Cookies walls : Le consentement jugé invalide si l’alternative payante offre plus de contenu
Décisions de l’Agence danoise de protection des données du 8 février 2023 (Jysk Fynske Mediers 2021−31−5553) et (Gul og Gratis 2021−31−4871)
Faits
L’Agence danoise de protection des données a rendu en février 2023 deux décisions de principe sur le sujet de l’utilisation des cookies walls (« murs de cookies ») par deux entreprises danoises, Jysk Fynske Mediers et Gul og Gratis, proposant respectivement un site de média et un site d’achat et vente en ligne. Les deux décisions portent sur des faits similaires et débouchent sur des conclusions semblables. Elles sont par conséquent analysées simultanément et les différences sont mises en évidence.
Dans les deux cas, un plaignant saisit l’Agence de protection des données danoise, remettant en cause l’utilisation des cookies walls selon le modèle « Pay-or-Okay ». Cette pratique consiste à conditionner l’accès au contenu d’un site web à l’acceptation de traceurs ou au paiement d’une certain somme d’argent, généralement sous la forme d’un abonnement mensuel au service proposé.
Bien qu’aucune donnée du plaignant n’ait été traitée par les deux entreprises, l’Agence se penche sur le modèle « Pay-or-Okay » et examine si les traitements de données personnelles des visiteurs actuels des deux sites sont conformes au RGPD.
Les points litigieux portent sur l’utilisation des cookies à des fins de statistiques, dont la nécessité à des fins de financement n’est pas démontrée par les deux sites, ainsi que sur l’aspect « largement équivalent » de l’offre de services entre les deux alternatives (consentement v. abonnement).
D’emblée, l’Agence danoise établit qu’en général, l’utilisation du modèle « Pay-or-Okay » est conforme au RGPD, rejetant les observations du plaignant. À noter que la plupart des autorités européennes de protection des données partagent cette opinion. C’est le cas notamment de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et ses lignes directrices sur les cookies walls (cf. www.swissprivacy/163), de l’autorité allemande qui a rendu une résolution (cf. Bewertung von Pur-Abo-Modellen auf Websites), ou encore de l’autorité autrichienne dans une décision visant le cas d’un média ayant recours à ce modèle d’accès (DSB-D122.974/0001-DSB/2019).
Les cookies à des fins statistiques
Lorsqu’une personne accède aux sites web respectifs de ces entreprises, elle est accueillie par un cookie wall. Deux options sont alors présentées à l’internaute pour accéder au contenu du site. La première est d’accepter l’intégralité des cookies, la deuxième de souscrire à un abonnement mensuel.
La possibilité de choisir les types des cookies (préférences, statistiques, publicitaires) appliqués est réservée aux personnes abonnées au service. Dans les motifs présentés par les deux sites web sur la nécessité de ces traceurs, le besoin de recettes publicitaires est invoqué.
À cet égard, l’Agence danoise relève que, bien que les cookies publicitaires ou marketing soient à même de remplir la finalité du financement des services, les deux entreprises ne démontrent pas en quoi cette finalité peut être atteinte par les cookies statistiques. Les politiques de confidentialité respectives des deux sites ne clarifient pas non plus cette question, ces derniers invoquant devant l’Agence le consentement volontaire comme base du traitement.
La finalité n’étant pas justifiée pour l’utilisation des traceurs statistiques, l’Agence conclut que les exigences pour le consentement prévu à l’art. 4 par. 11 RGPD ne sont pas respectées. Le traitement doit ainsi être considéré comme illicite.
L’Agence danoise soutient que le consentement au traitement des données à des fins statistiques devrait être séparé du consentement visant les autres finalités, dans la mesure où il ne peut être démontré que les cookies statistiques contribuent au financement des services. À noter que la CNIL estime que des traceurs statistiques peuvent être déposés sans consentement dans certaines circonstances précises (cf. Cookies : solutions pour les outils de mesure d’audience).
Les services « largement équivalents »
La deuxième analyse effectuée par l’Agence danoise vise cette fois uniquement le site web de l’entreprise Jysk Fynkse Mediers. L’analyse a toujours pour objet la validité du consentement au traitement des données, cette fois sous l’angle du caractère « largement équivalent » de l’offre de service entre les deux alternatives de cookies walls.
En effet, il découle de plusieurs lignes directrices ainsi que d’une jurisprudence autrichienne – citée dans la décision – certains critères dans l’utilisation du modèle « Pay-or-Okay » (sur les autres critères, cf. www.swissprivacy.law/163).
Le critère spécifique du caractère « largement équivalent » de l’offre de service requiert que, quel que soit l’alternative choisie entre celle du consentement ou celle de l’abonnement payant, l’internaute puisse avoir accès à du contenu substantiellement équivalent.
Or dans le cas d’espèce, l’Agence danoise de protection des données estime que ce critère n’est pas rempli. En effet, lorsque la personne accède au site sur la base de son consentement à l’utilisation des cookies, elle ne jouit que d’un accès restreint au contenu du site web (seuls certains articles sont « déverrouillés »). À l’inverse, la souscription à un abonnement fait bénéficier d’un accès au contenu intégral proposé par la page web.
Selon l’Agence danoise, cette différence dans l’étendue de l’accès va à l’encontre du critère de l’équivalence dans l’offre et est à même de disqualifier le caractère volontaire du consentement au traitement des données.
Partant, elle conclut que Jysk Fynske Mediers doit proposer un contenu largement équivalent quelle que soit l’alternative choisie pour accéder au contenu du site.
Conclusion
L’Agence danoise fixe un délai au 8 mars 2023 pour la mise en conformité pour les deux entreprises concernées. Il semblerait que, au jour de la publication du présent article, le mécanisme permettant des consentements séparés soit en place (un menu déroulant permet d’accepter ou refuser les différents types de traceurs). Cependant, il n’est pas possible d’accéder sans consentir à l’ensemble des cookies (la validation des choix ne fonctionnant pas).
Sur l’interprétation faite par l’Agence danoise, on peut critiquer l’interprétation faite au sujet de l’accès à des services « largement équivalents ». En effet, il semblerait que le but de ce critère est de ne pas forcer l’internaute à accepter les cookies à défaut d’une autre alternative réelle et équitable au traitement de ses données personnelles. En l’espèce, en cas de refus des cookies, l’internaute dispose d’une alternative certes payante, mais lui donnant un accès plus large au contenu du site web. On pourrait penser que ce modèle présente un avantage pour l’internaute, dont les données ne sont pas traitées. Les motivations de l’Agence danoise restent étonnement floue, d’autant plus qu’il s’agit d’une décision de principe.
En ce qui concerne l’utilisation des données à des fins statistiques, on peut également questionner le dépôt de traceurs statistiques dans la variante payante. Bien que l’internaute puisse changer les préférences une fois l’abonnement souscrit, on pourrait s’attendre à ce que tout traceur non nécessaire soit automatiquement retiré, ou non appliqué une fois le paiement effectué. Au contraire, une démarche supplémentaire est exigée de la part de l’internaute soucieux de sa vie privée pour retirer les traceurs non désirés.
Proposition de citation : Charlotte Beck, Cookies walls : Le consentement jugé invalide si l’alternative payante offre plus de contenu , 6 avril 2023 in www.swissprivacy.law/215
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.