« AI Washing » comme un sentiment de déjà-vu
SEC Order – Delphia ; SEC Order – Global Predictions
L’intelligence artificielle (IA) est devenue un argument de vente incontournable pour les sociétés. Jusqu’au point où certaines abusent de déclarations prometteuses sur l’IA et son intégration dans leurs services. Cet enthousiasme peut présenter un risque, notamment si les déclarations induisent en erreur leurs clients ou investisseurs. Cette pratique est d’ailleurs appelée « AI Washing » par la U.S. Securities and Exchange Commission (SEC). Cette problématique est bien connue dans d’autres domaines, notamment dans celui de la finance durable avec l’écoblanchiment (greenwashing).
Le 18 mars 2024, la SEC a engagé les premières poursuites pour « AI washing » contre deux sociétés américaines : Delphia (USA) Inc. et Global Predictions Inc. Selon la SEC, ces deux sociétés auraient induit en erreur leurs clients et de potentiels clients dans des communications publicitaires en lien avec l’utilisation de l’IA. Elles auraient ainsi violé la section 206(4) du Investment Advisers Act of 1940 [15 U.S.C. 80b–6(4)] et la Rule 206(4)-1.
Il ressort de l’ordonnance contre Delphia que la société avait affirmé en décembre 2019 être « the first investment adviser to convert personal data into a renewable source of investable capital […] that will allow consumers to invest in the stock market using their personal data ». Elle avait aussi déclaré que « Delphia uses machine learning to analyze the collective data shared by its members to make intelligent investment decisions ». Or, lors d’un audit mené par la SEC en juillet 2021, Delphia avait admis qu’aucun algorithme utilisant les données de ses clients n’avait été développé. En octobre 2021, elle informe la SEC qu’un examen allait être mené afin de corriger toute déclaration fausse ou trompeuse que pouvait contenir leur documentation en lien avec l’utilisation de l’IA et le prétendu algorithme développé. Cependant, Delphia a continué de faire de fausses déclarations jusqu’en août 2023, en particulier, dans ses communications avec ses clients.
Pour sa part, Global Predictions avait déclaré sur son site internet que sa technologie incorporait des prévisions fondées sur l’IA, ce qui n’était en réalité pas le cas. En outre, elle avait indiqué sur ses canaux de communication être le premier AI financial advisor réglementé alors qu’aucun document ne confirmait cette déclaration.
Sans admettre ni infirmer les accusations de la SEC, les deux sociétés ont accepté de payer USD 400’000.- à titre de civil penalties afin de clore la procédure. Il est toutefois intéressant d’analyser brièvement la section 206(4) du Investment Advisers Act et la Rule 206(4)-1 ainsi que d’examiner, par la suite, les dispositions suisses qui pourraient s’appliquer dans un tel cas.
La section 206(4) du Investment Advisers Act - qui est précisée par la Rule 206(4)-1 – interdit à tout investment adviser (conseiller en investissement) enregistré ou tenu de l’être de diffuser une publicité qui induirait en erreur des clients ou potentiels clients, en raison de déclarations fausses ou trompeuses qu’elle comporterait. Un guide de la SEC précise la Rule 206(4)-1 en clarifiant à qui s’adresse la section 206(4) du Investment Advisers Act, ce qu’il faut entendre par publicité ou encore quelles sont les pratiques interdites. En substance, la SEC considère que les déclarations de Delphia et Global Predictions constituent de la publicité et que les deux sociétés ont violé la section 206(4) du Investment Advisers Act et la Rule 206(4)-1 en diffusant dans leur publicité des déclarations fausses sur des faits matériels qui se rapportaient à leur utilisation de l’IA.
En droit suisse, les communications publicitaires fausses ou trompeuses sont régies par l’art. 3 al. 1 let. b LCD. Cette disposition prévoit notamment qu’agit de manière déloyale toute personne qui donne des indications inexactes ou fallacieuses sur elle-même, son entreprise, ses marchandises, ses prestations, ses prix, ses stocks, ses affaires, etc. Le non-respect de l’art. 3 LCD peut entraîner des poursuites pénales (cf. art. 23 LCD). La pratique de « AI washing » ne se limite pas uniquement aux communications publicitaires, mais peut également concerner les informations données aux clients au moment de la signature d’un contrat de fourniture de services financiers ou ultérieurement si nous nous trouvons dans une relation durable. À cet égard, les règles de la LSFin et du CO sur l’obligation d’informer (cf. notamment art. 8 LSFin et 398 al. 1 CO) devraient vraisemblablement s’appliquer. Le droit suisse n’est donc pas exempt de solutions pour lutter contre les pratiques de « AI washing ». Dans les prochaines années, la Suisse connaîtra certainement des cas de « AI washing ». Il sera alors intéressant de voir quelles seront les approches adoptées par les autorités et les tribunaux à ce sujet.
Avec cette affaire, la SEC donne ainsi un premier signal d’avertissement aux sociétés qui adopteraient des pratiques de « AI washing ». De manière générale, la SEC applique un principe simple, à savoir que les déclarations destinées au public doivent correspondre à la réalité des faits, sans quoi la SEC les considère comme étant trompeuses (sur une autre affaire, cf. swissprivacy.law/278/). Par conséquent, les investment advisers devront à l’avenir s’assurer que leurs communications promotionnelles en relation aux modèles d’IA utilisés et leur intégration dans les services destinés à la clientèle soient conformes à la réalité. Dans le cas contraire, elles risquent d’être accusées de « AI washing ». Finalement, il est, selon nous, vraisemblable que la SEC surveillera attentivement les communications destinées aux marchés financiers, notamment celles en lien à des projets d’IA pouvant avoir un impact sur la croissance économique d’une société.
Proposition de citation : Yannick Caballero Cuevas, « AI Washing » comme un sentiment de déjà-vu, 3 avril 2024 in www.swissprivacy.law/291
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