L’effacement des données des employés collectées lors de la pandémie de Covid-19 : une exigence excessive ou une nécessité ?
Introduction
Durant la pandémie de Covid-19, les employeurs ont dû adopter des mesures sanitaires spécifiques, lesquelles ont impliqué la collecte et le traitement d’une quantité importante de données personnelles et sensibles relatives à leurs employés.
Les prescriptions sanitaires fédérales et cantonales abrogées, qu’adviendra-t-il de ces données ? Les employeurs peuvent-ils les conserver, respectivement en traiter d’autres en vue d’une nouvelle vague de Covid ? Il convient de faire un point – et surtout un tri – sur les données collectées au cours des deux dernières années par les employeurs.
Données collectées pendant la pandémie
Dans le contexte du Covid-19, les données collectées par les employeurs l’ont été de manière présumée licite puisqu’elles ont été nécessaires à l’évaluation de l’aptitude du travailleur à exécuter son emploi (art. 328b CO). Cette aptitude a dû s’évaluer à la lumière des mesures sanitaires adoptées par le Conseil fédéral et la collecte de telles données a permis à l’employeur d’attester le respect des prescriptions de droit public alors en vigueur.
Les données collectées (données Covid-19) ont porté tant sur la vie professionnelle du travailleur – notamment listes de présence, travail à distance, réduction de l’horaire de travail, dépistages ciblés et répétés – que sur sa vie personnelle – notamment le statut vaccinal, l’état de santé, le certificat Covid (en principe light), les lieux de présence durant les vacances en fonction des régions à risque, etc.
De manière générale, les principes de proportionnalité, de bonne foi et de finalité (art. 4 al. 2 et 3 LPD) s’appliquent aux données traitées par l’employeur, y compris lorsque ce traitement s’inscrit dans le champ de l’article 328b CO (TF 4A_518/2020 du 25 août 2021 consid. 4.2.4). Tel a également été le cas pendant la période couverte par les Ordonnances Covid-19.
En vertu de ces principes, et ceci même en période de pandémie, le droit de collecter et de traiter n’implique pas nécessairement le droit de conserver pour une durée illimitée.
Fin des mesures Covid-19
Depuis le 1er avril 2022, les dernières mesures de l’Ordonnance Covid-19 situation particulière ont été levées.
La levée des mesures a entraîné avec elle la disparition de la finalité poursuivie par l’employeur pendant la période de Covid-19, ce qui a pour corollaire, sauf situation particulière, l’absence de nécessité à la conservation de ces données.
Si un doute pouvait subsister quant à la nécessité de conserver certaines données en période de pandémie, la levée des mesures a fait disparaître les motifs justifiant leur conservation. Non seulement aucune obligation de droit public liée à la pandémie ne justifie que l’employeur conserve les données collectées, mais surtout l’aptitude du travailleur à exécuter son emploi ne dépend plus de quelque mesure sanitaire que ce soit. Bien que l’employeur reste tenu de protéger la personnalité de ses employés (art. 328 CO et 6 LTr), la conservation des données Covid-19 n’est plus justifiée, ceci même si ces données ont été collectées avec le consentement de la personne concernée.
À l’instar de ce qui prévaut lorsque l’employeur souhaite prévenir une épidémie de grippe saisonnière, ce dernier ne peut pas, aujourd’hui, conserver de telles données au motif de la prévention du Covid-19.
Dans l’hypothèse où un travailleur était particulièrement vulnérable, il lui incomberait de solliciter des mesures spécifiques de protection auprès de son employeur, sur la base de l’art 328 CO. Si une résurgence du Covid-19 est à craindre, les mesures adéquates et la collecte de données conforme au principe de finalité et de proportionnalité devront être opérées en temps utile.
Lorsque les données portent sur la vie professionnelle, le respect d’autres obligations de droit public de l’employeur peut justifier la conservation de celles-ci, dès lors qu’elles seront nécessaires à l’exécution du contrat de travail (art. 328b CO). Tel est par exemple le cas de la conservation de la liste des présences et de télétravail lorsque l’employeur doit attester une réduction de travail auprès d’institutions d’assurances sociales (tels que les RHT ou les APG) ou de l’établissement du certificat de salaire (art. 127 al. 1 let. a LIFD). De telles hypothèses n’exemptent cependant pas l’employeur d’observer le principe de minimisation du traitement de données, à savoir de ne conserver que les données strictement nécessaires, de même que son devoir d’information relatif à l’étendue et à la finalité de la conservation (art. 4 LPD, 5 OLT3).
