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Le DPO et ses multiples casquettes face aux conflits d’intérêts

François Charlet, le 17 avril 2023
Un DPO ne peut pas se voir confier des missions ou des tâches qui le condui­raient à déter­mi­ner les fina­li­tés et les moyens d’un trai­te­ment de données person­nelles. Un conflit d’intérêts ne peut être déter­miné qu’au cas par cas sur la base d’une appré­cia­tion de l’ensemble des circons­tances pertinentes.

Arrêt CJUE C‑453/​21 du 9 février 2023

Faits

Dans le cadre d’une demande préju­di­cielle intro­duite devant la Cour de justice de l’Union euro­péenne (CJUE) par le Bundesarbeitsgericht alle­mand (Cour fédé­rale du travail), celle-ci a été invi­tée à inter­pré­ter l’art. 38 RGPD rela­tif à la fonc­tion du délé­gué à la protec­tion des données (DPO) en regard de certaines dispo­si­tions du droit allemand.

En juin 2015, l’entreprise X‑FAB, sa société mère ainsi que les autres filiales de cette dernière établies en Allemagne ont dési­gné comme DPO le président du comité d’entreprise (c.-à‑d. la repré­sen­ta­tion du person­nel dans l’entreprise) de X‑FAB, qui assume égale­ment la fonc­tion de vice‑président du comité central d’entreprise qui a été consti­tué pour trois entre­prises du groupe. Cette orga­ni­sa­tion a été pensée afin d’assurer un niveau uniforme de protec­tion des données dans lesdites entreprises.

Ces entre­prises ont relevé le DPO de ses fonc­tions avec effet immé­diat en décembre 2017, à la demande de l’autorité de protec­tion des données du Land de Thüringen. Le 25 mai 2018, elles ont à nouveau signi­fié au DPO la fin de son enga­ge­ment, le RGPD étant devenu appli­cable à cette date.

Le DPO a alors ouvert action devant les juri­dic­tions alle­mandes pour faire consta­ter qu’il était toujours DPO de X‑FAB, celle-ci soute­nant l’existence d’un conflit d’intérêts et d’une incom­pa­ti­bi­lité avec ses deux autres fonc­tions (à savoir président du comité d’entreprise de X‑FAB et vice‑président du comité central d’entreprise). Les instances précé­dant le Bundesarbeitsgericht ont donné raison au DPO.

Le Bundesarbeitsgericht soumet plusieurs ques­tions préju­di­cielles à la CJUE, dont celle de savoir si les fonc­tions de président du comité d’entreprise et de DPO peuvent être exer­cées par une seule et même personne ou si cela entraîne un conflit d’intérêts incom­pa­tible avec la fonc­tion de DPO. Cette ques­tion préju­di­cielle dépend de la réponse appor­tée à une autre ques­tion : l’art. 38 par. 3 deuxième phrase RGPD s’oppose-t-il à ce que la régle­men­ta­tion d’un État membre de l’UE soumette la révo­ca­tion d’un DPO à des condi­tions plus strictes que celles prévues par le droit de l’UE ?

L’interprétation de la CJUE

La CJUE commence par rappe­ler que les règles prévues dans le RGPD et visant à proté­ger un DPO contre sa révo­ca­tion ont pour seul but de préser­ver l’indépendance fonc­tion­nelle du DPO. Chaque État membre est donc libre, dans la limite de ses compé­tences, de prévoir des dispo­si­tions plus protec­trices à la condi­tion qu’elles soient compa­tibles avec le droit de l’UE et le RGPD en parti­cu­lier. Rappelant son arrêt C‑534/​20 du 22 juin 2022 dans lequel elle a jugé qu’un DPO pouvait être révo­qué au motif qu’il ne possé­de­rait plus les quali­tés profes­sion­nelles requises, la CJUE indique que ces dispo­si­tions plus protec­trices ne doivent pas avoir pour effet de compro­mettre la réali­sa­tion des objec­tifs du RGPD (cf. www./swissprivacy.law/209/). Ainsi, l’art. 38 par. 3 deuxième phrase RGPD ne s’oppose pas per se à une régle­men­ta­tion interne plus stricte rela­ti­ve­ment à la révo­ca­tion d’un DPO.

La ques­tion préju­di­cielle du conflit d’intérêts peut donc être analy­sée. Pour rappel, l’art. 38 par. 6 RGPD a la teneur suivante :

« Le délé­gué à la protec­tion des données peut exécu­ter d’autres missions et tâches. Le respon­sable du trai­te­ment ou le sous-trai­tant veillent à ce que ces missions et tâches n’en­traînent pas de conflit d’intérêts. »

À la lecture de la première phrase de cette dispo­si­tion, la CJUE déduit que « le RGPD n’établit pas d’incompatibilité de prin­cipe entre, d’une part, l’exercice des fonc­tions de [DPO] et, d’autre part, celui d’autres fonc­tions auprès du respon­sable du trai­te­ment ou de son sous-trai­tant ». Par consé­quent, d’autres tâches que celles figu­rant à l’art. 39 RGPD peuvent être confiées au DPO à la condi­tion qu’elles ne génèrent pas de conflit d’intérêts.. En d’autres termes, le DPO ne saurait se voir confier l’exécution de missions ou de tâches qui serait suscep­tible de nuire à l’exercice de ses fonc­tions de DPO. L’art. 38 par. 6 RGPD pour­suit égale­ment le but de préser­va­tion de l’indépendance fonc­tion­nelle du DPO.

