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Citius, Altius, Fortius : Des données dopées

David Dias Matos, le 22 novembre 2023
Quelles sont les impli­ca­tions au niveau de la protec­tion des données d’une publi­ca­tion en ligne de la viola­tion des règles anti-dopage par un athlète ? C’est en substance la ques­tion préju­di­cielle à laquelle l’avocate géné­rale Tamara Ćapeta répond en vue de l’arrêt de fond de la CJUE.

Conclusions de l’avocate géné­rale Mme Tamara Ćapeta du 14 septembre 2023, Affaire de la Cour de justice de l’Union euro­péenne (CJUE) C‑115/​22.

Le 14 septembre 2023, l’Avocate géné­rale Tamara Ćapeta a rendu ses conclu­sions rela­tives à la lutte contre le dopage et la publi­ca­tion de données person­nelles d’un spor­tif dopé sur internet.

Dans cette affaire, une spor­tive profes­sion­nelle autri­chienne membre de la fédé­ra­tion natio­nale d’athlétisme a été recon­nue coupable d’avoir utilisé des produits dopant de 2015 à 2017. À la suite de cette consta­ta­tion, la Commission autri­chienne de lutte contre le dopage (Österreichische Anti-Doping-Rechtkommission « ÖADR ») a annulé tous les résul­tats de la spor­tive obte­nus pendant la période en ques­tion. Elle a égale­ment inva­lidé tous les résul­tats obte­nus, tout en impo­sant une inter­dic­tion de parti­ci­per à toute compé­ti­tion spor­tive pendant quatre ans. Cette déci­sion a été vali­dée par l’ÖADR ainsi que par la Commission indé­pen­dante d’ar­bi­trage autri­chienne (Unabhängige Schiedskommission « USK »).

L’agence indé­pen­dante de lutte contre le dopage autri­chienne (Nationale Anti-Doping Agentur « NADA ») a, confor­mé­ment au droit autri­chien, rendu public cette déci­sion sur inter­net. Cette publi­ca­tion contient le nom de l’athlète concer­née, le type de sport qu’elle pratique, les viola­tions des règles commises et la période de suspen­sion dans un tableau.

La spor­tive saisit alors l’USK d’une demande de réexa­men de la déci­sion afin de ne pas voir ses infor­ma­tions publiées. Cette commis­sion s’interroge alors sur la compa­ti­bi­lité avec le RGPD de la pratique consis­tant à divul­guer au public les données person­nelles de l’athlète sur le site inter­net de la NADA.

L’USK inter­roge en premier lieu la Cour de justice de l’Union euro­péenne (CJUE ou « la Cour ») afin de déter­mi­ner si la publi­ca­tion de la déci­sion anti­do­page est consi­dé­rée comme une infor­ma­tion rela­tive à la santé en vertu de l’art. 9 RGPD (ques­tion 1). Dans un deuxième temps, cette commis­sion demande si la publi­ca­tion remplit les condi­tions de licéité du trai­te­ment (art. 5 par. 1 let. a RGPD) et de mini­mi­sa­tion des données (art. 6 par. 3 RGPD) (ques­tions 2 et 3). Finalement, l’USK demande si la publi­ca­tion doit être comprise comme un trai­te­ment de données person­nelles rela­tives aux condam­na­tions pénales et aux infrac­tions de l’art. 10 RGPD et si elle fait partie des « auto­ri­tés publiques » selon cette même dispo­si­tion (ques­tions 4 et 5).

Avant d’aborder les ques­tions de fond, l’Avocate géné­rale examine la rece­va­bi­lité de la procé­dure de renvoi préju­di­ciel initiée par l’USK. Elle souligne que seules les « juri­dic­tions » peuvent solli­ci­ter de la Cour une inter­pré­ta­tion du droit de l’UE, confor­mé­ment à l’art. 267 TFUE. À la suite de cet examen, Mme Ćapeta conclut que, bien que l’USK ne relève pas du pouvoir judi­ciaire au sens tradi­tion­nel, elle consti­tue le tribu­nal arbi­tral « suprême » autri­chien. En raison de son orga­ni­sa­tion et de son fonc­tion­ne­ment, l’USK remplit les condi­tions de « juri­dic­tion » au sens de l’art. 267 TFUE et la demande devrait être décla­rée recevable.

Dans l’introduction de son analyse des ques­tions de fond, l’Avocate géné­rale exprime des réserves concer­nant l’applicabilité du RGPD. Elle argu­mente que le RGPD ne s’applique pas aux trai­te­ments de données person­nelles dans le cadre d’une acti­vité qui n’est pas soumise au champ d’application du droit de l’UE. Pour elle, le trai­te­ment de données person­nelles pour la mise en œuvre des règles natio­nales anti­do­page consti­tue préci­sé­ment une telle acti­vité hors-champ.

