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Obtenir l’effacement de données d’une plateforme d’évaluation, plus difficile qu’il n’y paraît

Nathan Philémon Matantu, le 29 juillet 2024
Le droit géné­ral à l’effacement des données d’une personne morale, de même que la suppres­sion de certains commen­taires néga­tifs sur une plate­forme d’évaluation, supposent la prise en compte de l’ensemble des inté­rêts en présence, en parti­cu­lier l’intérêt des consom­ma­teurs à l’information.

Handelsgericht saint-gallois, arrêt HG.2020.180-HGK du 29 juin 2023

Introduction

Une société état­su­nienne propose une plate­forme sur laquelle les consom­ma­teurs peuvent recueillir des infor­ma­tions et consul­ter des évalua­tions rela­tives à des loge­ments, des expé­riences loisirs, des restau­rants et autres. Elle exploite en parti­cu­lier le nom de domaine suisse de la plateforme.

La deman­de­resse, une société saint-galloise qui opère un centre de fitness et de well­ness, est inscrite sur ladite plate­forme depuis 2015. En 2020, elle décide toute­fois de clôtu­rer son compte et informe l’exploitante de la plate­forme qu’elle ne consent plus au trai­te­ment de ses données person­nelles. Cette commu­ni­ca­tion étant demeu­rée lettre morte, la société saint-galloise ouvre action auprès du Handelsgericht saint-gallois dans le but d’obtenir l’effacement de ses données person­nelles, respec­ti­ve­ment celui de certains commen­taires négatifs.

Inapplicabilité des élec­tions de for et de droit

La société état­su­nienne conclut à l’irrecevabilité de la demande en raison de l’incompétence du Handelsgericht (art. 59 al. 2 let. b CPC). Elle soutient que le litige est de nature patri­mo­niale (art. 5 al. 1 LDIP) et que les parties sont liées par l’élection de for en faveur des tribu­naux état­su­niens conte­nue dans ses condi­tions d’utilisation.

Le Handelsgericht ne suit pas ce raison­ne­ment. Sans se pronon­cer sur la nature patri­mo­niale du litige, il relève que les condi­tions d’utilisation prévoient la compé­tence des tribu­naux état­su­niens pour tout litige décou­lant de la rela­tion contrac­tuelle entre la société saint-galloise et la société état­su­nienne, respec­ti­ve­ment de l’utilisation des services de la société état­su­nienne par la société saint-galloise. Or, il est ici ques­tion de la possi­bi­lité offerte aux clients de commen­ter publi­que­ment les services de la société saint-galloise, en parti­cu­lier de la licéité de ces commentaires.

Partant, dans la mesure où le résul­tat de l’acte illi­cite se produit en Suisse, le Handelsgericht saint-gallois s’estime compé­tent à raison du lieu (art. 129 al. 1 phr. 2LDIP). Par iden­tité de motifs, il conclut égale­ment à l’inapplicabilité de la clause d’élection de droit et applique ici le droit choisi par la poten­tielle lésée, soit le droit suisse (art. 139 al. 1 let. c LDIP).

Non-effa­ce­ment des données personnelles

Dans ses conclu­sions fondées sur les art. 12 s. aLPD (art. 30 s. nLPD) et art. 28 CC, la société saint-galloise demande que la société état­su­nienne efface toutes les données person­nelles dont elle dispose à son sujet et qu’il lui soit fait inter­dic­tion de procé­der à tout nouveau trai­te­ment la concernant.

Selon les art. 12 aLPD et art. 30 nLPD, celui qui traite des données person­nelles ne doit pas porter une atteinte illi­cite à la person­na­lité de la personne concer­née (cf. ég. art. 28 al. 1 CC). Il y a en parti­cu­lier une atteinte à la person­na­lité lorsque des données person­nelles sont trai­tées en viola­tion des prin­cipes du droit de la protec­tion des données (art. 12 al. 2 let. a aLPD ; art. 30 al. 2 let. a nLPD) ou contre la volonté expresse de la personne concer­née (art. 12 al. 2 let. b aLPD ; art. 30 al. 2 let. b nLPD). Pour être licite, cette atteinte doit être justi­fiée par le consen­te­ment de la personne concer­née, par un inté­rêt prépon­dé­rant privé ou public ou par la loi (art. 13 al. 1 aLPD ; art. 31 al. 1 nLPD ; cf. ég. art. 28 al. 2 CC).

En l’espèce, le Handelsgericht se penche sur l’existence d’une atteinte résul­tant d’une viola­tion des prin­cipes du droit de la protec­tion des données (art. 12 al. 2 let. a aLPD ; art. 30 al. 2 let. a nLPD), en parti­cu­lier du prin­cipe de la léga­lité (art. 4 al. 1 aLPD ; art. 6 al. 1 nLPD), et refuse de déduire un droit à l’effacement de l’art. 28 CC. En effet, puisque les coor­don­nées de la société saint-galloise sont égale­ment publiées sur son propre site inter­net, il s’agit d’informations rele­vant de la sphère publique, excluant ainsi tout grief rela­tif à la protec­tion de la vie privée. Quant aux évalua­tions des clients, elles ne rabaissent pas la société saint-galloise de manière inutile ou excessive.