Il en résulte qu’un DPO ne peut pas se voir confier des missions ou des tâches qui le condui­raient à déter­mi­ner les fina­li­tés et les moyens d’un trai­te­ment de données person­nelles, puisqu’une de ses fonc­tions de DPO consiste à contrô­ler de manière indé­pen­dante que ces fina­li­tés et moyens respectent le droit de l’UE. Il ne peut pas être juge et partie.

La CJUE conclut que la présence d’un conflit d’intérêts ne peut être déter­mi­née qu’au cas par cas et par le juge natio­nal, « sur la base d’une appré­cia­tion de l’ensemble des circons­tances perti­nentes, notam­ment de la struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle du respon­sable du trai­te­ment ou de son sous-trai­tant et à la lumière de l’ensemble de la régle­men­ta­tion appli­cable, y compris des éven­tuelles règles internes de ces derniers ».

Commentaire géné­ral

Le raison­ne­ment de la CJUE n’est pas surpre­nant pour qui connaît la teneur des Lignes direc­trices du Groupe de Travail Article 29 concer­nant les délé­gués à la protec­tion des données (DPD) du 13 décembre 2016, qui indiquent que « le DPD ne peut exer­cer au sein de l’organisme une fonc­tion qui l’amène à déter­mi­ner les fina­li­tés et les moyens du trai­te­ment de données à carac­tère person­nel. En raison de la struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle spéci­fique de chaque orga­nisme, cet aspect doit être étudié au cas par cas » (Lignes direc­trices du Groupe de Travail Article 29 concer­nant les délé­gués à la protec­tion des données (DPD) du 13 décembre 2016, p. 28).

Tout d’abord, il convient de rappe­ler que la fonc­tion de DPO peut être interne à une orga­ni­sa­tion, ou exter­na­li­sée. La CJUE ne faisant aucune distinc­tion dans son juge­ment, on en déduit que les règles sur le conflit d’intérêts s’appliquent égale­ment aux DPO externes.

Ensuite, la CJUE confirme (impli­ci­te­ment) qu’un DPO peut être démis de ses fonc­tions lorsque les quali­tés profes­sion­nelles requises pour remplir ses tâches lui font défaut.

En préci­sant qu’une analyse au cas par cas est néces­saire, la CJUE exige une prise en compte de tous les éléments propres à une situa­tion parti­cu­lière. L’analyse doit évidem­ment porter sur les éléments mention­nés dans l’arrêt, mais égale­ment sur le cahier des charges précis du DPO et des tâches qu’il mène effec­ti­ve­ment à bien. Le conflit d’intérêts ne peut être décou­vert qu’après une analyse minutieuse.

D’un point de vue pratique, cet arrêt devrait inci­ter une orga­ni­sa­tion (et son DPO) à établir un cahier des charges très clair pour le DPO, indi­quant ses tâches, préro­ga­tives ainsi que les compor­te­ments qu’il doit éviter pour tenir éloi­gnée la menace du conflit d’intérêts. À cette fin, il est ainsi possible de s’inspirer des tâches et du compor­te­ment d’un audi­teur, qui ne peut pas audi­ter son propre travail.

Dans le cas faisant l’objet du présent juge­ment, on ne sait pas si la fonc­tion de président du comité d’entreprise ou celle de vice‑président du comité central d’entreprise est compa­tible avec la fonc­tion de DPO. On peut en douter si la repré­sen­ta­tion du person­nel est amenée à trai­ter des données person­nelles de colla­bo­ra­teurs dans un ou plusieurs buts que cette repré­sen­ta­tion défi­nit (ou qui sont défi­nies dans la loi). La réponse serait iden­tique si elle parti­cipe, conjoin­te­ment à d’autres instances de l’entreprise, à la défi­ni­tion des buts et moyens de certains trai­te­ments, comme ceux rela­tifs à la sécu­rité ou à la surveillance. Dans tous les cas, la repré­sen­ta­tion du person­nel déci­de­rait des moyens de chaque trai­te­ment qu’elle met en œuvre, ce qui suffi­rait à rendre la fonc­tion de président de la repré­sen­ta­tion incom­pa­tible avec la fonc­tion de DPO.

Ce juge­ment ne signi­fie pas que le DPO a l’interdiction de trai­ter des données person­nelles. En plus de ses tâches de contrôle qui néces­si­te­ront au moins un accès aux données, il sera souvent amené à gérer les demandes d’exercice de droit des personnes concer­nées. Si les fina­li­tés des trai­te­ments néces­saires à la gestion de ces demandes figurent dans la loi, les moyens à déployer pour parve­nir à atteindre ces fina­li­tés sont à défi­nir par l’entreprise, avec le concours du DPO.

