à des tiers des données et autres informations recueillies dans l’exercice de ses fonctions en violation du respect de la confidentialité due aux administrés. Cet argument n’a pas convaincu le Tribunal fédéral qui
« peine à discerner en quoi l’attribution au Service cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires de la compétence pour trancher une demande de consultation de rapports d’analyse d’eau potable toucherait son chef de service comme n’importe quel particulier, ni qu’elle atteindrait celui-ci de manière importante dans ses prérogatives de puissance publique ».
La question litigieuse se résume ainsi, selon le Tribunal fédéral, à un conflit de compétence interne au canton quant à la juste application de normes cantonales et fédérales, insuffisant à retenir que le Chimiste cantonal serait touché de manière qualifiée dans ses prérogatives de puissance publique et à lui reconnaître la qualité pour recourir au sens de l’art. 89 al. 1 LTF. Conséquemment, le recours a été déclaré irrecevable. Comme le souligne à juste titre le Tribunal fédéral, il paraît étonnant que le Chimiste cantonal n’ait pas même produit une procuration du Conseil d’État, l’autorisant à recourir, alors même que la partie adverse contestait formellement cette qualité.
III/ L’arrêt cantonal du 14 février 2022 (A1 21 68)3
Avant cette issue prévisible, la Cour de droit public du Tribunal cantonal valaisan avait dû se prononcer sur le recours de l’ADSA contre le refus initial du Chimiste cantonal. La demande de renseignement initiale formulée le 30 novembre 2018 était très précise, puisqu’elle portait sur :
- les données issues du réseau de surveillance de la qualité des eaux souterraines comprenant plus de 50 piézomètres4 répartis entre Naters et Port-Valais ;
- les données des analyses de contrôle des eaux de la nappe phréatique destinées à l’alimentation des communes en eau potable de 2010 au jour de la requête ;
- toute convention ayant lié l’État du Valais à son ancien chef de la protection de l’environnement, au regard de la nouvelle activité professionnelle de celui-ci5 ;
- les procédés d’analyse et les résultats des investigations sur la qualité des eaux où le Rhône a déjà été corrigé par son élargissement dans le cadre de R3, soit non seulement les analyses du SEN, mais également les analyses réalisées par le Service valaisan de la consommation et affaires vétérinaires (SCAV).
S’en sont suivi différents échanges entre les parties, avec une certaine prospérité, puisque certaines informations ont pu être obtenues6. Le 23 décembre 2019, l’ADSA a déposé une demande formelle de consultation auprès du SCAV en invoquant les art. 4 et 5 de la Convention du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus), ainsi que sur les art. 9 de la loi valaisanne sur l’information du public, la protection des données et l’archivage (LIPDA/VS) et 7 du règlement d’exécution de cette loi (ReLIPDA/VS).
Le SCAV a sollicité la liste des communes concernées, liste qui lui a été remise et qui concerne exclusivement des communes du Haut-Valais. Le Chimiste cantonal a déclaré la demande de consultation irrecevable et l’a transmise aux communes concernées. Il a soutenu, pour ce qui avait trait aux analyses chimiques de l’eau distribuée par les réseaux publics d’eau potable, ne pas être une véritable autorité au sens de l’art. 3 al. 1 let. a ch. 1 et 4 LIPDA/VS, dès lors qu’il n’agissait que comme mandataire de quelques communes lui confiant ce type d’analyse dans le cadre de leur propre obligation de contrôle. Il eût dû fallu s’adresser à ces dernières.
L’ADSA a déposé un recours contre cette décision auprès du Conseil d’État valaisan qui l’a rejeté. Elle a ensuite saisi la Cour de droit public du Tribunal cantonal en prenant des conclusions principales tendant à ce qu’il soit ordonné au Chimiste cantonal de transmettre toutes les données d’analyse d’eau de nappes utilisées pour l’eau potable des quinze communes haut-valaisannes.
