swissprivacy.law
  • Décision
  • Doctrine
  • Jurisprudence
  • Réglementation
  • À propos
  • Abonnement à notre newsletter
  • Generic selectors
    Expression exacte 
    Rechercher dans le titre 
    Rechercher dans le contenu 
    Post Type Selectors
swissprivacy.law
  • Décision
  • Jurisprudence
  • Doctrine
  • Réglementation
  • À propos
  • Generic selectors
    Expression exacte 
    Rechercher dans le titre 
    Rechercher dans le contenu 
    Post Type Selectors
S'abonner
-->

L’accès aux dossiers d’une enquête pénale : entre transparence et confidentialité

Lisa Dubath, le 10 juin 2025
Le Tribunal fédé­ral auto­rise l’ac­cès aux dossiers anony­mi­sés d’une enquête pénale à l’en­tre­prise requé­rante, tout en refu­sant à l’en­tre­prise mise en cause d’ano­ny­mi­ser son propre nom. 

Arrêt du Tribunal fédé­ral du 25 octobre 2024, 1C_​82/​2024

Arrêt en question

A. AG a fait l’objet d’un premier juge­ment pour avoir laissé se déver­ser une mousse conte­nant une substance inter­dite dans la rivière Goldach et le lac de Constance. À la suite de cet inci­dent, l’Office d’enquête (Untersuchungsamt) de Saint-Gall a infligé à la recou­rante une amende admi­nis­tra­tive par ordon­nance pénale rendue le 21 février 2022.

Une société tierce, B. AG, qui a au préa­lable obtenu l’accès à cette ordon­nance pénale, demande à consul­ter l’ensemble du dossier pénal. L’Office d’enquête de Saint-Gall lui refuse l’accès au dossier en ques­tion par déci­sion du 5 mai 2022.

Le tribu­nal de deuxième instance du canton de Saint-Gall, par déci­sion du 18 août 2022, a admis le recours de B. AG contre cette déci­sion et ordonné la remise du dossier pénal.

La déci­sion fait l’objet d’un recours au Tribunal fédé­ral, dans lequel A.AG fait une demande de contrôle préa­lable pour véri­fier l’anonymisation du dossier avant trans­mis­sion à B.AG en invo­quant le droit d’être entendu. Le TF tranche ainsi d’abord la ques­tion de savoir si le dossier pénal canto­nal doit lui être commu­ni­qué sous forme anony­mi­sée avant d’être trans­mis à l’in­ti­mée pour consul­ta­tion et prise de posi­tion. Il consi­dère que la remise du dossier pénal anony­misé pour consul­ta­tion préa­lable et prise de posi­tion se limi­te­rait plutôt à véri­fier la mise en œuvre correcte des pres­crip­tions du tribu­nal de deuxième instance en matière d’ano­ny­mi­sa­tion, ce qui ne relève de toute façon pas du champ d’ap­pli­ca­tion du droit d’être entendu. Par ailleurs, le droit d’être entendu de la recou­rante a été reconnu dès le début de la procé­dure de recours.

Après examen de l’af­faire, le Tribunal fédé­ral donne raison à la recou­rante dans la mesure où la remise de données person­nelles issues de procé­dures closes devant des auto­ri­tés canto­nales est régie par les dispo­si­tions de la loi sur la protec­tion des données du canton de Saint-Gall du 20 janvier 2009 (DSG/​SG ; sGS 142.1). En revanche, il rejette sa demande, en consi­dé­rant que les exigences d’ano­ny­mi­sa­tion fixées par l’autorité précé­dente sont suffisantes.

La recou­rante ne démontre pas non plus de quelle manière le droit canto­nal de la protec­tion des données impo­se­rait une anony­mi­sa­tion plus pous­sée en l’espèce. Ladite auto­rité précé­dente a exigé de rendre anonymes tous les dossiers qui permettent de tirer des conclu­sions sur l’iden­tité des personnes concer­nées, ce qui, selon notre Haute Cour, est du moins conforme au droit fédéral.

Enfin, les juges de Mon-Repos confirment que les infor­ma­tions permet­tant d’identifier les employés et autres indi­vi­dus concer­nés doivent être suppri­mées. Ces derniers rejettent en revanche la demande de la recou­rante visant à anony­mi­ser les infor­ma­tions rela­tives à l’entreprise elle-même car l’accès au dossier pénal la concer­nant est spéci­fi­que­ment demandé. Il juge à cet effet que ces infor­ma­tions sont déjà connues et qu’il n’est donc d’aucune utilité de les anony­mi­ser. En consé­quence, la plainte d’A.AG est rejetée.

 

Aspects posi­tifs de la décision

Cet arrêt illustre la tension entre, d’une part la trans­pa­rence de l’activité étatique et, d’autre part, la protec­tion de la sphère privée ainsi que le droit à l’autodétermination informationnelle.

Premièrement, le Tribunal fédé­ral recon­naît l’intérêt légi­time de l’intimée d’accéder aux dossiers de l’enquête pénale. Il souligne par ce biais l’importance de la trans­pa­rence dans une affaire envi­ron­ne­men­tale, laquelle entraîne des consé­quences poten­tiel­le­ment importantes.

En ce sens, la déci­sion favo­rise la publi­cité des docu­ments judi­ciaires et la possi­bi­lité pour des tiers d’examiner les actions d’une entre­prise ayant eu un impact écologique.

