Automatisation et systèmes de gestion des risques au sein des administrations fiscales cantonales
Situation initiale
La numérisation, et plus particulièrement l’automatisation des procédures fiscales, progresse continuellement dans les administrations fiscales. Depuis juin 2021, les cantons sont obligés de proposer des procédures fiscales électroniques (voir le texte du vote final à propose de la Loi fédérale sur les procédures électroniques en matière d’impôts du 18 juin 2021). Cela concerne en particulier la possibilité de soumettre la déclaration d’impôt (entièrement) par voie électronique et la notification de la décision de taxation également par l’autorité fiscale par voie électronique. Dans ce dernier cas, les décisions de taxation cantonales dans le domaine de l’impôt fédéral direct sont largement numérisées. En cas de telle automatisation complète de la décision de taxation, le contrôle de la déclaration d’impôt soumise par le/la contribuable doit être garanti, comme lors de la décision de taxation ordinaire.
Collecte de données lors de la procédure fiscale
Dans la procédure de décision de taxation, l’autorité fiscale est chargée de vérifier les faits (principe d’instruction d’office). Elle est assistée en grande mesure par le/la contribuable (devoir de collaboration). Une procédure de décision de taxation implique le traitement de données personnelles au sens des législations sur la protection des données.
La personne chargée du traitement devra, selon les circonstances, appliquer la nouvelle Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la protection des données (nLPD) ou la législation cantonale sur la protection des données. Si ce sont des personnes privées ou des organes fédéraux qui traitent les données, alors la nLPD s’applique (art. 2 al. 1 nLPD) ; si les données sont traitées par des entités publiques communales ou cantonales, la législation cantonale en matière de protection des données s’applique.
Au niveau fédéral, l’art. 34, al. 1 nLPD prévoit que les organes fédéraux ne peuvent traiter des données personnelles que s’il existe une base légale à cet effet. Les données sensibles nécessitent une base légale formelle, sauf si la tâche est décrite dans une loi au sens formel et qu’elle est indispensable à celle-ci. Toutefois, une base juridique matérielle est malgré tout nécessaire (art. 34 al. 2 et al. 3 let. a nLPD). Dans les cantons, la situation est – en partie – différente. Par exemple, selon la loi sur l’information et la protection des données (IDG-BS), l’administration fiscale de Bâle-Ville peut s’appuyer sur une base juridique indirecte lorsqu’elle traite des données personnelles ou des données personnelles sensibles. Un traitement de données est autorisé s’il sert une tâche prévue par une loi formelle (§ 9 al. 1 let. b et al. 2 let. b IDG-BS).
Principe de la finalité et de proportionnalité
L’organe fédéral n’est toutefois autorisé à traiter les données que pour un but clairement défini (art. 6 al. 3 nLPD, les législations cantonales en matière de protection des données ont des dispositions similaires). Le but peut découler du contexte des réglementations, et dans le cas de données sensibles il peut découler explicitement d’une base juridique formelle. En pratique, les autorités fiscales collectent les données pour un type d’impôt spécifique, au cours d’une période fiscale précise, afin d’évaluer les contribuables de manière uniforme et proportionnelle.
La collecte de données est également limitée dans le temps par le principe de proportionnalité (art. 6 al. 2 nLPD ; les lois cantonales sur la protection des données prévoient des dispositions similaires, et dans tous les cas, le principe de proportionnalité a valeur constitutionnelle selon l’art. 5 al. 2 Cst.). Cela implique notamment que les autorités fiscales ne peuvent pas conserver les données au-delà de la durée requise par la loi.
Nonobstant ce qui précède, les législations ne précisent pas spécifiquement quelles données peuvent être collectées par les autorités fiscales. De même, la conservation des données n’est pas définie par la loi. Par conséquent, les autorités fiscales cantonales bénéficient d’une vaste marge de manœuvre.
