L’intérêt prépondérant à la remise à un employé d’un rapport le concernant

En fait
En 1992, un Institut universitaire géré par une fondation (la Fondation) de droit suisse engage un professeur. Ce dernier y dirige notamment un département pendant huit ans. L’Institut renouvelle son contrat de professeur ordinaire plusieurs fois jusqu’au 31 août 2022.
Le professeur conduit un projet de recherche financé par le Fond National Suisse (FNS) depuis 2018. Le FNS prolonge le projet jusqu’au 31 décembre 2023. En mai 2022, le professeur sollicite le renouvellement de son contrat de travail. Le Conseil de fondation répond qu’il attend la fin d’une enquête interne confiée à un expert pour faire suite à sa demande. Quelques semaines plus tard, le Conseil de fondation indique au professeur que l’enquête interne inclut un audit du climat du département auquel il est rattaché. L’expert entend le professeur le 10 juillet 2022.
Le 21 juillet 2022, l’Institut engage le professeur avec le titre de professeur émérite à 50% pour une période allant du 1er septembre 2022 au 31 décembre 2022. Le renouvellement du contrat couvre uniquement le projet de recherche susmentionné. Le Conseil de fondation informe également le professeur qu’il peut disposer librement des infrastructures de l’Institut pour continuer son projet de recherche pour l’année 2023. À ce titre, le professeur ne fait plus partie du corps professoral de l’Institut.
Le 22 novembre 2022, le professeur demande une copie du rapport de l’enquête dirigée à son encontre. Le service juridique de l’Institut nie l’existence d’une telle procédure. Le professeur renouvelle sa demande en faisant référence à l’enquête interne pour laquelle il a été auditionné. Le service juridique de l’Institut précise que cette enquête ne le vise pas directement et que le rapport demandé contient des données personnelles de tiers. L’Institut refuse de remettre le document au professeur pour ces raisons.
Le 22 mars 2023, le professeur introduit une demande en délivrance de ses données par devant le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève. Il demande à ce que toutes les données traitées à son sujet lui soient transmises. Cela inclut notamment le rapport d’enquête, les comptes rendus des entretiens des employés et tout autre document le concernant. La Fondation accepte de remettre son dossier personnel au professeur et conclut à ce que ce dernier soit débouté du reste de ses conclusions. Au cours de la procédure, le Tribunal ordonne à la Fondation de lui transmettre le rapport d’enquête pour son seul examen.
Le Tribunal condamne la Fondation à remettre au professeur certains chapitres du rapport de synthèse du 15 septembre 2022. Le Tribunal considère en effet que leur transmission ne constitue pas une atteinte aux droits de tiers.
La Fondation fait appel par devant la Chambre des prud’hommes de la Cour de Justice du canton de Genève. Le professeur forme un appel joint et conclut à la remise d’une copie complète du rapport d’enquête. Le professeur conclut également à un accès anticipé du rapport d’enquête par ses avocats.
En droit
La Cour détermine d’abord que la transmission du rapport de manière anticipée aux avocats du professeur reviendrait à préjuger la cause au fond et déboute ce dernier de ses conclusions en ce sens (cf. TF, 4A_76/2023 c. 3.2).
La Fondation s’oppose à la remise du rapport au professeur. Elle indique que les chapitres I, II et II (”Mission confiée à l’enquêteur”, “Limites et anonymat” et “Chronologie de l’enquête”) dont le Tribunal a ordonné la transmission au professeur ne contiennent pas de données personnelles le concernant. La Fondation avance que la LPD ne peut pas s’appliquer à la demande du professeur.
Pour ce qui est du chapitre IV (”Synthèse et conclusion”), la Fondation relève que la conclusion du rapport ne se concentre par sur la personne du professeur, mais vise aussi d’autres collaborateurs entendus à qui une confidentialité totale avait été garantie. La Fondation soutient à ce titre que les droits découlant de la LPD ne permettent pas au professeur de solliciter la transmission du rapport d’enquête. Elle avance également que sa transmission constituerait en une violation des droits de la personnalité de tiers. Elle considère finalement que le professeur ne dispose plus d’intérêt à l’obtention du rapport puisqu’il se trouve à la retraite et ne fait plus partie du corps professoral.
