Le Service des Automobiles et de la Navigation du canton de Vaud introduit l’auto-index
Émoi au pays du papet et du chasselas. Le SAN a annoncé en ce début d’année son intention de mettre à disposition de tous un auto-index dès le 4 avril 2022. Relayée par l’intermédiaire d’un flyer informatif envoyé par le SAN aux détenteurs de véhicules immatriculés dans le canton de Vaud, en même temps que la taxe automobile pour l’année 2022 (merci !), l’annonce a provoqué un torrent d’articles de journaux, ainsi que de nombreux commentaires fleuris sur les réseaux sociaux.
Mal comprise ou incomprise, la mise à disposition d’un auto-index suscite le questionnement et la méfiance. À quoi servira-t-il ? Comment fonctionnera-t-il ? La pratique est-elle légale ? Est-ce un vaudoiserie ? Au vu des nombreuses personnes concernées (1’200’000 personnes), nous avons voulu démêler le vrai du faux de cet imbroglio.
Auto-index : késako ?
L’auto-index, ce n’est ni une automobile ni un index (qui se trouve être le doigt de la main le plus proche du pouce et le second le plus éloigné de l’auriculaire) fusionnés ensemble.
L’auto-index est un répertoire (ou un annuaire) consistant à permettre à toute personne de consulter de manière simple, rapide et gratuite le registre public des détenteurs de véhicules immatriculés dans le canton de Vaud. Sont concernés tous les types de véhicules, tels qu’une automobile, un motocycle ou un bateau.
Métaphoriquement parlant, c’est un peu le Google des plaques vaudoises permettant d’obtenir les coordonnées du détenteur d’un véhicule immatriculé en terre vaudoise. L’auto-index ne sert pas à obtenir des données matérielles sur le type de véhicule que vous conduisez, ou sa puissance (vrooooum), mais permet d’obtenir le nom, le prénom et l’adresse du détenteur de véhicule. Un tel auto-index est déjà en place dans plusieurs cantons (p. ex. les cantons d’Argovie, de Fribourg, de Lucerne, de Schaffhouse, de Zoug et de Zurich).
Mais… Ce n’est pas déjà le cas ?
Oui… Mais la procédure n’est pas la même. Il est déjà possible dans le canton de Vaud (et dans tous les cantons qui n’ont pas mis en place un auto-index) d’obtenir les coordonnées d’un détenteur de véhicule.
Aujourd’hui, le SAN ne communique ces coordonnées que moyennant la réception d’une demande et le paiement d’un émolument de CHF 20.–. Il suffit de remplir la demande de renseignements mise à disposition par le SAN et de la lui adresser. Le requérant n’a pas besoin d’être domicilié dans le canton de Vaud et le détenteur du véhicule n’est pas informé de l’identité du requérant.
Fun fact #1 ? Il est précisé sur le site web du SAN que la demande de renseignements doit être motivée. Tel n’est pas le cas en réalité. Cette mention ne se retrouve d’ailleurs pas dans la demande de renseignements.
Qu’est-ce que l’auto-index va réellement changer ?
Très concrètement, à partir du 4 avril 2022, plus besoin d’adresser une demande de renseignements au SAN (ni de payer un émolument !).
Toute personne pourra utiliser l’auto-index et y entrer le numéro d’une plaque d’immatriculation vaudoise pour accéder aux coordonnées d’un détenteur de véhicule (qui lui n’a pas besoin d’être vaudois, mais doit au moins y être domicilié). La procédure est donc automatisée.
Conscient du phénomène de web scrapping, le SAN va toutefois limiter le nombre de recherches à cinq par jour. Une mesure déjà en place dans les cantons au bénéfice d’un auto-index. Son efficacité semble toutefois bien limitée puisqu’il est facile (mais chronophage) de modifier une adresse IP par un système VPN, ou par la simple ouverture d’une page web en navigation privée (expérience faite, cela fonctionne). Force est d’admettre que du côté des mesures techniques, on aurait pu mieux faire…
L’auto-index est-il utile ?
Oui, non, ça dépend. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse.
Il est parfois utile de pouvoir obtenir les coordonnées du propriétaire d’un véhicule. Par exemple, tel est le cas lorsqu’un autre usager de la route endommagerait un véhicule alors que son propriétaire n’est pas présent et qu’il souhaiterait prendre contact avec lui (dans le meilleur des mondes…).
Dans d’autres cas, cet auto-index ne se révélera pas utile, voire pourrait être utilisé à mauvais escient. L’imagination humaine étant sans limite, il ne nous semble pas utile de donner ici un exemple concret… mais tcheu, à quel bobet appartient ce cassoton de malheur qui m’a dépassé dans les virolets du col de la Croix.
Quel rapport avec la protection des données et est-ce légal ?
Les cantons sont compétents pour émettre les plaques d’immatriculation, ou plaques de contrôle pour reprendre la notion juridique de la Loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière (LCR), et tenir un registre des détenteurs. Les autorités cantonales compétentes traitent donc des données personnelles et doivent respecter les règles édictées à cet effet par leur législation cantonale en matière de protection des données.
Le SAN, qui est l’autorité cantonale compétente, est soumis à la Loi vaudoise du 11 septembre 2007 sur la protection des données personnelles (LPrD). Il tient un registre des détenteurs d’une plaque d’immatriculation dans un fichier intitulé « Infocar », qui concerne approximativement 1’200’000 de personnes.