L’Avocate géné­rale fonde son raison­ne­ment sur le fait que l’UE n’est pas compé­tente pour régle­men­ter le sport. Selon la juris­pru­dence de la CJUE, le droit commu­nau­taire est appli­cable au sport, mais unique­ment dans les cas où le sport est consi­déré comme une acti­vité écono­mique. Or, ce n’est pas le cas ici. L’Avocate géné­ral a fait valoir que  « les règles anti­do­page régle­mentent essen­tiel­le­ment le sport en tant que sport » et se réfèrent plutôt aux fonc­tions sociales et éduca­tives du sport, et non à son carac­tère économique.

Elle conclut qu’aucune règle de droit de l’UE ne concerne, même indi­rec­te­ment, les poli­tiques de lutte contre le dopage des États membres et qu’aucun lien avec le droit de l’Union ne peut être établi avec un domaine du droit de l’UE. Par consé­quent, le RGPD ne s’appliquerait pas, selon elle, au cas d’espèce.

Malgré cette conclu­sion, l’Avocate géné­rale a tout de même analysé les ques­tions préju­di­cielles sous l’angle du RGPD.

Question 1 : La publi­ca­tion d’une déci­sion anti­do­page consti­tue-t-elle une « donnée concer­nant la santé » au sens de l’art. 9 RGPD ?

En ce qui concerne la première ques­tion, l’Avocate géné­rale explique que la défi­ni­tion de « données concer­nant la santé » de l’art. 4 ch. 15 RGPD comporte deux éléments. Il faut que les données soient liées à la santé physique ou mentale d’une personne physique et qu’elles révèlent des infor­ma­tions sur son état de santé.

En l’espèce, le constat que l’athlète a consommé ou était en posses­sion de certaines substances inter­dites ne dit rien sur son état de santé physique ou mentale. Tout comme la consom­ma­tion d’alcool ne dit rien sur la ques­tion de savoir si une personne souffre d’alcoolisme. Elle suggère donc à la Cour de juger que l’information selon laquelle un spor­tif profes­sion­nel a commis une viola­tion d’une règle anti­do­page liée à l’usage ou la posses­sion d’une substance inter­dite ne consti­tue pas une « donnée concer­nant la santé » selon l’art. 9 RGPD.

Questions 4 et 5 : La publi­ca­tion d’une déci­sion anti­do­page tombe-t-elle dans le champ d’application de l’art. 10 RGPD ?

L’Avocate géné­rale aborde ensuite la ques­tion de savoir si la divul­ga­tion au public du nom de la requé­rante, du fait de la viola­tion des règles anti­do­pages et de la sanc­tion qui lui a été infli­gée consti­tue un trai­te­ment de données person­nelles « rela­tives à la condam­na­tion pénale et aux infrac­tions » selon l’art. 10 RGPD. Il faudrait pour cela que la sanc­tion impo­sée pour la viola­tion des règles anti­do­page soit de nature pénale.

La sanc­tion doit être analy­sée par trois critères : sa quali­fi­ca­tion juri­dique en droit interne, la nature même de l’infraction et le degré de sévé­rité de la sanc­tion. Après analyse, l’Avocate géné­rale estime que la sanc­tion impo­sée en l’espèce a clai­re­ment pour but de péna­li­ser l’action de l’athlète et de la dissua­der, ainsi que d’autres athlètes, d’adopter le même compor­te­ment. Par consé­quent, la sanc­tion en l’espèce est de nature pénale et va au-delà de ce qui est consi­déré comme une simple mesure disci­pli­naire dans le sport. La publi­ca­tion de la déci­sion rentre donc bien dans le champ de l’art. 10 RGPD.

En revanche, le fait que l’USK traite ces données person­nelles ne fait pas d’elle une « auto­rité publique » au sens de l’art. 10 RGPD. Il ressort du droit natio­nal autri­chien que c’est la NADA qui assume le rôle d’« auto­rité publique » pour contrô­ler les acti­vi­tés de trai­te­ment de l’USK.

Questions 2 et 3 : La publi­ca­tion respecte-t-elle les condi­tions de licéité et de mini­mi­sa­tion des données ?

L’Avocate géné­rale termine ses conclu­sions par l’examen de la confor­mité de la publi­ca­tion vis-à-vis des condi­tions de licéité (art. 5 par. 1 let. a et c RGPD) et de mini­mi­sa­tion des données (art. 6 par. 3 RGPD).

