Destruction de données personnelles consignées dans un dossier de police judiciaire
Arrêt du Tribunal fédéral TF 1C_580/2019 du 12 juin 2020
Faits
Une demande de renseignement sur le contenu d’un dossier judiciaire est déposée auprès du Juge cantonal vaudois en charge des dossiers de police judiciaire. Ce dernier se fait remettre le dossier complet du requérant, composé d’extraits du Journal des évènements de police (JEP) et de rapports établis par la police. Le requérant, invité à se déterminer, requiert la radiation de l’ensemble des pièces contenues dans son dossier en faisant valoir que leur conservation ne serait plus justifiée pour la prévention, la recherche et la répression d’infractions.
Le Juge cantonal vaudois en charge des dossiers de police judiciaire ordonne uniquement la destruction de certaines pièces.
Le requérant recourt contre cette décision auprès du Tribunal fédéral et lui demande d’ordonner la destruction des pièces restantes, ainsi que l’intégralité des extraits du Journal des événements de police (JEP).
Droit
La conservation de données personnelles dans les dossiers de police judiciaire porte une atteinte au moins virtuelle à la personnalité de l’intéressé, dont la protection est garantie aux art. 8 CEDH et 13 Cst., tant que ceux-ci peuvent être utilisés ou, simplement, être consultés par des agents de la police ou être pris en considération lors de demandes d’informations présentées par certaines autorités, voire même être transmis à ces dernières.
Pour être admissible, une telle atteinte doit reposer sur une base légale, être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et être proportionnée au but visé (art. 36 Cst.).
En droit vaudois, la conservation de données personnelles dans les dossiers de police judiciaire est prévue et réglementée dans la loi sur les dossiers de police judiciaire (LDPJu). Seules les informations utiles à la prévention, la recherche et la répression des infractions peuvent être enregistrées dans les dossiers de police judiciaire, les données non pertinentes ou inadéquates doivent être radiées (art. 2 LDPJu).
Pour déterminer si les informations dont la conservation est litigieuse présentent une utilité pour la prévention ou la répression des infractions et si elles peuvent être conservées au dossier de police judiciaire du recourant, il convient d’analyser toutes les circonstances déterminantes du cas d’espèce. Dans la pesée des intérêts en présence, il convient de prendre en considération la gravité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux du requérant par le maintien des inscriptions litigieuses à son dossier de police, les intérêts des victimes et des tiers à l’élucidation des éléments de faits non encore résolus, le cercle des personnes autorisées à accéder au dossier de police et les intérêts de la police à pouvoir mener à bien les tâches qui lui sont dévolue (ATF 138 I 256).
Le recourant conteste d’abord le refus du Juge cantonal chargé des dossiers de police judiciaire de procéder à la radiation de pièces concernant divers vols commis auprès des Grands Magasins Manor et une contravention à la loi sur les stupéfiants.
Le Tribunal fédéral relève que lesdites pièces se rapportent à des infractions non contestées, relevant de la petite délinquance et remontant à plus de dix ans. Elles ont été commises alors que le recourant était âgé de vingt-trois ans, qu’il venait d’arriver en Suisse avec un statut provisoire de requérant d’asile et qu’il n’avait ni travail ni revenu. Depuis lors, le recourant a entrepris une formation professionnelle dans le domaine juridique qu’il entend compléter par un stage d’avocat. De plus, il ne ressort pas du dossier qu’il aurait commis des infractions de même nature depuis lors. Partant, les pièces recueillies ont perdu toute utilité pour la prévention des infractions pénales ou d’une éventuelle récidive et leur maintien au dossier de police judiciaire du recourant ne s’impose pas au regard des objectifs poursuivis par la LDPJu.
Le recourant conteste ensuite le refus de radier deux rapports de police, avec leurs annexes, établis en novembre 2016 dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à son encontre d’office et sur plainte de OAV pour infraction à la législation fédérale contre la concurrence déloyale (LCD), contravention à la législation cantonale sur la profession d’avocat (LPAv) et contravention au Code de droit privé judiciaire vaudois (CDPJ). Le recourant avait signé en novembre 2018 devant le Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne une convention avec le Bâtonnier de l’OAV dans laquelle il reconnaissait avoir indûment représenté certaines parties en justice. Le recourant s’était alors engagé à ne pas réitérer ses agissements. En contrepartie, l’OAV s’était engagé à retirer sa plainte. Le Tribunal de police avait au surplus condamné le recourant à une amende.
Le Tribunal fédéral relève que les pièces en lien avec la dénonciation de l’OAV, relativement récentes, présentent encore une utilité pour la prévention des infractions pénales, nonobstant le retrait de la plainte dans la mesure où elles concernent des infractions poursuivies d’office pour lesquelles le recourant a été condamné. Cette condamnation, en plus d’être récente, a trait au domaine dans lequel le recourant entend précisément exercer sa profession, puisqu’il souhaite entreprendre un stage d’avocat. Il importe également de s’assurer du respect des engagements pris par le recourant de ne pas réitérer ses agissements répréhensibles, en conservant la trace dans son dossier de police judiciaire.
Finalement, le recourant sollicite la radiation des extraits du JEP le concernant de son dossier de police judiciaire. Le Tribunal fédéral considère que les événements relatés dans le JEP peuvent contenir des données personnelles sensibles dont le maintien au dossier de police judiciaire doit être soumis aux mêmes règles que les autres données contenues dans des rapports de police. Ainsi, le maintien des extraits du JEP se justifie uniquement pour l’extrait relatif à la perquisition effectuée par la police dans le cadre de la procédure ouverte à la suite de la plainte pénale de l’OAV
Partant, le recours est partiellement admis par le Tribunal fédéral.
Note
Le Tribunal fédéral a été amené à plusieurs reprises à se prononcer sur le droit à l’effacement de données personnelles consignées dans un dossier de police, en particulier sur l’examen de la proportionnalité, en privilégiant tantôt la protection de la personnalité, tantôt l’intérêt public.
Dans un précédent arrêt, le Tribunal fédéral a conclu que l’intérêt du recourant à voir ses données radiées de son dossier de police pour ne pas compromettre les chances de succès d’une candidature à un poste au sein de la police l’emporte sur l’intérêt public à leur conservation (TF 1C_307/2015 du 26 novembre 2015). Les pièces en question se rapportaient à une procédure pénale pour escroquerie et faux dans les titres, clôturée deux mois auparavant par une ordonnance de classement. Le Tribunal fédéral avait relativisé l’utilité potentielle des données en lien avec la procédure ouverte contre le recourant dans la mesure où ce dernier n’avait jamais été condamné ou poursuivi pénalement avant les faits précités et que la conservation de ces données ne se justifiait pas dans la perspective d’une éventuelle récidive.
Proposition de citation : Eva Cellina, Destruction de données personnelles consignées dans un dossier de police judiciaire, 26 novembre 2020 in www.swissprivacy.law/34
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