Sur le principe, l’employeur devra ainsi supprimer l’intégralité des données Covid-19 relatives à la vie personnelle et intime de ses travailleurs et évaluer de cas en cas la nécessité de conserver les données concernant leur vie professionnelle. À défaut et pour autant que l’atteinte à la personnalité revête une certaine gravité, tant de manière objective que subjective, le travailleur victime de l’atteinte pourrait requérir la cessation du traitement des données et, le cas échéant, prétendre au versement d’une indemnité fondée sur les articles 328, 328b et 49 al. 1 CO (TF 4A_518/2020 du 25 août 2021, consid. 4.2.5).
Situations particulières
Certaines exceptions doivent être reconnues au principe de suppression des données relatives à la vie personnelle et qui ont été collectées dans le cadre de la pandémie Covid-19. Tel est le cas s’agissant de travailleurs actifs dans des domaines particuliers, tel que celui de la santé, ou de travailleurs dont l’accomplissement des tâches implique de voyager dans des pays soumis à des restrictions sanitaires.
Dans le domaine de la santé, l’obligation de l’employeur de protéger la santé des travailleurs (art. 6 LTr, OLT1, OLT2 et OPA) et son devoir de diligence dans la prise en charge des patients par des auxiliaires impliquent une diligence stricte de la part de l’employeur. Dans un contexte d’exposition accrue, l’employeur qui collecte et conserve des données de travailleurs, relatives à leur statut vaccinal, à leur état de santé ou encore à une contamination par un proche, honore son obligation de protection vis-à-vis de ces employés (art. 6 LTr, OLT1, OLT2 et OPA) et s’assure de la bonne exécution du mandat de prise en charge de ses patients. La collecte et la conservation de données Covid-19, même sensibles, paraît ici licite au sens de l’article 328b CO, pour autant que les principes prescrits à l’article 4 LPD demeurent respectés et que les données concernées soient réduites au strict minimum, au besoin caviardées, qu’une politique interne claire en matière de conservation et d’accès à ces données soit adoptée, et que le devoir d’information, voire de consultation soit observé (art. 5 et 6 OLT 3).
S’agissant des travailleurs exerçant une activité impliquant de voyager dans des pays où des restrictions sanitaires et des exigences relatives, par exemple, au statut vaccinal, sont encore en vigueur, l’employeur pourra légitimement collecter de telles données afin d’évaluer l’aptitude d’un certain travailleur à exécuter son emploi (art. 328b CO). Le traitement de ces données devra néanmoins toujours s’opérer conformément au principe de proportionnalité en ce sens que l’information peut être sollicitée, mais elle ne pourra être conservée qu’à la condition qu’elle soit continuellement nécessaire à la bonne exécution du contrat. Dans l’hypothèse où le travailleur ne serait amené à se déplacer que dans des lieux où le statut vaccinal n’a aucun effet sur le séjour, l’employeur devra spontanément procéder à l’effacement de ces données.
Conclusion
Compte tenu de la quantité de données, surtout sensibles, collectées par l’employeur durant la période de pandémie, un tri s’impose inévitablement. Au stade de ce tri, il convient de distinguer les données relatives à la vie personnelle des données relatives à la vie professionnelle. Si les secondes peuvent encore être conservées à des fins particulières et moyennant le respect des principes de proportionnalité et de finalité ainsi que l’accomplissement du devoir d’information, les premières doivent en principe être intégralement détruites.
Font exception à ce principe les données de travailleurs actifs dans un domaine spécifique – principalement le domaine de la santé – ou qui exercent leur travail de façon particulière. Dans de telles hypothèses, l’adoption d’une règlementation interne circonstanciée ne constituera plus uniquement une good practice mais bien plutôt une exigence sous l’angle de la nécessité du traitement et de la sécurité des données.
Proposition de citation : Nina Aguiar / Kevin Guillet, L’effacement des données des employés collectées lors de la pandémie de Covid-19 : une exigence excessive ou une nécessité ?, 4 juin 2022 in www.swissprivacy.law/149
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.