Le Handelsgericht analyse égale­ment l’existence d’une atteinte en lien avec le retrait du consen­te­ment de la société saint-galloise (art. 12 al. 2 let. b aLPD ; art. 30 al. 2 let. b nLPD). Cette dernière a certes consenti au trai­te­ment de ses données person­nelles en accep­tant les condi­tions d’utilisation de la société état­su­nienne, mais a retiré son consen­te­ment depuis. Cela étant, le Handelsgericht relève que la faculté de reti­rer son consen­te­ment en tout temps peut être restreinte lorsque l’intérêt au main­tien du trai­te­ment prime celui à la protec­tion de la person­na­lité. Ici, il laisse toute­fois la ques­tion ouverte, dans la mesure où l’éventuelle atteinte à la person­na­lité n’est pas illicite.

En effet, l’intérêt de la société saint-galloise à l’effacement de ses coor­don­nées du site de la société état­su­nienne n’est pas évident, d’autant plus que ces coor­don­nées sont publiques. Pour ce qui est de l’intérêt à obte­nir la suppres­sion des évalua­tions néga­tives, il est contre­ba­lancé par l’intérêt des consom­ma­teurs à s’informer gratui­te­ment sur les services offerts par la société saint-galloise (cf. art. 16 Cst.). En outre, la société état­su­nienne doit égale­ment pouvoir conti­nuer d’exercer son acti­vité écono­mique (cf. art. 27 Cst.). Enfin, la plate­forme de la société état­su­nienne réduit l’asymétrie de l’information en permet­tant aux consom­ma­teurs d’avoir une meilleure idée des services offerts sur le marché, ce qui a un effet béné­fique sur la concur­rence (cf. art. 27 et 94 Cst.). Il en résulte que l’éventuelle atteinte à la person­na­lité de la société saint-galloise n’est pas illi­cite (art. 13 al. 1 aLPD ; art. 31 al. 1 nLPD).

Non-effa­ce­ment de commen­taires négatifs

Dans une conclu­sion subsi­diaire égale­ment fondée sur une viola­tion du prin­cipe de la léga­lité (art. 4 et 12 aLPD cum art. 28 CC), la société saint-galloise requiert la suppres­sion de certains commen­taires néga­tifs, d’abord au motif qu’ils n’auraient pas été rédi­gés par des clients. Elle ne parvient toute­fois pas à prou­ver cette allé­ga­tion. À ce sujet, le Handelsgericht souligne qu’il n’existe aucune présomp­tion selon laquelle l’auteur d’une évalua­tion néga­tive est néces­sai­re­ment un tiers voulant nuire aux affaires de la société saint-galloise.

La demande de suppres­sion de certains commen­taires néga­tifs est égale­ment moti­vée par le fait qu’ils seraient faux ou atten­ta­toires à l’honneur de la société saint-galloise. L’analyse de ces griefs par le Handelsgericht permet d’en tirer trois ensei­gne­ments principaux.

En premier lieu, en ce qui concerne les allé­ga­tions de fait, la société saint-galloise n’a ni prouvé qu’elles sont fausses, ni démon­tré qu’elles sont vraies mais inuti­le­ment blessantes.

En deuxième lieu, lorsqu’une entre­prise offre des services au public, elle doit accep­ter le risque que l’opinion du client à son égard soit empreinte de subjec­ti­vité. Ces juge­ments de valeur (mixtes) ne consti­tuent toute­fois pas une atteinte à la person­na­lité s’ils ne contiennent qu’une critique des services de la société saint-galloise, sans attaque inuti­le­ment blessante.

Enfin, à suppo­ser que ces allé­ga­tions de fait ou ces juge­ments de valeur (mixtes) consti­tuent une atteinte à la person­na­lité, ils sont suscep­tibles d’être justi­fiés par un inté­rêt prépon­dé­rant, en parti­cu­lier l’intérêt des consom­ma­teurs à l’information. Partant, le Handelsgericht rejette égale­ment cette conclu­sion subsidiaire.

Une appré­cia­tion

Bien que rendu en appli­ca­tion de l’aLPD, cet arrêt est riche d’enseignements pour la protec­tion de la person­na­lité des personnes morales, y compris après l’entrée en vigueur de la nLPD le 1er septembre 2023. La nLPD n’étant pas appli­cable à la protec­tion de la person­na­lité des personnes morales (art. 1 et 5 let. a nLPD), ces dernières ne peuvent pas se préva­loir des droits qui y sont expli­ci­te­ment consa­crés. En revanche, les personnes morales béné­fi­cient toujours de la protec­tion des art. 28 s. CC. Ces dispo­si­tions leur permettent en parti­cu­lier d’obtenir l’effacement de commen­taires atten­ta­toires à la person­na­lité, mais cela suppose qu’elles démontrent le bien-fondé de leur prétention.

La pesée d’intérêts opérée ici par le Handelsgericht est convain­cante. En effet, les coor­don­nées de la société saint-galloise étaient libre­ment acces­sibles sur son propre site inter­net ainsi que dans le registre du commerce, de sorte que le besoin de protec­tion de la person­na­lité doit être relé­gué au second plan. Quant aux juge­ments de valeur critiques envers les services de la société saint-galloise, ils ne contiennent pas d’attaque inutile, mais permettent aux consom­ma­teurs de se faire une opinion. Si tous les commen­taires néga­tifs (mais licites) avaient été effa­cés, le seul main­tien des évalua­tions posi­tives renver­rait une impres­sion erro­née des services offerts. Partant, les inté­rêts prépon­dé­rants, en parti­cu­lier l’intérêt des consom­ma­teurs à l’information, devaient effec­ti­ve­ment prévaloir.



Proposition de citation : Nathan Philémon Matantu, Obtenir l’effacement de données d’une plateforme d’évaluation, plus difficile qu’il n’y paraît, 29 juillet 2024 in www.swissprivacy.law/310


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