Je veux y accéder, ça me concerne !
I. Introduction
Le Tribunal fédéral a rendu le 6 octobre 2023 la décision 8C_723/2022 relative, notamment, à la question du droit d’accès suite à un recours contre la décision du tribunal des assurances sociales du canton de Zurich. La recourante a souhaité exercer son droit d’accès afin d’obtenir des informations lui permettant de prouver qu’elle a été limitée dans le cadre de l’expertise menant aux conclusions faites par l’assurance invalidité. Cet arrêt renforce et confirme l’avis du Tribunal fédéral au sujet du droit d’accès octroyé par le nouvel art. 25 de la loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la protection des données [LPD ; RS 235.1], en vigueur depuis le 1er septembre 2023 (anciennement l’art. 8 de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données).
II. Le rappel du Tribunal fédéral
Cet arrêt rendu sous l’égide de l’ancienne loi, mais prenant en compte et mentionnant la nouvelle LPD, prévoit que le droit d’accès se destine à permettre à la personne concernée d’exercer ses autres droits en matière de protection des données. Sa finalité est de vérifier le traitement qui est fait des données personnelles afin que la personne concernée se trouve en mesure d’apprécier si le traitement est conforme à la règlementation en vigueur et si les données sont correctes et à jour. En d’autres termes, le droit d’accès permet à la personne concernée de vérifier s’il se justifie de faire usage de son droit de rectification, d’effacement ou de destruction des données, du droit d’interdiction du traitement ou de communication à des tiers.
En l’espèce, la recourante souhaite, à travers l’exercice de son droit d’accès auprès de l’assurance invalidité, obtenir les informations démontrant qu’elle est limitée dans sa capacité de travailler. Son but est donc de faire usage du droit d’accès afin de demander l’exécution d’une prétention relevant du droit des assurances sociales. Le Tribunal fédéral est d’avis que cette finalité ne correspond manifestement pas à l’objectif visé par la LPD [« Nachdem diese Zielsetzung offenkundig nicht mit derjenigen des DSG übereinstimmt (vgl. dazu ferner : Art. 26 Abs. 1 lit. c DSG) »].
Le Tribunal fédéral rappelle ici l’ATF 140 V 464 dans lequel il avait, le 19 septembre 2014, consacré son considérant 4.2 à l’objectif visé par le droit d’accès de l’ancienne LPD. Dans le cadre d’une succession, une héritière souhaitait consulter le dossier AVS de ses défunts-parents. Pour cela, elle a dans un premier temps fait valoir son droit à la consultation de l’art. 47 al. 1 let. a LPGA. Le Tribunal fédéral avait considéré que ce droit n’est transmissible par voie successorale que dans le cadre du droit procédural d’être entendu qui ne trouve ici pas application (consid. 4.1). La recourante a également fait valoir son droit d’accès au sens de l’art. 8 de l’ancienne LPD qui est un droit strictement personnel et donc, en premier lieu, n’est pas transmissible par voie de succession et en second lieu ne trouve application que dans la mesure où il correspond aux objectifs visés par la loi sur la protection des données.
Dans le cas d’espèce, la jurisprudence a retenu que la finalité de la demande visant exclusivement à évaluer les chances de succès dans le cadre d’une procédure tierce est abusive. Le Tribunal fédéral insiste sur le fait que ce droit est destiné à permettre à la personne concernée à exercer ses autres droits en matière de protection des données [« Das Auskunftsrecht nach Art. 8 DSG ist dazu bestimmt, den Betroffenen in die Lage zu versetzen, seine übrigen Datenschutzrechte wahrzunehmen (BGE 139 V 492 E. 3.2 S. 494 mit Hinweisen). […] Das Gesuch der Beschwerdeführerin ist ausschliesslich in der Verfolgung eines erbrechtlichen Anspruchs begründet. Eingedenk dieser Zielsetzung, welche nicht mit derjenigen des DSG übereinstimmt, kann sich die Beschwerdeführerin nicht auf das datenschutzrechtliche Auskunftsrecht berufen. »]. Il s’agit donc d’une jurisprudence constante en Suisse sur laquelle les responsables de traitements peuvent s’appuyer.
III. Quelques éléments de réflexions discursifs autour du droit d’accès
Le 1er septembre 2023 a été marqué par l’entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la protection des données qui a également impactée le droit d’accès octroyé aux personnes concernées. L’art. 25 LPD apporte de nouvelles précisions à son alinéa 2 s’agissant des informations qui doivent être reçues par la personne concernée insistant également sur la finalité du droit d’accès, soit le fait pour la personne concernée de recevoir « […] les informations nécessaires pour qu’elle puisse faire valoir ses droits selon la présente loi et pour que la transparence du traitement soit garantie ».
