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Quand des buzzwords conduisent à une fraude à l’investissement

Yannick Caballero Cuevas, le 8 août 2024
L’action inten­tée par la SEC contre Ilit Raz de Joonko Diversity Inc. démontre que l’uti­li­sa­tion trom­peuse de buzz­words comme « intel­li­gence arti­fi­cielle » pour lever des fonds peut entraî­ner des poursuites.

Securities and Exchange Commission against Ilit Raz, 24 Civ. 4466, 11 June 2024

L’utilisation de buzz­words tels que « intel­li­gence arti­fi­cielle » (IA) pour lever des fonds peut-elle entraî­ner des pour­suites par la U.S. Securities and Exchange Commission (SEC) ? L’action inten­tée par la SEC contre Ilit Raz, fonda­trice et PDG de Joonko Diversity Inc. (Joonko), apporte une réponse claire à cette ques­tion, du moins sous l’angle du droit américain.

Dans sa demande, la SEC reproche à Ilit Raz d’avoir trompé les inves­tis­seurs de 2018 à 2023 en faisant de fausses décla­ra­tions sur le nombre de clients, la tech­no­lo­gie et les reve­nus de Joonko. On y apprend notam­ment qu’Ilit Raz présen­tait Joonko comme une plate­forme exploi­tant l’IA pour le recru­te­ment de candi­dats afin d’aider les entre­prises à atteindre leurs objec­tifs en matière de diver­sité, d’équité et d’in­clu­sion. Selon Ilit Raz, la plate­forme utili­sait l’IA pour connec­ter les entre­prises clientes de Joonko avec des candi­dats divers issus de milieux sous-repré­sen­tés. Dans des présen­ta­tions marke­ting desti­nées aux inves­tis­seurs, elle avait aussi affirmé que les algo­rithmes d’IA possé­daient des capa­ci­tés de trai­te­ment du langage natu­rel (natu­ral language proces­sing) et de vision par ordi­na­teur (compu­ter vision). De plus, les termes ‘tech­no­lo­gie fondée sur l’« IA », ‘algo­rithme exclu­sif’ et ‘appren­tis­sage auto­ma­tique’ étaient fréquem­ment utili­sés dans les diffé­rents docu­ments desti­nés aux inves­tis­seurs. Parmi ces docu­ments, elle avait aussi fourni de faux témoi­gnages de clients préten­dant que Joonko les avait aidés à atti­rer des candi­dats remplis­sant les objec­tifs de diver­sité. Ces témoi­gnages incluaient des affir­ma­tions sur l’ef­fi­ca­cité de la plate­forme dans l’iden­ti­fi­ca­tion et la recom­man­da­tion de candidats.

En plus de ses affir­ma­tions sur l’IA, Ilit Raz aurait menti sur le nombre de clients et les reve­nus de Joonko.

Au vu des faits, la SEC allègue une viola­tion de la Section 10(b) du Securities Exchange Act [15 U.S.C. § 78j(b)] et la SEC Rule 10b‑5 [17 C.F.R. § 240.10b‑5]. Ces deux normes inter­disent à toute personne de commettre une fraude à l’investissement ou de faire des décla­ra­tions publiques fausses ou trom­peuses en vue d’influencer le cours d’une valeur mobi­lière. Pour la SEC, les décla­ra­tions d’Ilit Raz concer­nant sa plate­forme et son utili­sa­tion de l’IA étaient trom­peuses, ce qui aurait amené les inves­tis­seurs à croire que la tech­no­lo­gie de Joonko était plus avan­cée qu’en réalité, les inci­tant ainsi à inves­tir dans la société.

À travers cette affaire, la SEC envoie un signal à toute société ou personne utili­sant des buzz­words comme « IA » pour atti­rer des inves­tis­seurs sans réel­le­ment déte­nir la tech­no­lo­gie en ques­tion. Cette affaire est, en fin de compte, une fraude à l’in­ves­tis­se­ment clas­sique, dont la seule nouveauté réside dans l’uti­li­sa­tion de buzz­words comme « IA ». Elle diverge toute­fois du précé­dent cas d’AI washing, puisqu’elle concerne la levée de fonds sur le marché privé (cf. commenté in swiss​pri​vacy​.law/​2​91/).

