Les systèmes de protection de données au Canada et en Suisse
Nota bene : La présente contribution fait partie d’une série de deux contributions consacrées au cadre juridique canadien en matière de protection des données (cf. www.swissprivacy.law/296). Cette première contribution présente une comparaison entre les systèmes suisses et canadiens en matière de protection des données.
I. Présentation générale du système fédéral canadien
La structure politique du Canada, tout comme celle de la Suisse, se caractérise par son statut d’État fédéral. Ainsi, la Constitution du Canada (anciennement appelée l’Acte de l’Amérique du Nord britannique) répartit les pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux en énonçant clairement les compétences de chacun.
Cette doctrine de l’exclusivité implique que seule l’entité à qui ces pouvoirs sont délégués est habilitée à légiférer. L’autre ordre gouvernemental ne pourrait intervenir ou réguler dans ce domaine spécifique. Ce système de distribution des pouvoirs est enraciné à la partie VI de la Loi Constitutionnelle de 1867. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :
L’art. 91 dispose que le Parlement du Canada est exclusivement compétent, notamment en ce qui concerne :
- La défense nationale ;
- La réglementation du trafic et du commerce ;
- Le cours monétaire ;
- Les affaires étrangères et
- La loi criminelle.
L’intention du législateur étant de garantir une uniformité dans des questions qui touchent l’ensemble du pays. Les compétences du gouvernement fédéral s’apparentent à celles de la Confédération Suisse.
L’art. 92 prévoit que les législatures parlementaires (des provinces) sont exclusivement compétentes en ce qui concerne, par exemple :
- L’éducation ;
- La santé ;
- La propriété et
- Les droits civils dans ladite province.
Comparées aux cantons suisses, les provinces ne sont pas dotées de toute compétence qui n’est pas expressément dévolue au Parlement du Canada. Au contraire, notons que le gouvernement fédéral possède une capacité dite résiduelle en ce qui concerne les domaines émergents non prévus dans la Loi Constitutionnelle de 1867. On prendra, par exemple, les nouveaux moyens de communication ou encore l’aéronautique.
Il existe toutefois certaines matières, comme en immigration ou en agriculture, où les deux paliers ont un pouvoir concurrent d’édicter des lois.
En matière de protection des données, la compétence est attribuée au gouvernement qui est responsable du secteur d’activité. Ainsi, si une question touche le domaine de la santé (un élément qui figure à la liste de l’art. 92 ), ça sera alors la province qui régit la loi en la matière.
II. Similitudes et divergences du cadre législatif canadien en matière de protection des données
Au Canada, la distinction entre le secteur privé et le secteur public en matière de protection des données s’observe autant au niveau fédéral que provincial. Malgré cette disparité manifeste, les deux systèmes partagent des principes fondamentaux largement similaires.
a) Au niveau fédéral
Contrairement à la Suisse, où la Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la protection des données (LPD) s’applique aussi bien au traitement des données effectuées par des personnes privées que par des organes fédéraux (art. 2 al. 1 LPD), au Canada, chaque secteur est réglementé par une loi distincte.
Tout d’abord, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) est la loi applicable en matière de protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Plus précisément, elle protège les individus dont les données sont traitées par des organisations qui exercent des activités commerciales et qui relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. On se rappellera que ces activités doivent donc relever, par exemple, du cours monétaire ou encore des affaires étrangères. Si l’entreprise opère dans des secteurs spécifiques réglementés par des lois fédérales, malgré l’absence d’activité commerciale, des lois sectorielles s’appliquent.
Selon la LPRPDE, une donnée à caractère personnel est définie comme étant toute information relative à une personne identifiable, comprenant des éléments tels que l’âge, le nom, un numéro d’identification, le revenu, l’origine ethnique, etc. En ce qui concerne l’activité commerciale, on définit cette dernière comme toute activité régulière ou isolée revêtant un aspect commercial.
