Le Ministère public central du canton de Vaud soumis au principe de la transparence
Décision de l’Autorité vaudoise de protection des données et de droit à l’information du 17 juin 2021 de l’affaire 20_0760.
Par courrier du 5 octobre 2020, un administré s’adresse au Ministère public central du canton de Vaud (Ministère public) pour obtenir une lettre circulaire du Secrétariat d’État à l’économie (SECO) relative aux crédits COVID-19 adressée à tous les ministères publics cantonaux. Nous soulignons que la demande d’accès est fondée sur la Loi vaudoise du 24 septembre 2002 sur l’information (LInfo) et de son règlement d’application (RLinfo). En l’espèce, la demande fait suite à un reportage de l’émission Temps Présent dans le cadre duquel le document en question a été évoqué.
Le 7 octobre 2020 la communication du document en question a été refusée au motif que la LInfo ne s’applique pas aux fonctions juridictionnelles du Ministère public. En outre, l’administré est invité à s’adresser au SECO directement, entité à l’origine du document requis. Le 3 novembre 2020, l’administré fait recours contre la décision du Ministère public auprès du Préposé vaudois à l’information (Préposé), qui l’admet. Nous précisons que le Préposé a, dans le cadre de la procédure, invité les parties à une séance de conciliation (art. 21 al. 3 LInfo). Cette séance de conciliation a été expressément refusée par le Ministère public, même si celui-ci se dit être en général ouvert à l’idée.
Ministère public, entité de l’administration cantonale vaudoise ?
En droit vaudois, l’application du principe de la transparence au Ministère public ne ressort pas explicitement du champ d’application de la LInfo (art. 2). Ce silence – malheureux – du législateur appelle une analyse approfondie du champ d’application en question.
De manière générale, la LInfo s’applique aux entités vaudoises cantonales et communales, à l’exception du Bureau cantonal de médiation administrative (art. 2 al. 1 et 3 LInfo). En particulier, la LInfo s’applique au Conseil d’État et à son administration (art. 2 al. 1 let. b LInfo) ainsi qu’à l’Ordre judiciaire vaudois et à son administration (art. 2 al. 1 let. c LInfo), à l’exclusion de leurs fonctions juridictionnelles respectives. Dans le cas d’espèce, il y a lieu de déterminer si le Ministère public peut être rattaché à l’administration du Conseil d’État, autrement dit à l’administration cantonale vaudoise, soit à l’Ordre judiciaire vaudois.
Vaudoiserie oblige, le rattachement du Ministère public à l’une des deux hypothèses est particulièrement important dès lors que le principe de la transparence au sein de l’Ordre judiciaire vaudois est soumis à des modalités spécifiques édictées par le – critiquable – Règlement du 13 juin 2006 de l’ordre judiciaire sur l’information (ROJI ; BLV 170.21.2). Peu connu, ce dernier définit pour l’Ordre judiciaire vaudois les principes, l’organisation et la procédure en matière d’information, notamment en ce qui concerne la publicité des décisions judiciaires (art. 30 al. 3 Cst. ; art 11 ss ROJI) ainsi que l’information non juridictionnelle (art. 17 ss ROJI).
En tant que tel, l’Ordre judiciaire vaudois est composé des autorités et des offices judiciaires. La Loi vaudoise du 12 décembre 1979 d’organisation judiciaire (LOJV ; BLV 173.01) mentionne exhaustivement quelles sont les autorités judiciaires (art. 2 LOJV) et quels sont les offices judiciaires (art. 4 LOJV). En l’état, le Ministère public ne fait pas partie de l’Ordre judiciaire vaudois (art. 2 LOJV a contrario). À préciser encore que la Loi vaudoise du 19 mai 2009 sur le Ministère public (LMPu ; BLV 173.21) ne comprend aucune règle sur les principes et la procédure en matière d’information.
Faute d’un rattachement à l’Ordre judiciaire vaudois, il y a lieu d’examiner si le Ministère public peut être considéré comme une entité à part entière de l’administration cantonale vaudoise au sens de l’art. 2 al. 1 let. b LInfo. Nous relevons que dans le cadre de sa décision, et dès lors que ce rattachement ne découle pas explicitement de la lettre de la loi, il a été nécessaire pour le Préposé d’analyser la volonté du législateur, qui découle en partie de l’Exposé des motifs et projet de loi sur l’information (EMPL).
