Une annonce de départ d’un employé se transforme en communication à des tiers
Décision 115/2022 de l’Autorité de protection des données belge, 19 juillet 2022
En février 2020, une ancienne employée est contactée par certains de ses collègues de travail qui souhaitent prendre de ses nouvelles. Elle se rend compte que lors de l’une des réunions de son service à laquelle elle n’a pas assisté, l’un de ses directeurs a annoncé son départ. Un rapport émis par Cohezio (un service externe de prévention et de protection au travail belge) y a été lu en faisant état de son inaptitude à travailler au sein de l’entreprise.
Lors de cette réunion, un procès-verbal a été tenu, consignant les différentes informations. Par la suite, il a été communiqué par courrier électronique à l’ensemble des membres du service et conservé en libre accès pour l’ensemble du personnel sur le serveur de l’entreprise. Le procès-verbal mentionne notamment l’absence de l’ancienne employée depuis plusieurs semaines, le fait qu’elle a fait l’objet d’un rapport de Cohezio, qu’elle a été déclarée inapte au travail au sein de l’entreprise et qu’elle ne travaille désormais plus au sein de celle-ci.
L’employée concernée a introduit une plainte auprès de l’Autorité de protection des données belge (APD) contre son supérieur hiérarchique.
Dans un premier temps, l’APD constate que les propos tenus oralement par le directeur de l’entreprise constituent des données personnelles relatives à la plaignante, conformément à l’art. 4 par. 1 RGPD. Par ailleurs, l’APD relève que les termes utilisés d’« inapte au travail » ne dévoilent pas la pathologie physique ou mentale dont la plaignante souffrirait. Néanmoins, ils constituent une donnée relative à la santé de la plaignante au sens de l’art. 4 par. 15 RGPD. L’APD rappelle que le RGPD a opté pour une interprétation large de « la donnée relative à la santé » (voir https://swissprivacy.law/164/ sur le sujet). Elle ajoute à cet égard que :
« les autres informations consignées dans le procès-verbal (…) relatives à la longue absence de la plaignante et au fait qu’elle a fait l’objet d’un rapport de Cohezio constituent également, et pour les mêmes motifs des données relatives à la santé. »
Concernant la condition de traitement de données personnelles nécessaire pour l’application du RGPD, l’APD rappelle que l’art. 2 par. 1 RGPD :
« s’applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier. »
Par conséquent, si la plainte avait été uniquement basée sur une transmission orale de données personnelles ne provenant pas d’une banque de données ou d’un fichier et qui ne sont pas destinées à y être enregistrées, l’APD aurait dû se déclarer incompétente. Or dans le cas d’espèce, l’Autorité belge conclut que la consignation par écrit des informations sur la plaignante dans un procès-verbal remplit la condition de traitement, tout comme la mise à disposition de ce procès-verbal et des données personnelles qu’il contient.
Bien que la plainte ait été dirigée contre le supérieur hiérarchique de la plaignante, l’APD souligne qu’une telle plainte doit être dirigée contre un responsable du traitement selon l’art. 4 par. 7 RGPD. L’APD relève aussi que c’est généralement l’organisation en tant que telle qui agit en tant que responsable du traitement au sens du RGPD, et non une personne physique au sein de celle-ci. En l’espèce, c’est bien l’entreprise qui est responsable du traitement en cause. L’APD considérant cette notion « difficile à comprendre par une personne non versée dans la matière », elle a directement invité l’entreprise employeuse à répondre sur la plainte.
Concernant la conformité du traitement, l’APD rappelle que tout traitement doit reposer sur l’un des motifs de traitement de l’art. 6 par. 1 RGPD. Pour les catégories particulières de données telles que les données relatives à la santé, la condition de licéité n’est remplie que si l’art. 9 par. 2 RGPD prévoit une dérogation spécifique à l’interdiction générale de traiter ces données particulières. En l’espèce, la licéité du traitement de l’information relative à la plaignante concernant la déclaration de son inaptitude au travail par le responsable du traitement n’est pas contestée. En revanche, c’est bien la communication ultérieure de ces informations aux collègues de la plaignante ainsi que leur mise à disposition à l’ensemble du personnel qui l’est.
Dans son analyse de la licéité d’un tel traitement, l’APD juge que cette communication ultérieure poursuit une finalité distincte de la première. Cette dernière consistait à recevoir l’information et à la traiter au niveau des services des ressources humaines à des fins de gestion du personnel. Elle conclut alors que la communication ultérieure n’est pas compatible avec la finalité initiale (cf. www.swissprivacy.law/144 sur la notion de finalité compatible). De plus, l’APD estime que la personne concernée ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les mêmes données soient largement communiquées au-delà des personnes autorisées pour la gestion du personnel. Il s’agit donc d’un nouveau traitement de données qui aurait dû s’appuyer sur une base de licéité propre.
Pour l’APD, cette diffusion de données relatives à l’employé n’est basée sur aucune hypothèse de l’art. 9 par. 2 RGPD. En effet, l’employé n’a pas donné son consentement (art. 9 par. 2 let. a RGPD). La communication ultérieure et la consignation du procès-verbal ne peuvent pas non plus être qualifiées d’obligations nécessaires pour l’employeur (art. 9 par. 2 let. b RGPD). Elles ne portent, en outre, pas sur des données qui auraient manifestement été rendues publiques par la plaignante (art. 9 par. 2 let. e RGPD). Finalement, l’APD souligne que le principe de minimisation des données n’a pas été respecté. En effet, l’employeur aurait dû se limiter à annoncer le départ de l’employée sans en donner les raisons.
L’APD conclut donc que le responsable du traitement n’avait pas de motifs justifiant le traitement, violant ainsi les art. 5 par. 1 let. b juncto 6 par. 4 et 9 par. 2 RGPD. Conformément à son droit, l’Autorité belge a émis une réprimande à son encontre. Elle a souligné ne pas être compétente pour infliger une amende, car le responsable du traitement est une autorité publique.
Cette décision illustre une nouvelle fois l’interprétation large de la notion de donnée relative à la santé sous l’angle du RGPD. Les conditions pour traiter de telles données étant plus restrictives, une attention particulière est donc de mise.
Finalement, il est intéressant de relever qu’une communication à des tiers ne se produit pas uniquement dans des rapports d’une entité à une autre. En effet, ce cas met en lumière une telle communication intra-muros à une entreprise ayant comme tiers ses propres employés. La communication doit cependant (être destinée à) figurer dans un fichier pour permettre l’application du RGPD. De surcroit, il est possible que d’autres dispositions entrent en jeu, notamment en droit du travail. La prudence reste donc de mise et les informations transmises devraient être les plus limitées possible.
Proposition de citation : David Dias Matos, Une annonce de départ d’un employé se transforme en communication à des tiers, 24 août 2022 in www.swissprivacy.law/167
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