Digital Services Act : quel contrôle européen sur l’espace numérique ?
Le Règlement sur les services numériques, ou le Digital Services Act (DSA), ainsi que le Règlement sur les marchés numériques, ou Digital Markets Act (DMA), cherchent d’une part à créer un espace numérique sûr et harmonisé à l’échelle européenne dans lequel les droits des individus sont respectés et, d’autre part, à accroître l’innovation, la croissance et la compétitivité au sein de l’Union européenne.
Le DSA impose des obligations de diligence aux fournisseurs de services numériques pour qu’ils respectent les droits fondamentaux des utilisateurs de leurs services et pour que ces derniers puissent les utiliser en toute sécurité. Le DMA cherche davantage à réglementer la concurrence autour des « contrôleurs d’accès » (qui sont les grandes plateformes en ligne systémiques remplissant l’un des critères de l’art. 3 DMA et qui ne sont pas spécifiées dans le DSA).
Le DSA : késako ?
Le DSA a vocation à s’appliquer à plusieurs catégories de fournisseurs de services numériques. Il prévoit des obligations de diligence applicables à tout service intermédiaire (art. 3 let. g, 8 ss DSA). Il impose davantage d’obligations graduelles aux services d’hébergement (art. 3 let. g, 16 ss DSA), aux plateformes en ligne (art. 3 let. i, 20 ss DSA), aux plateformes en ligne permettant aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels (art. 29 ss DSA) et aux très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche en ligne (art. 33 ss DSA).
À noter que les services intermédiaires, dont les services de simple transport, les services de mise en cache (qui impliquent la transmission par un utilisateur par le biais d’un service et le stockage automatique des informations pour rediffusion postérieure) et d’hébergement (qui stocke des informations sur demande des utilisateurs) conformément à l’art. 3 let. g DSA sont sujets à des exemptions de responsabilité (art. 4 ss DSA), dans la mesure où ils n’agissent pas de façon importante dans la diffusion d’informations au public.
Tous les services intermédiaires doivent mettre en place des mécanismes face aux contenus illicites, notamment en réagissant aux injonctions d’agir, contre des éléments spécifiques de contenu illicite, émises par les autorités compétentes (art. 9 DSA). Ils doivent également être transparents dans leurs conditions générales (art. 14 DSA) et en publiant de rapports de transparence, accessibles au public, au sujet de leurs éventuelles activités de modération de contenu (art. 15 DSA).
Les services d’hébergement, détenant un rôle plus large que les autres services intermédiaires, détiennent des obligations plus étendues à l’instar du signalement aux autorités de poursuite pénale des infractions pénales portées à leur connaissance (art. 18 DSA), de la mise en place de mécanismes de notification de contenus illicites par les utilisateurs et d’actions subséquentes (art. 16 DSA).
Les fournisseurs de plateformes en ligne, à l’exception des microentreprises et petites entreprises au sens de l’art. 19 DSA, détiennent un rôle plus important avec des obligations plus étendues relativement aux suites à donner aux réclamations et notifications (art. 20 ss DSA), aux questions de transparence (art. 24 ss DSA) ou encore à la protection des mineurs (art. 28 DSA).
Les fournisseurs de plateformes en ligne, permettant la conclusion de contrats à distance entre professionnels et consommateurs, doivent participer à la protection des consommateurs avec de nouvelles obligations en matière de traçabilité, transparence et conception d’interfaces (art. 30 ss DSA).
Les fournisseurs de très grandes plateformes et très grands moteurs de recherche en ligne sont les entités sujettes au maximum d’obligations en lien avec les risques systémiques relatifs à la diffusion de contenus illicites ou aux atteintes aux droits fondamentaux qu’elles sont susceptibles d’engendrer, en raison de l’étendue de leur audience, de l’influence qu’elles exercent et de la facilitation du débat public, des transactions économiques et de la diffusion d’informations qu’elles permettent.
Les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne ou de très grands moteurs de recherche en ligne sont les fournisseurs dont le nombre mensuel moyen de destinataires actifs est égal ou supérieur à 45 millions, décision prise par la Commission après consultation ou prise en compte des informations de l’État membre d’établissement (art. 33 par. 1 et 4 DSA).