Dans la pratique, il est important d’avoir connaissance de la position du Tribunal fédéral dans le cadre des obligations relatives à la protection des données personnelles au sein d’une personne morale qui, dans le cadre de son exercice, traite des données personnelles. Le droit d’accès de l’art. 25 LPD fait partie des droits octroyés aux personnes concernées au même titre que le droit à la remise ou à la transmission des données personnelles (art. 28 LPD). Le droit d’accès impose un délai de réponse de 30 jours dès la réception de la demande (art. 25 al. 7 LPD cum art. 18 al. 1 de l’Ordonnance sur la protection des données du 31 août 2022 (OPDo), ce délai pouvant être prolongé moyennant une information à la personne demandée et une indication du délai dans lequel une réponse sera apportée (art. 18 al. 2 OPDo).
Malgré le fait que cette responsabilité incombe généralement au Délégué à la Protection des Données (DPO), il s’agit en réalité d’un travail d’équipe qu’il est nécessaire de centraliser auprès d’une personne responsable, c’est-à-dire que toutes les demandes, peu importe par quel canal elles sont reçues, doivent être transmises au DPO s’il a été nommé ou à une personne responsable de coordonner les exercices de réponses aux demandes des personnes concernées. A cette fin, un travail de communication tant interne à l’organisation qu’externe – s’agissant des informations nécessaires aux personnes concernées afin d’exercer leurs droits – est vivement conseillé. Une organisation interne et un plan d’action cohérent, fonctionnel et opérationnel sont des objectifs fondamentaux au sein d’une entité qui traite des données personnelles, étant donné qu’un refus de communication ainsi qu’une communication intentionnellement incomplète ou fausse peut être sanctionnée, sur plainte, d’une amende de 250 000.- CHF au plus (art. 60 al. 1 let. a LPD).
A la réception de la requête, le responsable de traitement devra s’appuyer sur les art. 16 ss OPDo, en commençant notamment par procéder aux vérifications qu’il juge nécessaires afin de s’assurer que la demande a bien été faite par la personne concernée (art. 16 al. 5 OPDo). La demande doit être faite par la personne concernée, généralement par écrit, et cette dernière a pour obligation de coopérer dans le cadre de son identification.
Dans un deuxième temps, le responsable de traitement devra également procéder à une évaluation de l’objectif et de la finalité visés par le droit d’accès dans le cas d’espèce. Il n’est pas rare de recevoir des demandes d’accès qui ne visent pas directement à vérifier le traitement qui est fait des données personnelles, mais plutôt de réunir des preuves comme dans le cadre des deux jurisprudences précitées.
Pour éviter cela, il convient pour le responsable de traitement d’être vigilant face aux divers indices qui peuvent se glisser dans la requête de la personne concernée. Des signes d’un usage inapproprié du droit d’accès pourraient être, notamment, une demande d’accès provenant d’un ancien collaborateur avec lequel la résiliation des liens de travail ne s’est pas faite en de bons termes. Il a été constaté et énoncé, tant en doctrine qu’en jurisprudence, que le droit d’accès peut être utilisé en guise de représailles par l’employé contre son ex-employeur. Même si une telle demande ne doit certainement pas être automatiquement refusée, il est néanmoins conseillé d’être particulièrement attentif quand elle est reçue par un courrier d’avocat avec une demande de transmission de documents précis et/ou sélectifs pouvant laisser penser que la demande entre dans le cadre d’un potentiel contentieux.
Dans le cadre notamment des assurances et des entités bancaires par exemple, il n’est pas inhabituel de recevoir une demande d’accès d’un client pouvant être étroitement liée à un contentieux familial dans le cadre d’une succession, car ces entités peuvent jouer un rôle important au sein d’une hoirie. Il est donc nécessaire d’être méticuleux s’agissant des informations qui vont être transmises au demandeur. La vérification de l’identité dans ces cas est d’autant plus importante que la personne dont les données sont concernées et le demandeur peuvent avoir le même nom de famille mais être des personnes différentes.
Pour rappel, le droit d’accès vise généralement seulement les données personnelles de la personne concernée, c’est-à-dire que toutes les informations transmises ne peuvent pas contenir des données de personnes tierces identifiées ou identifiables. Il est néanmoins possible que des données de tiers apparaissent sur les données de la personne faisant valoir son droit et pour cela, il convient de procéder à une pesée des intérêts afin de déterminer s’il est adéquat de transmettre lesdites données à la personne concernée. Dans le cas contraire, un travail de caviardage minutieux doit donc être entrepris à cette fin. Cet exercice fait en sorte de ne pas transmettre au demandeur des preuves lui permettant de poursuivre ou mettre en œuvre des prétentions légales qui ne touchent pas directement au traitement des données personnelles conformément à la LPD et à la jurisprudence constante.
L’ancienne circulaire FINMA 2008/21 relative aux Risques opérationnels prévoyait qu’un établissement bancaire recevant une demande d’accès devait fournir à la personne concernée toutes les informations prévues par la LPD mais également toute documentation contenant des informations dont la transmission se justifie par le test de singularité mais ne contenant pas des données personnelles. Il s’agissait là d’inclure des documents suffisamment singuliers vis-à-vis du client de la banque qui justifient une telle transmission, par exemple nous pouvons évoquer le profil de risque du client. Cette circulaire a été remplacée par la circulaire FINMA 2023/1 du 7 décembre 2022 sur les Risques et résiliences opérationnels pour les banques suisses qui ne fait plus mention au test de singularité et supprimant ainsi l’obligation pour les banques de transmettre une telle documentation. Néanmoins, il ne semble pas y avoir d’impossibilité légale pour les banques suisse de transmettre au demandeur une telle documentation à la personne en faisant la demande.