Commentaire d’un DPO en exercice

Dans les faits, un DPO n’est pas toujours « que » DPO. Certaines entre­prises dési­gnent en tant que DPO leur CISO, le CFO, le respon­sable de la gestion des risques voire le respon­sable du dépar­te­ment infor­ma­tique. C’est préci­sé­ment ce cumul de fonc­tions qui peut être problé­ma­tique (et qui l’est pour les fonc­tions susmen­tion­nées). Le fait que le DPO qui n’exerce pas d’autre fonc­tion ait un cahier des charges qui prévoit des tâches qui n’ont rien à voir avec la fonc­tion de DPO est une situa­tion plus facile à gérer du point de vue de la préven­tion des conflits d’intérêts. Il n’en demeure pas moins que le DPO doit possé­der les quali­tés profes­sion­nelles requises (notam­ment des connais­sances spécia­li­sées du droit et des pratiques en matière de protec­tion des données) pour accom­plir les missions que lui attri­bue le cadre légal (cf. art. 39 RGPD ; art. 10 nLPD). Le respon­sable du trai­te­ment ou le sous-trai­tant ne peut donc pas dési­gner DPO n’importe quelle personne interne ou externe à son entreprise.

La limite est parfois ténue entre les acti­vi­tés usuelles d’un DPO et la (parti­ci­pa­tion à la) déter­mi­na­tion des fina­li­tés et des moyens du trai­te­ment. Doit-on consi­dé­rer qu’un DPO parti­cipe à la déter­mi­na­tion de ces fina­li­tés et moyens lorsqu’il est consulté par un colla­bo­ra­teur qui cherche à savoir si les actions envi­sa­gées respectent le cadre légal et que, confor­mé­ment à son rôle de conseiller (art. 39 par. 1 let. a RGPD ; art. 10 al. 2 let. a nLPD), il indique au colla­bo­ra­teur comment procé­der pour remé­dier à la situa­tion ? Certains diront qu’il remplit sa fonc­tion et que son rôle consiste préci­sé­ment à orien­ter les colla­bo­ra­teurs et l’entreprise. D’autres affir­me­ront que la posture du DPO doit être celle d’un audi­teur qui ne doit en aucun cas formu­ler des propo­si­tions de solu­tions, mais se limi­ter à contrô­ler les trai­te­ments et à signa­ler ceux qui ne respectent pas les dispo­si­tions légales, en rappe­lant la teneur de ces dernières, tout en s’abstenant de parti­ci­per acti­ve­ment à la recherche d’une solution.

Dans de nombreuses situa­tions, le DPO sera confronté à une demande de « vali­da­tion » des mesures prises dans un projet pour respec­ter la légis­la­tion sur la protec­tion des données. Il est tentant de répondre posi­ti­ve­ment si tout paraît en règle, pour­tant cette vali­da­tion par le DPO pour­rait être perçue comme une parti­ci­pa­tion à la déter­mi­na­tion des fina­li­tés ou, à tout le moins, des moyens. La diffé­rence avec la situa­tion du para­graphe précé­dent réside dans la vali­da­tion alors que précé­dem­ment le DPO se conten­tait d’offrir ses conseils. Un DPO doit ainsi prendre garde à ne jamais appo­ser son sceau « approuvé », tant pour des ques­tions de conflit d’intérêts que de respon­sa­bi­li­tés civile ou pénale.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le nouveau droit suisse de la protec­tion des données diffère du droit euro­péen sur l’exigence d’indépendance et d’absence de conflit d’intérêts du DPO. En effet, alors que le droit euro­péen consacre cette exigence en tout état de cause (art. 38 al. 3 et 6 RGPD), le droit suisse n’impose la même chose que dans la situa­tion où le respon­sable du trai­te­ment veut se sous­traire à son obli­ga­tion de consul­ter le Préposé fédé­ral à la protec­tion des données et à la trans­pa­rence « lorsque l’analyse d’impact rela­tive à la protec­tion des données révèle que, malgré les mesures prévues par le respon­sable du trai­te­ment, le trai­te­ment envi­sagé présente encore un risque élevé pour la person­na­lité ou les droits fonda­men­taux de la personne concer­née » (art. 10 al. 3 cum art. 23 al. 1 et 4 nLPD). En d’autres termes, à moins que l’indépendance et l’exigence d’absence de conflit d’intérêts ne relèvent du cahier des charges du DPO, celui-ci reste­rait soumis aux instruc­tions de son employeur ou de son mandant (art. 321d CO, respec­ti­ve­ment art. 397 et 398 al. 1 CO). Le Parlement fédé­ral a ainsi nette­ment dimi­nué le statut du DPO en droit suisse par rapport à celui que prévoit encore l’art. 12b al. 2 OLPD, ce qui est des plus regrettables.



Proposition de citation : François Charlet, Le DPO et ses multiples casquettes face aux conflits d’intérêts, 17 avril 2023 in www.swissprivacy.law/220


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