Ils sont soumis en raison de leur importance à plus d’obligations, visant l’évaluation, la recension et l’atténuation de leurs risques systémiques, la réalsiation d’audits indépendants annuels pour évaluer leur conformité au DSA ou la mise en place de mécanismes de réaction aux crises (art. 34 ss DSA). Ces fournisseurs sont soumis en outre à des obligations renforcées de transparence, de coopération avec les autorités compétentes et de contrôle interne de conformité au DSA (art. 39 ss DSA).
La législation encourage les initiatives à l’instar de codes de conduite, de normes ou de protocoles volontaires de crise (art. 44 ss DSA), et prévoit la mise en place d’autorités de contrôle, à l’instar d’autorités de contrôle et de coordinateurs pour les services numériques au sein des États membres (art. 49 ss DSA).
Les fournisseurs ne se conformant pas à leurs nouvelles obligations risquent, en cas de non-conformité au DSA, une procédure (européenne ou étatique selon les circonstances et le fournisseur concerné) avec notamment une menace de sanction pouvant aller jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires mondial annuel réalisé au cours de l’exercice précédent (art. 52 et 59 DSA).
Le DSA a le mérite de mettre en place de nombreux mécanismes de contrôle et d’octroyer la possibilité à une majorité d’acteurs d’intervenir pour participer à la responsabilisation des fournisseurs. La population peut intervenir, de la même manière que les signaleurs de confiance (art. 22 DSA), les responsables internes aux fournisseurs de très grandes plateformes ou très grands moteurs de recherches (art. 41 DSA), les coordinateurs étatiques pour les services numériques (art. 49 ss DSA) ou la Commission et le Comité européen des services numériques (art. 61 ss DSA), qui disposent de bases légales pour agir.
À voir maintenant en pratique les changements que va opérer ce nouvel instrument servant à rendre l’espace numérique plus sûr pour les consommateurs et comment les différents fournisseurs intermédiaires se conformeront à leurs nouvelles obligations de diligence.
Quid des fournisseurs suisses actifs en Europe ?
Tout fournisseur de services intermédiaires au sens du DSA proposant des services à des destinataires établis ou situés dans l’UE, peu importe le lieu d’établissement du fournisseur (art. 2 par. 1 DSA) mais à condition que le fournisseur ait un lien étroit avec l’UE. Pour un fournisseur suisse, ce lien étroit peut être admis d’une part lorsque le nombre de destinataires de ses services dans un ou plusieurs États membres de l’UE est significatif (au regard de leur population) ou, d’autre part, sur la base du ciblage des activités sur un ou plusieurs États membres (consid. 8).
Le ciblage peut être déterminé sur la base de l’ensemble des éléments telle l’utilisation de la langue, d’une monnaie généralement utilisée dans les États concernés, la possibilité de commander des produits ou encore la diffusion de publicités à l’échelle locale. La simple accessibilité d’un site internet par des personnes sur sol de l’Union ne suffit pas comme seul motif pour admettre un lien étroit sur la base du ciblage (consid. 8).
Les fournisseurs suisses sont susceptibles d’être soumis au DSA pour leurs services destinés à des personnes établies ou situées sur le territoire européen. Selon leurs caractéristiques, ils sont soumis à différentes obligations du DSA dans les services destinés aux bénéficiaires sur le sol de l’Union européenne.
Outre les obligations de diligence dépendant de leur statut et alors que les fournisseurs de services intermédiaires doivent disposer d’un point de contact unique dans un État membre de l’UE (art. 11 DSA), les fournisseurs suisses établis à l’étranger sont soumis à une autre obligation qui est de disposer d’un représentant légal dans un de ces pays s’ils proposent des services au sein de l’UE (art. 13 DSA).
Proposition de citation : Pauline Meyer, Digital Services Act : quel contrôle européen sur l’espace numérique ?, 24 novembre 2022 in www.swissprivacy.law/184
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