Lorsque le SAN permet à toute personne d’accéder aux coordonnées d’un détenteur d’une plaque d’immatriculation, il communique des données personnelles. Une telle communication n’est légale que moyennant le respect de l’art. 15 LPrD. En l’espèce, la communication des données est ancrée à l’art. 89g al. 5 LCR, qui est une base légale autorisant expressément la communication des coordonnées susmentionnées par les autorités cantonales compétentes. L’art. 89g al. 5 LCR prévoit que :
« [l]es cantons peuvent publier les nom et adresse des détenteurs de véhicules si la communication officielle de ces données ne fait pas l’objet d’une opposition. Les détenteurs peuvent s’opposer, sans conditions et gratuitement, à la diffusion des indications les concernant auprès de l’autorité cantonale compétente. »
L’auto-index prévu par le SAN ne pose ainsi pas de problème de protection des données. Il est toutefois certain que celui-ci facilite l’accès aux coordonnées, ce qui peut être critiqué. Toutefois, la communication des données était un souhait de l’Assemblée fédérale.
La genèse de la communication des coordonnées des détenteurs de véhicules
La communication des coordonnées des détenteurs de véhicules au sens de l’art. 89g al. 5 LCR n’a pas toujours été un principe inscrit dans la pierre. Ce principe n’était d’ailleurs pas prévu avant la révision partielle de la LCR qui eut lieu en 2010, à l’initiative du Conseil fédéral, et qui fut adoptée par l’Assemblée fédérale le 15 juin 2012 (RO 2012 6291). Seules des données matérielles (c’est-à-dire ne concernant pas des personnes) pouvaient jusqu’alors être publiées. Pour sa part, l’art. 89g al. 5 LCR n’est entré en vigueur que le 1er janvier 2019 (RO 2018 4985).
Pour mémoire, cette révision partielle fut lancée par le Conseil fédéral et concernait le programme d’action de la Confédération visant à renforcer la sécurité routière, plus connu sous le nom de Via Sicura (FF 2010 7703).
Nous soulignons que le Conseil fédéral n’avait pas prévu de chambouler le système en place. La communication des coordonnées des détenteurs de véhicules est un ajout de la Commission des transports et des télécommunications du Conseil des États datant du 8 avril 2011. Tant le Conseil d’État que le Conseil national ont accepté cet ajout, sans vraiment en débattre. Cela ressort du Bulletin officiel de l’Assemblée fédérale qui, en l’espèce, ne contient aucune trace d’un quelconque débat sur la question. Seul l’accès aux procès-verbaux de la Commission permettrait de trouver une raison à cet ajout.
Allô docteur, que puis-je faire ?
Comme l’art. 89g al. 5 LCR le précise, il est possible pour tout détenteur d’un véhicule de s’opposer à la communication de leurs coordonnées. Cette opposition est inconditionnelle et gratuite. Il suffit pour le détenteur de compléter et d’adresser au SAN le formulaire 1333 (et non d’exécuter l’ordre 66).
Reste que dans les cas prévus par l’art. 89g al. 3 LCR, le SAN peut continuer à communiquer les données relatives aux détenteurs et aux assurances aux personnes qui (i) participent à la procédure d’admission à la circulation (ii) sont concernées par un accident de la route et (iii) font valoir par écrit un intérêt suffisant, en vue d’une procédure.
Fun fact #2
L’émoi que provoque la mise en place d’un auto-index est compréhensible, tant celui-ci peut révéler des informations que l’on ne souhaite pas être connues du grand public. Toutefois, l’art. 89g al. 5 LCR n’est de loin pas la seule base légale qui permet d’accéder à de telles informations.
L’art. 22 al. 1 de la Loi vaudoise du 9 mai 1983 sur le contrôle des habitants (LCH) prévoit que le bureau de contrôle des habitants est autorisé à renseigner les particuliers sur l’état civil, la date de naissance, l’adresse postale complète, les dates d’arrivée et de départ, le précédent lieu de séjour et la destination d’une personne nommément désignée. Là non plus, la personne concernée n’est pas informée de la demande de renseignements. Tout citoyen peut toutefois, à certaines conditions, demander la confidentialité de ses données auprès du contrôle des habitants.
Moins connu, peut-être car il s’agit cette fois-ci d’une vaudoiserie, l’Arrêté du 16 décembre 2002 relatif à la consultation du résultat de la taxation des contribuables assujettis aux impôts directs cantonaux (ACRT) permet, comme son nom l’indique, d’avoir accès au résultat de la taxation d’un contribuable assujetti aux impôts directs cantonaux. L’ACRT est fondé sur l’art. 181 de la Loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts direct cantonaux.
L’Administration cantonale des impôts ne peut pas communiquer toutes les données personnelles concernant le contribuable. Seuls les éléments se rapportant à la dernière taxation passée en force peuvent être communiqués. Depuis le 1er janvier 2017, le contribuable dont le résultat de la taxation est demandé est informé de l’identité de l’auteur de la demande.
Proposition de citation : Livio di Tria, Le Service des Automobiles et de la Navigation du canton de Vaud introduit l’auto-index, 27 janvier 2022 in www.swissprivacy.law/118
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