Dans un premier temps, elle se demande si le RGPD exige un contrôle de propor­tion­na­lité par le respon­sable du trai­te­ment dans chaque cas parti­cu­lier. Dans le cas d’espèce, la NADA est la respon­sable du trai­te­ment (art. 4 ch. 7 RGPD). Elle est donc tenue de s’assurer que celui-ci soit réalisé de manière licite.

En l’espèce, l’Avocate géné­rale estime que le trai­te­ment, donc la publi­ca­tion sur inter­net, repose sur une obli­ga­tion légale prove­nant du droit autri­chien ou est néces­saire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou rele­vant de l’exercice de l’autorité publique dont le respon­sable du trai­te­ment est investi, respec­ti­ve­ment l’art. 6 par. 1 let. c ou e RGPD. Par consé­quent, le droit impo­sant le trai­te­ment des données person­nelles et adopté par le légis­la­teur autri­chien répond à un objec­tif d’intérêt public propor­tionné à l’objectif légi­time poursuivi.

Dès lors, le RGPD n’impose pas de procé­der à un contrôle de propor­tion­na­lité dans chaque cas parti­cu­lier, lorsque celui-ci a été réalisé en amont par le légis­la­teur durant le proces­sus légis­la­tif et qu’aucune marge de manœuvre n’a été laissée.

Dans un second temps, l’Avocate géné­rale examine si la divul­ga­tion au grand public exigée par le droit autri­chien était justi­fiée. L’objectif pour­suivi par la publi­ca­tion est de dissua­der les athlètes, notam­ment les plus jeunes, de recou­rir au dopage et d’informer les parties impli­quées d’une suspen­sion pour préve­nir toute tenta­tive de contour­ne­ment. En consé­quence, l’Avocate géné­rale conclut que la publi­ca­tion d’une viola­tion des règles anti­do­page était à la fois adéquate et indispensable.

L’Avocate géné­rale est donc en désac­cord avec l’avis du groupe de travail « article 29 » qui consi­dé­rait que la publi­ca­tion d’informations anonymes sur les viola­tions et les sanc­tions suffi­rait aux fins de dissua­der d’autres spor­tifs. Pour elle, la connais­sance de la possi­bi­lité de voir son nom publié en rela­tion avec la viola­tion d’une règle anti­do­page a un effet dissua­sif supplé­men­taire. De surcroit, il n’existerait pas d’autres moda­li­tés de commu­ni­ca­tion aussi effi­caces qu’une publi­ca­tion sur internet.

L’Avocate géné­rale conclut alors que la publi­ca­tion obli­ga­toire de la viola­tion des règles anti­do­page est propor­tion­née, car, à la fois adéquate et néces­saire pour réali­ser la fonc­tion préven­tive consis­tant à dissua­der les spor­tifs présents et futurs de commettre une viola­tion simi­laire en utili­sant un mini­mum d’information pour le faire.

Conclusion

Les conclu­sions de l’Avocate géné­rale sont notables à plusieurs égards, mais il n’est pas certain que la CJUE les adopte inté­gra­le­ment. Limitons-nous ici à en trai­ter certains aspects.

Sur la ques­tion de l’applicabilité du RGPD au cas d’espèce, l’opinion de l’Avocate géné­rale est discu­table. En effet, on pour­rait argu­men­ter qu’il ne soit pas néces­saire de dire si le sport fait partie des domaines trai­tés par le droit de l’UE ou non. Nous sommes en présence d’un trai­te­ment de données person­nelles, dont le respon­sable du trai­te­ment est situé en UE, ce qui semble suffi­sant pour appli­quer le RGPD.

De plus, l’Avocate géné­rale base son raison­ne­ment sur le fait qu’en l’espèce ce sont les fonc­tions sociales et éduca­tives de la règle­men­ta­tion anti­do­page qui prédo­minent. Or, la CJUE a déjà par le passé relevé la fonc­tion écono­mique de ces règle­men­ta­tions (par ex : arrêt CJUE, C‑519/​04 P). Les règle­men­ta­tions anti­do­page dans leur ensemble sont au contraire bien suscep­tibles d’avoir un impact écono­mique sur la situa­tion des athlètes concer­nés. Les trai­te­ments de données person­nelles en décou­lant devraient donc bien tomber dans le champ d’application du RGPD.

L’indication de l’usage ou de la posses­sion de produits dopant comme n’étant pas une donnée sensible risque égale­ment de faire l’objet de stimu­lantes discus­sions de la part de la CJUE. Cela sera l’occasion pour nous de reve­nir sur cette notion.



Proposition de citation : David Dias Matos, Citius, Altius, Fortius : Des données dopées, 22 novembre 2023 in www.swissprivacy.law/268


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