Réutilisation d’un numéro de téléphone en main de la police
Arrêt du Tribunal fédéral, TF 1C_467/2021 du 22 mars 2022
Faits
Un agent de la police cantonale fribourgeoise contacte un homme pour convenir avec lui d’une date pour son audition à la suite d’une plainte déposée à son encontre. Ce dernier estime que son numéro de téléphone portable privé a été obtenu, conservé et utilisé de manière illicite et porte ainsi l’affaire devant le Tribunal fédéral. Il allègue dans le cadre de son recours différents motifs, dont la violation de son droit à la sphère privée et son droit à la protection de ses données personnelles (art. 13 al. 2 Cst.).
Droit
Le Tribunal fédéral a développé toute une jurisprudence sur la question de la conservation de l’utilisation de données personnelles figurant dans les dossiers de police (cf. not. TF 1C_580/2019, commenté sur swissprivacy.law/34).
La conservation de données personnelles dans les dossiers de police porte une atteinte, au moins virtuelle, à la personnalité des personnes concernées, dont la protection est garantie par les art. 8 CEDH et 13 Cst. Ces données personnelles peuvent être utilisées ou, du moins, consultées par les agents de police ou être prises en compte dans des demandes d’informations formulées par des autorités tierces, voire fournies à celles-ci. La conservation et l’utilisation de ces données personnelles constituent ainsi une restriction aux droits fondamentaux devant respecter les conditions de l’art. 36 Cst., ainsi que la Loi fribourgeoise du 25 novembre 1994 sur la protection des données (LPrD ; RS/FR 17.1) qui pose en particulier à ses art. 4 à 6des exigences comparables.
Premièrement, la restriction doit reposer sur une base légale (art. 36 al. 1 Cst. et art. 4 LPrD). L’art. 38a de la Loi fribourgeoise du 15 novembre 1990 sur la Police cantonale (LPol ; RS/FR 551.1) habilite à ce titre la police à traiter les données personnelles nécessaires à l’accomplissement des tâches lui incombant. La convocation d’une personne afin d’être entendue constitue l’une des tâches liées à la constatation des infractions ainsi qu’à la collecte de preuves (art. 2 al. 1 let. b LPol). La police est autorisée à traiter le numéro de téléphone dont elle dispose déjà dans un dossier ou auquel elle a accès par un autre moyen.
De surcroît, l’art. 38d LPol prévoit à son premier alinéa que la police peut, moyennant le respect des conditions de la LPrD, conserver les données qu’elle a recueillies dans l’accomplissement de ses tâches en vue de la réutiliser à des fins de police. L’agent de police ayant contacté le recourant afin de connaître ses disponibilités pour une audition, le numéro de téléphone de ce dernier est effectivement utilisé à des fins de police.
Deuxièmement, toute restriction doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui. Selon le Tribunal fédéral, la conservation de données personnelles dans des dossiers de police ayant une utilité postérieure potentielle dans le cadre de la prévention, l’investigation et la répression des infractions pénales doit être considérée comme poursuivant un intérêt public prépondérant.
Troisièmement, toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé. Le Tribunal fédéral estime que, dans la mesure où cette prise de contact s’effectue dans l’intérêt de la procédure pénale, mais également du recourant pour l’informer de l’existence d’une plainte pénale et de l’agencement d’une date pour son audition, la proportionnalité est respectée.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note
Le Tribunal fédéral aborde brièvement les conditions de l’art. 36 Cst., respectivement les principes de légalité (art. 4 LPrD) et de proportionnalité (art. 6 LPrD) sans s’arrêter sur les autres principes de protection des données applicables. Notre Haute Cour n’argumente typiquement pas sur le principe de finalité (art. 5 LPrD). Ce faisant, elle donne à juste titre raison à la dernière instance cantonale qui a considéré que le principe de finalité était respecté, dans la mesure où la réutilisation à des fins de police d’un numéro obtenu lors de dépôts de dénonciations constitue une finalité qui, selon les règles de la bonne foi, est compatible avec le but pour lequel il a été collecté. La police doit par ailleurs être légitimée, dans le respect de certaines limites, à réutiliser pour d’autres enquêtes les données recueillies lors d’une enquête déterminée (art. 38d al. 1 LPol).
Proposition de citation : Pauline Meyer, Réutilisation d’un numéro de téléphone en main de la police, 26 avril 2022 in www.swissprivacy.law/139
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