Les sources des données se diversifient
Pour accomplir leur travail, les autorités fiscales peuvent recueillir des données auprès de tiers, ou auprès d’autres autorités conformément à la collaboration entre autorités (cf. p. ex. art. 154 ss de la Loi sur les impôts du canton de Berne). L’internet ouvre toutefois de nouvelles sources de données pour l’établissement des faits. L’évolution à l’échelle internationale montre que les autorités fiscales appliquent des procédés d’apprentissage automatisés pour vérifier les déclarations d’impôt et détecter les fraudes fiscales (cf. Université d’Anvers). Voici quelques exemples de ces systèmes automatisés :
- Un décret publié en 2021 permet aux autorités fiscales françaises de parcourir diverses plateformes en ligne pour identifier des preuves de fraude fiscale (Décret no 2021-148 du 11 février 2021). À cet effet, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et les douanes françaises peuvent collecter pour une période expérimentale de trois ans des données personnelles accessibles au grand public à partir des réseaux sociaux, mais aussi de plateformes comme Airbnb ou le site de petites annonces Le Bon Coin.
- Les autorités fiscales grecques ont recours, dans une phase expérimentale, à des drones afin de vérifier des informations des déclarations d’impôt dans des régions touristiques. À l’aide des données recueillies par les drones, les autorités ont pu déterminer le nombre de passagers à bord des bateaux de plaisance et comparer ces données avec les recettes déclarées par le contribuable dans sa déclaration d’impôt (cf. Papadimas Lefteris).
- L’administration fiscale britannique utilise un programme de collecte et d’analyse de données (le programme « His Majesty’s Revenue and Customs Connect Computer System », cf. Andersen Chris) qui collecte différentes données à partir d’au moins une trentaine de bases de données différentes, les analyse et les enregistre à d’autres fins. Cela inclut les données des fournisseurs de services de paiement en ligne tels que PayPal ou les sites web de vente tels qu’Amazon et eBay, les données des médias sociaux ou les informations sur les vols et leurs passagers (cf. Sanghrajka Jay pour de plus amples informations).
Ces nouvelles sources de données pourraient ouvrir une nouvelle voie dans la comparaison des informations dans la déclaration d’impôt avec les autres sources d’informations disponibles sur la personne en question. En plus, ces informations pourraient également servir à comparer les informations fournies par les contribuables avec celles d’autres contribuables.
L’application de systèmes de gestion des risques dans les procédures fiscales automatisés
En raison de l’évolution démographique, du traitement de données en croissance et des ressources rares en personnel, il n’est pas surprenant que, par exemple l’Allemagne (§ 88 al. 5 Abgabenordnung) et l’Autriche (§§ 48a et 114 al. 4 Bundesabgabenordnung) ont adapté leurs législations fiscales. Les déclarations d’impôt soumises sont vérifiées à l’aide de systèmes de gestion des risques automatisés. Le résultat de la vérification de plausibilité de la déclaration d’impôt sert à évaluer si un/e contribuable a complété la déclaration d’impôt conformément à la vérité. De tels systèmes de gestion des risques séparent les cas délicats des cas non délicats. Les cas les plus délicats sont revus par une personne physique pour un contrôle.
Les systèmes de gestions de risques sont une condition indispensable pour l’automatisation complète des procédures fiscales. Une automatisation complète sans triage des cas délicats comprend le risque de ne pas identifier des informations erronées dans la déclaration d’impôt.
Cependant, les systèmes de gestion des risques comportent également des défis. Un exemple des Pays-Bas montre dans quelle mesure les systèmes peuvent être exposés aux erreurs, par exemple parce qu’ils n’identifient pas certains cas à risque ou assument systématiquement un risque pour certains groupes (cf. Heikkilä Melissa).
Changement de finalité des données
Dans le cadre des décisions de taxation, les données des contribuables pour un type d’impôt spécifique sont collectées sur une période fiscale spécifique. En revanche, dans la procédure fiscale automatisée, les données de différents assujettis pourraient être utilisées pour vérifier la plausibilité de la déclaration fiscale d’une autre personne. Ainsi, les données relatives à un contribuable peuvent être comparées avec les données d’autres contribuables ayant des caractéristiques, des activités ou d’autres éléments comparables, dans le but d’identifier certains modèles de comportement ou, par exemple, de calculer des probabilités d’honnêteté fiscale. Cela impliquerait toutefois un changement de la finalité des données collectées. Le but ne serait plus le traitement des données d’un/e contribuable précis/e pendant une période fiscale déterminée, mais plutôt le traitement des données concernant plusieurs contribuables, respectivement le traitement des données d’une personne dans le but de traiter une autre personne. En principe, le traitement de données personnelles pour un autre but n’est pas couvert par la base légale permettant la collecte des données initiale. De même, collecter des données « pour le cas où », afin de les utiliser plus tard dans un autre contexte, est tout aussi inadmissible.
