L’accès aux pratiques en matière d’asile : pas de secret
Arrêt du Tribunal fédéral 1C_412/2022 du 9 août 2023
Dans le cadre de l’un de ses mandats, un avocat adresse au Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) une demande d’accès à des documents officiels (art. 6 LTrans). Cette demande vise divers documents concernant l’Érythrée, notamment un document interne relatif aux pratiques en matière d’asile concernant cet État connu sous l’acronyme « APPA ». Le document formule des lignes directrices à l’attention du personnel du SEM dans la pratique en matière d’asile et de renvoi vers un pays d’origine donné.
Le SEM accorde un accès sans restriction aux documents demandés, à l’exception de l’APPA sur l’Érythrée. Le refus est fondé sur l’exception prévue à l’art. 7 al. 1 let. b LTrans au motif que la communication de ce document constituerait une forme de directive pour les requérants d’asile en leur fournissant des indications sur la procédure d’asile en Suisse, ce qui pourrait avoir une influence sur les motifs de départ invoqués par les requérants d’asile. Pour le SEM, divulguer ce document constitue un risque significatif à la bonne exécution de son mandat dans le cadre des procédures d’asile, ainsi qu’au travail du Tribunal administratif fédéral.
À la suite d’une recommandation du PFPDT qui préconise l’accès au document, tout en caviardant les passages remplissant les conditions de l’art. 7 al. 1 let. b LTrans (cf. https://swissprivacy.law/2/) en vue d’éviter un effet d’apprentissage auprès des requérants, le SEM réitère son refus. En outre, il se prévaut de l’exception prévue à l’art. 7 al. 1 let. d LTrans (compromission des intérêts de la Suisse en matière de politique extérieure et ses relations internationales). Le SEM est d’avis que l’APPA sur l’Érythrée exprimerait, à tout le moins de manière implicite, un point de vue critique sur l’action du gouvernement érythréen qui pourrait compromettre les relations internationales entre ces États.
Saisi d’un recours à la suite de ce refus, le Tribunal administratif fédéral réforme la décision du SEM et accorde un accès à l’APPA sur l’Érythrée à l’exclusion des informations entraînant un effet d’apprentissage (TAF A‑2022/2021 du 7 juin 2022). Le Département fédéral de justice et police recourt contre cette décision auprès du Tribunal fédéral.
À titre liminaire, notre Haute Cour rappelle le changement de paradigme introduit par la LTrans qui fonde une présomption en faveur du libre accès aux documents officiels. Cette présomption ne peut être renversée qu’au motif d’un risque de survenance hautement probable de l’une des clauses d’exceptions figurant à l’art. 7 al. 1 LTrans. Dans tous les cas, en application du principe de la proportionnalité, lorsqu’une limitation paraît justifiée, l’autorité doit choisir la variante la moins incisive, c’est-à-dire qui porte le moins possible atteinte au principe de la transparence et ce notamment en envisageant un accès partiel.
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral examine l’exception prévue à l’art. 7 al. 1 let. b LTrans. Cette disposition garantit la confidentialité des informations lors de la préparation de mesures concrètes par une autorité. Pour que l’exception puisse être retenue, le maintien du secret doit être considéré comme une condition sine qua non du succès de la mesure et non pas une simple entrave potentielle.
Renvoyant au raisonnement fort détaillé du Tribunal administratif fédéral, le Tribunal fédéral écarte l’argument formulé par le SEM selon lequel la consolidation par l’APPA de tous les éléments et motifs envisagés pour les requêtes d’asile simplifierait les investigations des requérants d’asile. Une telle motivation s’avère contraire au principe de la transparence, lequel doit permettre au citoyen de tirer profit du travail de compilation d’informations effectué par l’autorité. Ainsi, « (le) refus d’accès à un document officiel ne saurait dès lors être motivé par le seul fait de protéger le travail de plus-value apporté par l’administration ». Il est de surcroît reproché au SEM, alors qu’il lui appartenait de le faire, de ne pas apporter la démonstration de l’entrave à son travail. En effet, le SEM se contente d’alléguer que l’accès à l’APPA sur l’Érythrée rendrait son travail plus ardu.
Dans un second temps, notre Haute Cour se penche sur l’art. 7 al. 1 let. d LTrans qui permet de limiter, différer ou refuser l’accès à un document officiel qui risque de compromettre les intérêts de la Suisse en matière de politique extérieure et ses relations internationales. C’est sur la notion juridique indéterminée de « risque » que porte l’examen des juges de Mon Repos. S’appuyant sur sa jurisprudence (ATF 142 II 313, consid. 4.3 ; cf. https://www.lawinside.ch/264/), le Tribunal fédéral rappelle que les autorités judiciaires ne doivent revoir l’opportunité politique d’une décision de refus d’accès fondée sur l’art. 7 al. 1 let. d LTrans qu’avec une certaine retenue. Néanmoins, celles-ci restent pleinement compétentes pour l’appréciation juridique du litige, en particulier pour déterminer si et dans quelle mesure il existe une composante politique et si la marge de manœuvre des autorités a été utilisée conformément à leurs obligations. Les autorités doivent en effet prendre leurs décisions de manière objective et exercer leur pouvoir d’appréciation de manière conforme à leur devoir.
Dans le cas d’espèce, le SEM soutient que l’accès à l’APPA sur l’Érythrée constituerait un précédent qui entraînerait inéluctablement de nouvelles demandes d’accès aux APPA d’États autoritaires. Or, selon le SEM, ces derniers pourraient faire usage de tels documents pour faire entrer leurs agents en Suisse en les faisant passer pour des requérants d’asile. À nouveau, le Tribunal fédéral relève de manière implicite qu’une simple affirmation ne saurait renverser la présomption en faveur du libre accès aux documents officiels, qui plus est, lorsque ce renversement est confronté à des arguments détaillés.
Par conséquent, l’accès restreint à l’APPA sur l’Érythrée est confirmé et le recours est rejeté.
Il ressort de cet arrêt que la marge de manœuvre dont jouissent les autorités pour s’opposer au principe de la transparence dépend de manière importante de leur capacité à motiver l’exception dont elles se prévalent et à veiller au respect de la proportionnalité. En effet, la transparence est la règle et le secret l’exception. À défaut d’une telle motivation, la présomption en faveur de la transparence n’est pas renversée.
Proposition de citation : Nathanaël Pascal, L’accès aux pratiques en matière d’asile : pas de secret, 8 avril 2024 in www.swissprivacy.law/292
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