Si l’on sort du cadre strictement suisse, on constate que la pratique de la Cour de justice de l’Union européenne est différente. Dans l’affaire C‑307/22 du 10 mai 2022, elle a jugé qu’aucune motivation de la personne concernée n’est nécessaire dans le cadre d’une demande de droit d’accès : « […] la personne concernée n’est pas tenue de motiver la demande d’accès aux données, la première phrase du considérant 63 [du Règlement Général sur la Protection des Données, ci-après « RGPD »] ne saurait être interprétée en ce sens que cette demande doit être rejetée si elle vise un objectif autre que celui de prendre connaissance du traitement des données et d’en vérifier la licéité. Ce considérant ne saurait en effet restreindre la portée de l’article 15, paragraphe 3, du RGPD, tel que rappelé au point 35 du présent arrêt » (consid. 43). Certes, le droit suisse n’exige pas non plus que la personne concernée fasse état du motif la conduisant à exercer son droit. Toutefois, la jurisprudence de la CJUE diverge de celle du Tribunal fédéral en indiquant que le droit d’accès doit être respecté sans prise en considération de la motivation de la personne concernée « […] l’article 12, paragraphe 5, et l’article 15, paragraphes 1 et 3, du RGPD doivent être interprétés en ce sens que l’obligation de fournir à la personne concernée, à titre gratuit, une première copie de ses données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement s’impose au responsable du traitement même lorsque cette demande est motivée dans un but étranger à ceux visés au considérant 63, première phrase, dudit règlement » (consid. 52).
Ces avis divergeant fondamentalement l’un de l’autre, et le droit d’accès étant octroyant tant sous l’égide du droit européen que du droit suisse, il est légitime de se demander, est-ce qu’une personne concernée peut exiger l’application du RGPD en lieu et place de la LPD dans le cadre de sa demande d’accès ? Prenons l’exemple d’un responsable de traitement qui est une personne morale exclusivement établie en Suisse ne tombant pas dans le critère de l’extraterritorialité du RGPD et d’une personne concernée qui est une personne physique résidente dans l’EEE au sujet de qui le responsable de traitement traite des données personnelles. Ce dernier, n’est pas soumis au RGPD, néanmoins la personne concernée pourrait souhaiter faire valoir un droit d’accès en s’appuyant sur le droit applicable dans l’EEE, car ceci lui permettrait d’exercer son droit d’accès pour des finalités autres que celles prévues par la LPD et la jurisprudence actuelle.
Dans ce cas de figure, il est important de déterminer quel serait le droit applicable. Du point de vue de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP), s’agissant d’une atteinte à la personnalité, notamment résultant du traitement de données personnelles et/ou d’une entrave à l’exercice du droit d’accès (art. 139 al. 3 LDIP), l’art. 139 al. 1 LDIP trouve application directe. Ce dernier prévoit que les prétentions seront régies au choix du lésé soit « par le droit de l’État dans lequel le lésé a sa résidence habituelle, pour autant que l’auteur du dommage ait dû s’attendre à ce que le résultat se produise dans cet État » (let. a), soit « par le droit de l’État dans lequel l’auteur de l’atteinte a son établissement ou sa résidence habituelle » (let. b) ou encore « par le droit de l’État dans lequel le résultat de l’atteinte se produit, pour autant que l’auteur du dommage ait dû s’attendre à ce que le résultat se produise dans cet État » (let. c). En l’espèce, la personne concernée pourrait donc potentiellement imposer l’application du RGPD dans le cadre de sa demande d’accès pour autant qu’elle soit la partie lésée, habituellement résidente dans un Etat membre de l’EEE et que le responsable de traitement puisse s’attendre à ce qu’un dommage puisse être subi dans l’EEE. La doctrine semble s’accorder sur le fait que le fait de faire obstacle au droit d’accès constituerait un dommage à la personne concernée qui, par définition, coïnciderait très certainement avec son lieu de résidence. Cela lui permettrait de passer outre le critère de la jurisprudence du Tribunal fédéral qui impose que la demande d’accès vise les objectifs de la LPD et ainsi accéder à ses propres données afin de, potentiellement, évaluer ses chances de succès dans le cadre d’une procédure judiciaire.
IV. Conclusion
En conclusion, nous pouvons relever qu’hormis le challenge organisationnel de la fourniture des informations nécessaires dans le cadre d’une demande d’accès, le responsable de traitement va devoir évaluer au cas par cas la finalité visée et le droit applicable à la demande afin de pouvoir transmettre des informations strictement nécessaires au demandeur sans violer la jurisprudence constante du Tribunal fédéral.
Proposition de citation : Estella Loureiro, Je veux y accéder, ça me concerne !, 26 avril 2024 in www.swissprivacy.law/297
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