Dark patterns à l’œuvre ?
Décision de l’Oberlandesgericht de Cologne, du 19 janvier 2024, OLG Köln – 6 U 80/23
Décision
La requérante, l’Association de protection des consommateurs de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Verbraucherzentrale NRW) intente une action en justice contre WetterOnline Meteorologische Services GmbH (WetterOnline). Elle requiert que WetterOnline cesse d’utiliser sur son site Internet des bannières de cookies recueillant le consentement des utilisateurs pour des cookies non essentiels et ceci sans qu’il n’y ait d’option de refus dès la première couche (« layer ») de la bannière.
En effet, les utilisateurs ne peuvent exprimer leur refus qu’en cliquant sur le bouton « Paramètres », menant à une deuxième couche où se trouvent les boutons « Accepter tout » ou « Enregistrer ». La bannière comporte également un bouton « Accepter et fermer X » en haut à droite, à la fois sur le premier et le second niveau de la bannière.
Lors de son examen, le Tribunal régional supérieur de Cologne (Oberlandesgericht Köln, OLG Köln) estime que la conception de la bannière par le responsable du traitement est défaillante. WetterOnline ne propose pas d’option de rejet équivalente à l’acceptation, ni au premier ni au second niveau de la bannière.
L’OLG considère également que l’utilisateur moyen ne peut pas comprendre intuitivement que le bouton « Enregistrer » équivaut à un refus de l’utilisation de cookies non essentiels. Par conséquent, le tribunal retient que le consentement obtenu ne peut pas être considéré comme librement donné ni suffisamment éclairé, tel que requis par l’art. 4 al. 11 RGPD.
Pour rappel, le « consentement » de la personne concernée, tel que défini à l’art. 4 al. 11 RGPD, équivaut à :
« toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la personne concernée accepte, par une déclaration ou par un acte positif clair, que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ».
En ce qui concerne le bouton « Accepter et fermer X », l’OLG a par ailleurs estimé que le symbole « X » est généralement perçu par les utilisateurs comme une fonction de fermeture de fenêtre, et non pas comme une indication de consentement à l’utilisation de cookies. Selon le tribunal, l’utilisateur moyen n’est pas en mesure de comprendre qu’en cliquant sur ce bouton, il donne son consentement à l’installation de cookies, même si le texte « Accepter et fermer » est accolé au symbole « X ».
L’OLG ajoute qu’il n’est pas évident pour les utilisateurs de reconnaître que ce bouton et le symbole « X » font partie d’une seule et même action, ce qui rend l’intention peu claire et ambiguë, en violation des exigences de clarté au sens de l’art. 4 al. 11 RGPD.
Arrivant au constat de non-conformité, l’OLG de Cologne ordonne finalement au responsable du traitement de cesser l’utilisation de cette conception de bannière de cookies et d’adopter un modèle offrant une option de rejet claire et équivalente à l’option d’acceptation, afin de respecter pleinement les exigences du RGPD.
En droit européen
Cette affaire concernant des bannières de cookies illustre de manière topique le concept de « dark patterns » (cf. swissprivacy.law/316). A ce titre, l’association de protection de la vie privée et des données noyb a synthétisé les positions adoptées par les autorités nationales et les conclusions adoptées par la taskforce du CEPD (cf. rapport « Consent Banner Report Overview of EU and national guidelines on dark patterns »).
Elle identifie huit pratiques spécifiques démontrant que le consentement de l’utilisateur est vicié. Au moins deux d’entre elles pourraient entrer en ligne de compte dans le cas d’espèce ; celle de « l’absence de bouton de rejet sur la première couche d’information » ainsi que celle de « la conception trompeuse de liens ». Nous l’avons en effet vu plus haut, le site de WetterOnline ne propose pas d’option de rejet équivalente à l’acceptation, ni au premier ni au second niveau de la bannière.
Bien que le symbole « X » soit accolé au texte « Accepter et fermer », il est perçu par les utilisateurs uniquement comme une fonction de fermeture de fenêtre, non comme une indication sur le consentement à l’utilisation de cookies. Ainsi, l’utilisateur est poussé à croire qu’il n’y a pas d’autre option que de « tout accepter ».
En droit suisse
A titre de comparaison, en droit suisse, le consentement libre et éclairé de la personne concernée est régi par l’art. 6 al. 6 LPD. Dans une perspective plus large, la LPD, du fait de sa neutralité technologique, prend en compte les dark patterns.
Plusieurs principes, outre celui du consentement évoqué par l’OLG, peuvent être touchés, voire violés en l’absence de motifs justificatifs (principalement des intérêts privés prépondérants du fournisseur art. 31 LPD). Il s’agit de la minimisation des données (art. 6 al. 2 LPD), de la transparence ainsi que de la bonne foi (art. 6 al. 2 et 3 LPD), de finalité (art. 6 al. 3 LPD) et du devoir d’information du responsable de traitement (art. 19 LPD).
Par ailleurs, le Conseil fédéral a adopté le 14 juin 2014 un rapport définissant la nébuleuse qu’étaient les « Dark patterns ». Pour rappel, il en ressort cinq caractéristiques, Il s’agit (i.) d’une conception numérique, (ii.) qui exploite des connaissances issues de la psychologie comportementale, (iii.) à destination de personnes physiques, indépendamment des motifs de leurs actions, et ce (iv.) au bénéfice du fournisseur, lequel exploite ainsi son pouvoir de conception à son propre avantage (v.) (cf. swissprivacy.law/316).
Ces exigences paraissent in casu remplies, en particulier « l’exploitation des connaissances issues de la psychologie comportementale ». En outre, dans le cas d’espèce, l’utilisateur moyen, croyant simplement quitter la page en cliquant sur le signe « X » clique en réalité sur « Accepter et fermer X ».
D’après la liste exemplative donnée par le Conseil fédéral, cela semble correspondre à une « formulation ambiguë susceptible de prêter à confusion ». L’utilisateur se retrouve ainsi à prendre une décision « ne reflétant pas sa véritable intention et pouvant avoir des conséquences négatives pour lui », puisqu’il ne souhaite pas forcément accepter les cookies non-essentiels.
En d’autres termes, le fait que le signe « X » soit directement précédé d’une acceptation va dans un sens contraire à celui habituellement admis ; le « X » étant communément compris comme le moyen de quitter une page Internet plutôt que comme une manière d’accepter une demande quelconque.
Pour conclure, en Suisse, dans le cas d’espèce et au vu du rapport, l’on pourrait aboutir à un résultat de violation analogue au constat de l’OLG.
Proposition de citation : Lisa Dubath, Dark patterns à l’œuvre ?, 21 janvier 2025 in www.swissprivacy.law/333
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