La LPD consacre une approche fondée sur le niveau de risque, elle catégorise donc le type de données. Ainsi, elle distingue les données personnelles des données personnelles dites sensibles. La LPRPDE ne fait pas cette distinction de manière spécifique. Néanmoins, la jurisprudence clarifie cette notion et reconnaît que certaines données peuvent être plus délicates que d’autres et qu’elles requièrent dès lors un traitement plus prudent.
Les principes directeurs de la LPRPDE, énoncés dans l’annexe I, englobent des éléments tels que le consentement, la limitation de la collecte, l’exactitude, les mesures de sécurité, la transparence, l’accès aux renseignements personnels. Ce cadre est établi afin de garantir un équilibre entre la préservation de la vie privée de l’individu et des impératifs d’innovation des organisations, lorsque les renseignements personnels sont utilisés à des fins commerciales légitimes. Ainsi, la collecte, l’utilisation et la communication de ces données sont limitées aux fins que toute personne raisonnable estimerait acceptable dans les circonstances. Cette notion s’apparente aux principes de la LPD : les finalités doivent être déterminées et reconnaissables pour la personne concernée.
Par ailleurs, au Canada, il existe un organisme indépendant chargé de veiller au respect de la LPRPDE. Ce dernier s’intitule le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Il joue un rôle équivalent à l’autorité suisse de surveillance, à savoir le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT), qui surveille la bonne application des dispositions fédérales. Ainsi, une personne peut déposer une plainte par rapport à toute violation de la loi. De surcroît, et s’il existe des motifs raisonnables, le Commissaire peut également déposer une plainte. L’accusation portée concernant une violation de la LPRPDE peut être pénale. Pour se faire, le Commissaire devra déposer l’ensemble de la preuve auprès du Service des Poursuites Pénales du Canada (SPPC), qui n’interviendra que s’il existe suffisamment de motifs raisonnables.
Les institutions fédérales sont quant à elles exclues du champ d’application de la LPRPDE. En effet, c’est plutôt la Loi sur la protection des renseignements personnels qui vient compléter la législation canadienne et qui est applicable dans le secteur public. Il est entendu par institution fédérale tout ministère ou département d’État qui relève du gouvernement du Canada. Néanmoins, les seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités. À titre d’exemple, le traitement de ces renseignements se fait dans le cadre de perceptions et remboursements des impôts ou encore en matière d’assurance-emploi. Typiquement, ces missions requièrent que le gouvernement obtienne de l’information au sujet de sa population, afin de favoriser l’élaboration de politiques adaptées et éclairées.
Parallèlement, il est intéressant de parler de la Loi sur l’accès à l’information qui permet à tout individu (peu importe sa nationalité ou lieu de résidence) un droit d’accès à tout document relevant d’une institution fédérale. Cette demande se fait par écrit auprès de l’institution fédérale concernée. La demande peut se voir refuser si cette dernière est vexatoire, entachée de mauvaise foi ou constitue un abus de droit de faire une demande de communication. Ces motifs sont assez similaires à ceux que l’on retrouve dans la Loi fédérale du 17 décembre 2004 sur le principe de transparence dans l’administration (LTrans). Dans les deux cas, le motif de refus intégral ou partiel doit être communiqué à la personne concernée.
Ainsi, nous pouvons constater que le cadre législatif fédéral canadien présente de nombreuses similitudes avec celui de la LPD et de la LTrans en ce qui concerne les principes fondamentaux de la protection des données. Cependant, la LPRPDE limite son champ d’application en focalisant sur les organisations exerçant des activités commerciales par rapport à la législation suisse et le modèle européen qui ont une portée plus large, couvrant également les activités des organisations du secteur public.
De plus, le système de protection des données canadien, tout comme aux États-Unis avec des lois telles que la California Consumer Privacy Act (CCPA), s’inscrit dans un modèle de régulation anglo-saxonne. Cette approche met souvent l’accent sur les droits individuels et la responsabilité des entreprises, tout en permettant une certaine flexibilité dans la gestion des données personnelles. Le modèle européen privilégie une approche axée sur le risque.