Après avoir reconnu à l’ADSA un intérêt particulier dans la présente cause (à tout le moins intellectuel au sens de la LIPDA, à l’aune de ses statuts), le Tribunal cantonal examine la compétence du SCAV pour répondre à la demande de consultation.
Il le fait sur la base de l’art. 4 par. 1 let. a de la Convention d’Aarhus (article selon lequel les autorités mettent à disposition du public sans preuve d’intérêt particulier les informations environnementales qui leur sont demandées), de l’art. 10g de la Loi sur la protection de l’environnement (LPE), ainsi que des normes cantonales en matière de transparence (celles de la LIPDA), dont l’application doit intervenir en harmonie avec les principes de la Convention d’Aarhus et de la LPE.
L’examen des normes applicables intervient par la suite, au prisme des dispositions de la LIPDA (notion d’autorités soumises à la transparence, notion de documents officiels, notion de fichier détenu par une autorité et finalement notion de maître de fichier). En clair, il faut déterminer si les données des analyses d’eau de nappes utilisées pour l’eau potable transmises par les quinze communes haut-valaisannes constituent des documents officiels et si la requête a été adressée à l’autorité qui a émis le document, respectivement au maître du fichier.
La réponse est affirmative, puisque dans le canton du Valais l’eau souterraine utilisée comme eau potable prend le statut de denrée alimentaire et que, selon la LaLDAI, le Chimiste cantonal dirige leur contrôle (inspection, prélèvement d’échantillons, analyses et contestations) et qu’il peut effectuer des analyses, notamment à la demande de collectivités publiques ou de tiers (art. 3 al. 2 let. f LaLDAI).
Le SCAV est donc au bénéfice de différentes attributions (analyses bactériologiques des eaux, contrôle périodique des eaux potables, mais également inspection des documents d’autocontrôle, détention des rapports sur l’analyse des eaux chimiques et bactériologiques des communes, etc.) et d’informations recueillies dans le cadre de l’accomplissement d’une tâche publique, qui constituent des documents officiels. S’agissant précisément du cas où le Chimiste cantonal effectue des analyses à la demande de collectivités, le Tribunal cantonal est d’avis que cela fait partie de ses attributions officielles que les résultats constituent également des documents officiels.
Le Chimiste cantonal prétendait également être entravé dans l’accomplissement des tâches étatiques qui lui sont dévolues en sa qualité d’organe d’exécution de la LDAI, en tant que la remise des rapports d’analyse litigieux ne garantirait plus aux administrés le respect de la confidentialité réservée aux art. 24 et 56 LDAI.
Le Tribunal cantonal rappelle que le devoir de discrétion ne constitue pas une disposition spéciale réservée au sens de l’art. 12 al. 3 LIPDA, qui primerait les normes de transparence visant à garantir l’accès aux documents officiels. Ces dispositions ne visent en réalité qu’à fixer sur le papier l’obligation de garder le secret des mandataires externes7.
En définitive, le SCAV est reconnu détenir des données couvertes par la requête, données obtenues dans le cadre de l’accomplissement d’une tâche publique en qualité d’autorité. Ces données sont des documents officiels au sens de la LIPDA. En ce qui concerne les analyses effectuées par le SCAV lui-même, le service a agi comme autorité ayant émis le document officiel et c’est bien à lui qu’il faut s’adresser pour formuler une demande d’accès. Finalement, le SCAV détient les autres documents en sa possession (dont les rapports sur les analyses d’eau chimiques et bactériologiques des communes) en sa qualité de maître de fichier, ce qui permet également de lui adresser une demande d’accès.
IV/ Conclusions et perspectives
Un chimiste cantonal qui n’agit pas comme autorité, mais comme un mandataire lorsqu’il effectue des analyses de la qualité chimique de l’eau potable. Il fallait oser une telle audace juridique. Tout comme il fallait manifester une véritable appétence pour le risque, en saisissant le Tribunal fédéral d’un recours, sans être au bénéfice d’une procuration du Conseil d’État et, après contestation de la qualité pour recourir, pour ne pas même la produire. L’issue de la procédure était attendue et elle est parfaitement logique.
