Pas de qualité pour recourir d’un canton dans un litige lié au principe de transparence
Arrêt du Tribunal fédéral 1C_43/2021 du 21 novembre 2022
Les faits
Le 28 août 2019, un journaliste demande à consulter des documents liés à la résiliation des rapports de travail d’un ancien haut fonctionnaire de l’administration cantonale du canton de Schaffhouse, sur la base du principe de la transparence consacré à l’art. 8a al. 3 de la loi schaffhousoise sur l’organisation de l’activité gouvernementale et administrative (Organisationsgesetz, Org/SH ; SHR 172.100). Le dossier à la base de cette demande d’accès contient l’accord de séparation avec le fonctionnaire, ainsi que tous les autres documents liés ou ayant pour objet la séparation, soit des annexes, des rapports, des procès-verbaux du Conseil d’État ou encore des échanges de courriels.
Le 5 novembre 2019, l’exécutif cantonal rend une décision refusant l’accès aux documents en invoquant des intérêts privés prépondérants de tiers. Le journaliste recourt contre cette décision amenant la Cour suprême du canton de Schaffhouse à se prononcer sur le fond de l’affaire. Après avoir déterminé que ni les intérêts privés de l’ancien haut fonctionnaire ni les intérêts publics du Conseil d’État ne justifient un refus complet, le Tribunal cantonal admet le recours et renvoie l’affaire au Conseil d’État pour déterminer l’étendue de la consultation, notamment concernant la détermination des intérêts privés d’autres collaborateurs concernés. Le Conseil d’État recourt à son tour contre l’arrêt cantonal en portant l’affaire devant le Tribunal fédéral.
En droit
Le Tribunal fédéral se penche sur la qualité pour recourir en matière de droit public du Conseil d’État schaffhousois sur le fondement de l’art. 89 LTF. L’interprétation des conditions de cette disposition s’opère de façon restreinte. Cela se matérialise dans la nécessité pour une collectivité publique de démontrer qu’elle est affectée par la décision de manière identique ou similaire à des personnes privées ou que la décision les touche de manière spécifique (cf. let. b) et digne de protection dans l’exercice d’une tâche relevant de la puissance publique (cf. let. c).
En l’espèce, concernant l’atteinte particulière, le Conseil d’État schaffhousois est touché de manière similaire à un employeur privé, notamment en raison du fait qu’un désavantage financier est à prévoir dans le cadre d’éventuelles futures négociations d’accord de séparation visant d’autres (ou de futurs) fonctionnaires du canton. Cependant, il ne s’agit pas d’un litige pécuniaire en relation à la fonction publique et le principe de transparence tel que consacré à l’art. 8a al. 1 OrgG/SH ne lie pas les employeurs privés. Dès lors, le Conseil d’État ne peut être assimilé à une personne privée et se voir ainsi reconnaître la qualité pour recourir.
À propos des intérêts dignes de protection, le Conseil d’État fait notamment valoir qu’il s’agit de protéger ses employés et ainsi respecter son obligation de protection à leur égard. Les documents en question contiennent outre les données personnelles concernant le haut fonctionnaire aussi celles d’autres collaborateurs. À cet égard, la protection des données revêt une importance considérable et en l’absence de consentement des personnes intéressés la consultation des documents ne devrait être envisagée qu’à titre exceptionnel.
L’instance précédente ayant établi que l’ancien cadre a donné son accord à la consultation des documents le concernant, il reste qu’il ne peut consentir pour les autres collaborateurs. À cet égard, l’instance précédente avait renvoyé l’affaire au Conseil d’État pour déterminer l’étendue de la consultation des dossiers.
Par conséquent, le Tribunal fédéral considère qu’il n’y a pas d’intérêt digne de protection à l’annulation ou modification de la décision. Enfin, il n’examine pas le grief, insuffisamment motivé, avancé par le Conseil d’État qui fait valoir que l’anonymisation serait impossible, voire inappropriée en raison notamment de la taille réduite de l’unité en charge de cette question à Schaffhouse et d’une charge de travail importante.
Conclusion
En définitive, l’exécutif schaffhousois ne dispose donc pas de qualité pour recourir. Le Tribunal fédéral n’entre donc pas en matière sur le recours.
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral n’analyse pas l’étendue de consultation des dossiers. Néanmoins, il a estimé insuffisant la motivation du refus d’anonymisation présentée par le Conseil d’État. À l’avenir, il serait intéressant de voir quelle motivation – si elle existe – serait suffisante pour légitimer un refus total d’accès, notamment sur les éléments de ressources et de personnel.
Proposition de citation : Charlotte Beck, Pas de qualité pour recourir d’un canton dans un litige lié au principe de transparence, 7 mars 2023 in www.swissprivacy.law/206
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