En droit suisse, deux normes nous semblent perti­nentes dans un contexte simi­laire, à savoir l’art. 69 LSFin (respon­sa­bi­lité du fait du pros­pec­tus), ainsi que l’art. 152 CP en lien avec l’art. 41 CO.

L’art. 69 LSFin prévoit que tout dommage à la suite d’une infor­ma­tion fausse, trom­peuse ou non conforme aux exigences légales conte­nue dans un pros­pec­tus, une feuille d’information de base ou toute commu­ni­ca­tion semblable devrait être dédom­magé. L’élément impor­tant à déter­mi­ner est de savoir si une utili­sa­tion exces­sive de buzz­words tels que « IA » ou ‘algo­rithmes exclu­sifs’ dans le pros­pec­tus, la feuille d’information de base ou toute commu­ni­ca­tion semblable suffit à enga­ger la respon­sa­bi­lité de l’émetteur. À notre avis, la respon­sa­bi­lité dépen­dra du secteur d’ac­ti­vité de l’émet­teur et de la nature de son projet. Par exemple, un émet­teur visant à déve­lop­per une plate­forme de recru­te­ment utili­sant l’IA pour­rait être tenu respon­sable si ses décla­ra­tions sur l’IA se révé­laient fausses, puisque l’IA serait au centre du modèle d’affaires. Bien entendu, les autres condi­tions de l’art. 69 LSFin devraient égale­ment être réunies.

L’art. 152 CP inter­dit à un cercle limité d’auteurs de four­nir de fausses infor­ma­tions au public concer­nant des entre­prises commer­ciales dans le but d’inciter des tiers à dispo­ser de leur patri­moine de manière préju­di­ciable à leurs inté­rêts. Cet article protège tant la confiance du public envers les infor­ma­tions diffu­sées que le patri­moine des inves­tis­seurs. Il consti­tue ainsi une norme de protec­tion, dont la viola­tion peut entraî­ner une action civile au sens de l’art. 41 CO. Le deman­deur doit prou­ver que l’au­teur de l’infraction a fourni des infor­ma­tions fausses ou incom­plètes, notam­ment à travers des commu­ni­ca­tions publiques ou des rapports, et que ces infor­ma­tions étaient suffi­sam­ment impor­tantes pour influen­cer un inves­tis­seur (raison­nable) à prendre des déci­sions finan­cières préju­di­ciables (cf. Darbellay/​Caballero Cuevas, The Materiality of Sustainability Information under Capital Markets Law, in : RSDA 2023, p. 44–59). La réponse à cette ques­tion dépend dès lors du cas d’espèce. Différents éléments entrent en ligne de compte comme le type d’information, le domaine d’activité de la société, ou encore l’influence que pour­rait avoir l’information sur d’autres rensei­gne­ments rela­tifs à la société. Cet examen doit se faire au cas par cas.

Selon nous, le droit suisse permet d’ores et déjà d’appréhender les cas de AI washing dans le cadre d’une levée de fonds. Cependant, il existe des obstacles majeurs quant à l’indemnisation du dommage. On peut notam­ment penser à la condi­tion du lien de causa­lité (cf. Hirsch, Et le pros­pec­tus causa un dommage : notre analyse critique d’une situa­tion ambigüe, in : La RC en arrêts et une nouveauté légis­la­tive de taille, Berne 2022) ou encore au calcul du dommage (cf. Thévenoz/​Hirsch, Le dommage d’investissement et sa preuve, in : RSDA 2023, p. 166–181). Ces obstacles ne sont pas spéci­fiques aux cas de AI washing, mais existent pour toute action civile consé­cu­tive à un dommage d’investissement.



Proposition de citation : Yannick Caballero Cuevas, Quand des buzzwords conduisent à une fraude à l’investissement, 8 août 2024 in www.swissprivacy.law/311


Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.
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