Deuxièmement, en exigeant l’anonymisation des données person­nelles des indi­vi­dus concer­nés, le Tribunal fédé­ral applique une approche équi­li­brée entre le droit à l’information et la protec­tion de la vie privée.

Il rappelle ainsi que la divul­ga­tion de docu­ments judi­ciaires ne doit pas se faire au détri­ment des droits fonda­men­taux des personnes physiques impliquées.

Finalement, la déci­sion précise que l’anonymisation ne doit pas simple­ment se limi­ter aux noms et coor­don­nées, mais aussi aux éléments contex­tuels permet­tant d’identifier indi­rec­te­ment des indi­vi­dus (l’exercice de caviar­dage et son éten­due, résu­més in https://​swiss​pri​vacy​.law/​3​31/). Cette approche rigou­reuse garan­tit un respect accru des normes de protec­tion des données.

 

Critiques et limites de la décision

Une première critique concerne le refus du Tribunal fédé­ral d’anonymiser le nom, l’adresse et le numéro de télé­phone des personnes physiques mention­nées dans le dossier pénal. Il consi­dère que ces infor­ma­tions sont déjà connues et que leur suppres­sion n’est par consé­quent d’aucune utilité. Toutefois, la divul­ga­tion du nom des personnes physiques au sein de l’entreprise pour­rait entraî­ner des consé­quences écono­miques et répu­ta­tion­nelles pour lesdites personnes concer­nées, alors même que l’affaire est close.

Cela soulève la ques­tion du prin­cipe de publi­cité des déci­sions et de son éven­tuelle primauté sur la protec­tion des enti­tés privées dans ce type de contentieux.

Un second point porte sur le rejet (trop ?) strict du Tribunal fédé­ral de la demande de contrôle préa­lable, afin de permettre à la recou­rante d’exercer son droit d’être entendu, en véri­fiant si l’ano­ny­mi­sa­tion était suffi­sante. Le Tribunal fédé­ral rejette cette demande au motif que le droit d’être entendu ne s’étend pas à un tel contrôle.

Cette déci­sion peut sembler rigide, car elle prive l’entreprise concer­née d’une possi­bi­lité de s’assurer que des infor­ma­tions confi­den­tielles ne seront pas acci­den­tel­le­ment divul­guées. Dans des affaires sensibles, une telle véri­fi­ca­tion aurait pu être un moyen raison­nable d’éviter d’éventuels conten­tieux futurs liés à une anony­mi­sa­tion imparfaite.

Un dernier élément concerne l’application contes­table des normes d’anonymisation (concer­nant la ques­tion de l’identifiabilité et de la distinc­tion entre l’approche « abso­lue versus rela­tive », résu­mée in https://​swiss​pri​vacy​.law/​2​02/). La déci­sion mentionne que l’anonymisation doit être faite selon des critères inspi­rés de ceux appli­qués aux juge­ments judi­ciaires. Or, la recou­rante souhai­tait une appli­ca­tion des normes de protec­tion des données (plus strictes) plutôt que celles utili­sées pour la publi­ca­tion des jugements.

Cette distinc­tion est perti­nente, car, dans les déci­sions judi­ciaires, une certaine publi­cité est souhai­tée dans un but de trans­pa­rence judi­ciaire. En revanche, lorsqu’il s’agit de docu­ments issus d’un dossier d’instruction pénale, la logique pour­rait être diffé­rente, avec une protec­tion accrue des données conte­nues dans ces documents.

En consé­quence, le Tribunal fédé­ral aurait pu mieux justi­fier son choix d’appliquer des critères plus souples que ceux prévus par le droit à la protec­tion des données.

 

Conclusion

Dans l’ensemble, la déci­sion du Tribunal fédé­ral cherche à trou­ver un équi­libre entre le droit d’accès à l’information et la protec­tion des données person­nelles. Elle garan­tit que les indi­vi­dus mention­nés dans les dossiers pénaux ne puissent pas être iden­ti­fiés, tout en permet­tant à l’intimée d’accéder aux docu­ments pertinents.

Cependant, la posi­tion adop­tée sur l’anonymisation de l’entreprise et le refus d’un contrôle préa­lable des docu­ments anony­mi­sés reste discu­table. Une approche plus nuan­cée aurait pu être envi­sa­gée pour mieux conci­lier les inté­rêts en jeu, notam­ment en matière de protec­tion des données et de préven­tion des dommages répu­ta­tion­nels occa­sion­nés aux personnes physiques travaillant pour la recourante.

 



Proposition de citation : Lisa Dubath, L’accès aux dossiers d’une enquête pénale : entre transparence et confidentialité, 10 juin 2025 in www.swissprivacy.law/358


Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.
Sur ce thème
  • Transparence et caviardage — un exercice délicat
  • L’anonymisation, une fausse bonne idée ?
  • Les résultats et les suites de l’enquête administrative dans l’affaire Xplain
  • Le long chemin de la transparence dans le cadre de l’acquisition de Credit Suisse par UBS
Derniers articles
  • L’accès aux dossiers d’une enquête pénale : entre transparence et confidentialité
  • Recension : Édition spéciale Ex Ante sur la protection des données
  • Principe de transparence et relations internationales
  • Les modèles de prix confidentiels soumis au principe de la transparence ?
Abonnement à notre newsletter
swissprivacy.law