Le professeur soutient que l’intégralité du rapport litigieux devrait lui être accordé en vertu de son droit d’accès aux données personnelles (art. 328b CO et LPD) ainsi que pour garantir son droit à se déterminer sur le rapport. Il invoque à cet effet son droit à l’information (art. 328 CO et 28 CC) dans la mesure où il a lui-même participé à l’enquête.
Selon l’art. 328b CO, l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail, les dispositions de la LPD sont applicables.
Si l’employeur met en œuvre une enquête interne, il doit informer l’employé concerné de la procédure et des éléments reprochés (cf. art. 328 CO). La LPD s’applique de manière générale aux procédures d’enquêtes internes puisqu’elles constituent un traitement de données personnelles de l’employé visé.
Les chapitres IV et V du rapport (”Contenu de l’enquête” et “Analyse”) contiennent les déclarations des collaborateurs recueillies et leur analyse détaillée. Même si les noms des personnes concernées sont caviardés, les différents collaborateurs interrogés peuvent aisément être identifiés par le professeur sur la base de leurs déclarations. Dès lors que ces chapitres ne peuvent être remis au professeur sans porter atteinte à la personnalité de tiers, la Cour rejette leur transmission.
La synthèse du rapport doit toutefois être transmise au professeur dans la mesure où elle le concerne. La Cour indique directement dans son jugement quels sont les phrases et paragraphes concernés. Elle précise que les paragraphes qui évoquent les “professeurs” de manière générale sans viser directement le professeur ne peuvent pas lui être remis lorsqu’ils contiennent aussi des données personnelles de tiers.
La Cour conclut finalement à ce que le dernier paragraphe du rapport ainsi que le chapitre I (”Mission confiée à l’enquêteur”) soient transmis au professeur même si ces extraits ne contiennent pas de données personnelles le concernant. Cette restitution se justifie pour permettre au professeur de reconnaître le but dans lequel les données ont été recueillies à son sujet, leur enjeu et de déterminer dans quelle mesure il a été –ou non – mis en cause par l’enquête interne.
Appréciation
La présente décision s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt du Tribunal fédéral 1C/375/2024 du 1er mai 2025 (swissprivacy.law/370/) dans lequel notre Haute Cour a confirmé le refus total de l’EPFL de transmettre les rapports d’experts établis dans le cadre d’une procédure de promotion, afin de préserver leur anonymat. Dans sa décision, la Cour fait également référence à la problématique de l’identification d’individus malgré le caviardage de documents, en particulier dans des milieux où certaines déclarations ou indices permettent aisément de reconnaître les personnes concernées.
La Cour procède ensuite à un exercice délicat visant à concilier la protection de la personnalité de tiers et le droit d’accès à ses propres données personnelles. Les juges se livrent à un travail de découpage du texte du rapport afin d’en isoler les extraits qui concernent directement le professeur. Cette méthode doit être saluée puisqu’elle permet d’apporter une information plus complète aux personnes visées par des enquêtes internes et autres procédures analogues.
Enfin, la Cour admet l’accès à certaines informations qui, selon elle, ne constituent pas des données personnelles. Elle justifie néanmoins l’application de la LPD à l’entier du rapport par la nécessité, pour l’intéressé, de comprendre les enjeux et l’issue de l’enquête interne à laquelle il a participé (cf. art. 25 al. 2 let. c LPD). Si l’on peut laisser ouverte la question de savoir si les chapitres introductifs et la conclusion du rapport contiennent des données personnelles, il faut assurément se réjouir d’une approche garantissant un large droit d’accès sans compromettre le droit des tiers.
Proposition de citation : Mallorie Ashton-Lomax, L’intérêt prépondérant à la remise à un employé d’un rapport le concernant, 3 novembre 2025 in www.swissprivacy.law/381
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