Ces diversités de perspectives et d’approches soulignent les défis et les opportunités que présente la protection des données à l’échelle mondiale.
b) Au niveau provincial
Il convient de noter que chaque province peut soit appliquer la LPRPDE dans sa juridiction ou bien peut mettre en place sa propre législation en ce qui concerne la protection des renseignements personnels. Dans le cas où une province décide d’adopter sa propre législation, celle-ci peut être similaire à la loi fédérale ou présenter des différences significatives en fonction des besoins et des priorités de la province. Cependant, même si une province met en place sa propre loi sur la protection des renseignements personnels, la LPRPDE continuera de s’appliquer dans cette province à moins que le gouverneur en conseil n’exempte l’application de la loi fédérale dans cette province s’il estime que le niveau de protection est adéquat. Nous verrons ci-après les exemples de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et du Québec qui sont les trois provinces ayant mis en place une telle législation.
Le secteur public et le secteur privé sont encore une fois réglementés séparément au niveau provincial en fonction des compétences des parlements provinciaux.
Cette conception n’est pas étrangère au système suisse puisque similairement, les cantons suisses ont la compétence de légiférer en matière de traitements de données réalisés par un organe cantonal ou communal.
Ainsi, en Alberta, la protection des données personnelles dans le secteur privé est régie par la Personnal Information Protection Act. Alors que la protection des données personnelles dans le secteur public est plutôt régie par la Freedom of Information and Protection of Privacy Act.
En Colombie-Britannique, la loi pertinente dans le secteur privé est la Personal Information Protection Act. Dans le secteur public, c’est plutôt la Freedom of Information and Protection of Privact Act.
Le Québec départage également sa législation entre le secteur privé et le secteur public. Au privé, on retrouve la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Au public, on retrouve la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Cette loi concerne les organismes gouvernementaux et les organismes publics québécois.
Notons que les lois de ces trois provinces ont été jugées essentiellement similaires à la LPRPDE. Elles sont conçues pour offrir une protection essentiellement similaire à la loi fédérale. Ainsi, une organisation qui fait affaire au Canada peut être exemptée, par le gouverneur en conseil, de se conformer à la loi fédérale au Québec, en Colombie-Britannique, ainsi qu’en Alberta (toujours à condition que, après examen des dispositions de la loi provinciale, cette dernière offre une protection adéquate et équivalente à celle de la LPRPDE).
La LPRPDE s’appliquera en revanche dans les provinces canadiennes suivantes : l’Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador. Cela étant le choix desdites provinces de ne pas créer leur propre législation en matière de protection des données dans leur juridiction, tout dépendamment de leurs priorités et besoins spécifiques.
III. La protection des données dans la province du Québec
En 2021, une réforme législative majeure s’est progressivement instaurée en matière de protection des données et s’échelonne sur une période de 3 ans, soit jusqu’en 2024. Cette récente adoption a pour but de renforcer la protection des personnes concernées et exige des entreprises un niveau plus élevé de transparence tant au niveau du secteur privé que du secteur public. La loi s’intitule la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (Loi 25). Notons que cette révision législative s’inspire incontestablement du droit européen et donc du Règlement général sur la protection des données.
IV. Conclusion
En conclusion, l’analyse comparative des systèmes de protection des données au Canada et en Suisse révèle des similitudes et des différences significatives. Les deux pays partagent une structure fédérale, répartissant les compétences entre les ordres gouvernementaux, mais présentent des nuances dans la manière dont ils abordent la protection des renseignements personnels. Alors que le Canada adopte une approche sectorielle avec des lois distinctes pour le secteur privé et public, la Suisse et l’Union européenne ont des lois unifiées couvrant les deux secteurs. En outre, le système anglo-saxon met l’accent sur la notion d’activité commerciale dans la règlementation des renseignements personnels, marquant ainsi une distinction supplémentaire.
Proposition de citation : Azza Khelil, Les systèmes de protection de données au Canada et en Suisse, 23 avril 2024 in www.swissprivacy.law/295
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