Cependant, et pour le bon fonctionnement de l’administration, d’autres finalités peuvent être prévues au sein de diverses lois afin de faciliter les échanges de données entre autorités. Il arrive que les données fiscales soient « communiquées » par l’autorité fiscale à une autre autorité publique, par exemple pour évaluer si une personne est nécessiteuse. En revanche, le traitement des données de l’administration fiscale qui ont été collectées aux fins de l’imposition par la même administration fiscale à d’autres fins – telles que la vérification des déclarations fiscales d’autres contribuables – ne relève pas de la communication au sens de la nLPD.
Profilage potentiel
L’utilisation de systèmes de gestion des risques peut mener à des prévisions sur des aspects pertinents de la personnalité, comme l’honnêteté et la fiabilité d’un/e contribuable. Cela implique un profilage au sens de l’art. 5 let. f nLPD. Dans un tel cas, il convient de préserver les conditions constitutionnelles et de protection des données.
Dans le contexte du profilage, c’est surtout le droit fondamental à l’autodétermination en matière informationnelle qui fait foi (art. 13 al. 2 Cst.). La loi sur la protection des données fixe des exigences accrues lorsque les autorités se livrent au profilage. Le profilage par un organe fédéral nécessite une base légale au sens formel (art. 34 al. 2 let. b nLPD). Une base légale au sens matériel est suffisante pour autant que le traitement est indispensable à une tâche définie dans une loi au sens formel et que la finalité du traitement ne comporte pas de risques particuliers relatifs aux droits fondamentaux de la personne concernée (art. 34 al. 3 nLPD). La preuve de l’indispensabilité devrait être difficile à réaliser dans l’application de la fiscalité, et ce d’autant plus que les procédures fiscales ont été réalisées jusqu’à ce jour sans profilage. La deuxième condition sera difficile à justifier puisque le Tribunal fédéral a déjà qualifié la création d’un profil de personnalité d’atteinte grave aux droits fondamentaux (ATF 146 I 11 C. 3.2 ; ATF 143 I 253 C. 3.2 et 4.9 ; ATF 129 I 232 C. 4.3.2) et le profilage est destiné à remplacer l’ancienne notion de profil de personnalité (FF 2017 6565, 6641).
Les cantons sont à des stades différents concernant la révision de leur législation sur la protection des données. Ils doivent toutefois s’assurer du respect des droits fondamentaux, raison pour laquelle les explications en matière fédérale valent également en matière cantonale.
Perspectives
En principe, l’application de systèmes de gestion des risques est également envisageable dans le futur en Suisse. Du point de vue du droit constitutionnel et de la protection des données, il est particulièrement préoccupant que cela puisse conduire à un profilage au sens de la nLPD. Il convient, par conséquent, de créer les bases légales adéquates. Il n’est toutefois pas possible d’en formuler les contenus de manière générale. Dans la procédure de taxation, le contenu de la base légale devra s’orienter fortement sur la finalité du traitement des données, afin notamment de respecter les exigences en matière de densité normative. La réalisation du profilage devrait être clairement visible, tout comme le fait que les données sont collectées dans le but d’être comparées à d’autres données. Par ailleurs, des possibilités de contrôle appropriées sont indispensables.
Le présent article est basé sur un document publié (en allemand) par les auteures le 30 mars 2023 dans le magazine de droit fiscal international et national ZSIS (plus d’informations ici sur le site internet e‑PIAF).
Proposition de citation : Nadja Braun Binder / Liliane Obrecht, Automatisation et systèmes de gestion des risques au sein des administrations fiscales cantonales, 9 mai 2023 in www.swissprivacy.law/225
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