À cet égard, l’EMPL souligne expressément que le Ministère public était à l’origine exclu du champ d’application du projet de loi sur l’information, mais que, lors de la consultation, plusieurs instances ont proposé de l’inclure. Dès lors que le champ d’application couvre autant le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, et qu’il a été donné suite à la proposition d’inclure le Ministère public, celui-ci doit être considéré comme une entité de l’administration cantonale vaudoise rattachée au Conseil d’État au sens de l’art. 2 al. 1 let. b LInfo. Partant, il est soumis à la LInfo (EMPL, pp. 2641–2642).
Activités juridictionnelles ou non juridictionnelles ?
Le Ministère public n’est soumis à la LInfo que dans la mesure où l’information et les documents concernés ne font pas partie de ses fonctions juridictionnelles, et ce pour des raisons de protection de la personnalité et de secret de l’enquête. En l’espèce, le Ministère public refuse l’accès au document concerné notamment en raison du fait que celui-ci ferait partie de ses fonctions juridictionnelles.
Par fonction juridictionnelle, il faut comprendre toutes les activités qui ont trait à des procédures en cours qui font l’objet de règles de procédure spécifiques pour l’accès aux documents. À noter que le Tribunal fédéral a récemment admis que seuls les documents de la procédure au sens strict peuvent échapper au principe de la transparence (TF, 1C_367/2020 du 12 janvier 2021, consid. 3.3).
Dans le cas d’espèce, le Préposé estime que le document en question ne fait pas partie de l’activité juridictionnelle du Ministère public. Par conséquent, celui-ci est soumis au principe de la transparence.
Document officiel élaboré ou détenu ?
En tant que second motif justifiant le refus, le Ministère public allègue que le document a été élaboré par le SECO et que l’administré doit, de ce fait, s’adresser à cette autorité pour en obtenir l’accès.
Nous nous limitons à mettre en exergue que l’art. 9 al. 1 LInfo précise qu’une personne peut demander l’accès à un document officiel, qui s’entend comme tout document achevé, quel que soit son support, qui est élaboré ou détenu par les autorités, qui concerne l’accomplissement d’une tâche publique et qui n’est pas destiné à un usage personnel.
Le fait que le Ministère public ait élaboré le document ou non ne joue aucun rôle. La simple détention d’un document officiel est suffisante pour que celui-ci soit soumis à une demande d’accès. De manière identique qu’en droit fédéral, la LInfo s’applique ainsi aux documents conçus par l’administration, mais également à tous ceux qu’elle a reçus de tiers (sans égard au fait qu’ils soient assujettis au principe de la transparence ou non). Toutefois, cela ne signifie pas que toutes les informations en main de l’administration dont celle-ci n’est pas l’auteur sont accessibles au public. L’autorité peut décider de ne pas publier ou transmettre des informations si des intérêts publics ou privés prépondérants s’y opposent (art. 16 LInfo).
Note
La décision du Préposé a pour conséquence de clarifier – de manière bienvenue – l’application du principe de la transparence au Ministère public. Il serait toutefois judicieux, lors d’une révision de la LInfo, de le prévoir expressément au sein de la LInfo afin d’assurer une plus grande sécurité juridique.
En outre, la décision du Préposé est l’occasion pour nous de mettre en exergue qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de règles de compétences claires pour le Ministère public afin de statuer sur une demande d’accès à un document officiel. S’il est certain que le Procureur général est personnellement compétent pour statuer sur ces demandes, il n’est pas pour autant exclu que les procureurs puissent également rendre des décisions à cet égard (ce qui est le cas dans la présente affaire). Toutefois, et dans le but d’assurer une politique cohérente en matière de communication, des règles de compétences claires pourraient être établies.
Finalement, nous soulignons que ce n’est pas la première fois que des documents détenus par un Ministère public font l’objet d’une demande d’accès. En juin 2016, le Tribunal fédéral avait admis le recours de l’association des juristes progressistes à accéder à une directive du Procureur général du canton de Genève précisant la politique pénale à l’égard des étrangers multirécidivistes en situation irrégulière (TF 1C_604/2015 et 1C_606/2015 du 13 juin 2016). À la suite de cette jurisprudence, le Procureur général du canton de Genève avait fait le choix de publier ses directives internes. Nous soulignons que le Ministère public vaudois publie également ses directives.
Proposition de citation : Livio di Tria, Le Ministère public central du canton de Vaud soumis au principe de la transparence, 25 octobre 2021 in www.swissprivacy.law/97
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