Dans un contexte aussi sensible de pollution environnementale massive au mercure (notamment de l’eau), il est non seulement illicite, mais également inapproprié de traiter de la sorte une demande de renseignement. Comme à l’accoutumée8, l’administration cantonale valaisanne devient muette, lorsqu’il s’agit de permettre au citoyen d’appréhender les risques pour la santé. Or, si un risque existe, s’opposer de manière systématique à l’exercice de la transparence pourrait engager la responsabilité du canton du Valais.
Désormais une nouvelle décision doit être prise par le SCAV et il faudra voir si celui-ci tentera de tirer parti du considérant du Tribunal fédéral consacré au devoir de discrétion pour refuser une nouvelle fois l’accès ou si la leçon aura été apprise.
- RVJ 2018, p. 46 ss., étant précisé que cette publication ne reproduit qu’in parte qua le jugement du 10 novembre 2017 (A1 17 31), lequel n’est, malgré son importance, singulièrement pas intégralement disponible sur le site des arrêts du Tribunal cantonal valaisan (https://www.vs.ch/web/tribunaux/jurisprudence).
- Cet arrêt n’est pas disponible à l’heure où ces lignes sont écrites (15.10.2022) ; constater que les arrêts qui traitent de la transparence demeurent occultes interpelle ; il convient de rappeler à cet égard que la motion n° 6.0074, au terme de laquelle il a été sollicité que tous les arrêts du Tribunal cantonal soient publiés, a été acceptée par le Grand conseil valaisan le 5 août 2018 ; conséquemment l’art. 38 de la loi du 11 février 2009 sur l’organisation de la Justice a été modifié et il est entré en vigueur le 1er janvier 2021 ; le texte de l’alinéa 1er let. a est clair, puisqu’il prévoit la publication par le Tribunal cantonal de ses prononcés finaux et partiels rendus sur le fonds.)
- Compte tenu du fait que l’arrêt n’est pas publié sur le site du Tribunal cantonal valaisan, celui-ci est disponible sur demande auprès de l’auteur
- Pour contrôle les nappes phréatiques, des piézomètres sont utilisés ; il s’agit de forage non exploité qui permet la mesure du niveau de l’eau souterraine en un point donné de la nappe.
- Le Chef du Service de l’Environnement avait démissionné pour rejoindre la Lonza à Viège, soit la société accusée de la pollution au mercure, sur laquelle il investiguait précisément.
- Notamment relativement à l’absence de l’existence d’une convention liant l’État du Valais à son ancien Chef de service
- Selon le Tribunal fédéral, l’arrêt attaqué ne va pas au-delà du constat de la compétence du Service cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires pour statuer sur la demande de consultation de l’intimée et ne le contraint pas à lui remettre les rapports litigieux. Certes, la Cour de droit public a également souligné que selon le Message du Conseil fédéral relatif à la LDAI, le devoir de discrétion ancré à l’ art. 56 LDAI ne dépassait pas celui qui procédait de l’art. 22 de la Loi fédérale du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération et ne constituait pas une disposition spéciale réservée au sens de l’art. 4 de la loi sur la transparence propre à justifier que le Service cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires se déclare incompétent. Elle ne s’est en revanche pas prononcée sur l’application de l’art. 24 al. 4 LDAI aux rapports d’analyse litigieux et lui a renvoyé la cause non pas pour qu’il les transmette à l’intimée, mais uniquement pour qu’il rende une nouvelle décision à ce sujet. Le Service cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires conserve ainsi une pleine latitude de décision sur cette question qui fonderait, selon le Chimiste cantonal, son intérêt digne de protection à recourir.
- Cf. arrêt publié à la RVJ 2018 p. 46 ss.
Proposition de citation : Sébastien Fanti, La transparence, exigence essentielle de la confiance environnementale, 4 novembre 2022 in www.swissprivacy.law/182
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