Intérêt légitime de l’avocat au traitement de données dans une procédure judiciaire
Décision DSB-D124.3420 de l’Autorité de protection des données autrichienne du 4 février 2022.
Le cas commence comme souvent avec les jeux de hasard. Un joueur s’inscrit sur un site web de jeu en ligne, joue et perd de l’argent. Cependant, dans la plainte présentée devant l’Autorité de protection des données autrichienne, l’histoire ne s’arrête pas là. En effet, le joueur, plaignant, n’en était pas à son premier pari.
Le joueur avait joué auparavant sur un site web de jeu en ligne appartenant à l’entreprise B. Après avoir perdu sa mise, il avait allégué que l’offre de jeux de hasard de B était illégale en Autriche. L’entreprise B a alors accepté de rembourser le montant au plaignant. Voulant tirer son épingle du jeu, le joueur s’est inscrit à nouveau sur un autre site, cette fois appartenant à l’entreprise C. Une fois encore, la chance ne lui sourit pas et il demanda le remboursement des sommes perdues, invoquant à nouveau l’illégalité de l’offre.
L’entreprise C n’a cependant pas accédé à sa demande et le plaignant l’a alors actionnée en justice. Malheureusement pour lui, les deux entreprises basées à Malte faisaient partie du même groupe. L’entreprise B a transmis les données concernant son ancien client à l’entreprise C. Par conséquent, l’action visant au remboursement des pertes a été rejetée pour abus de droit.
Or dans la procédure devant l’Autorité de protection des données, c’est bien le cabinet d’avocats engagé par l’entreprise C qui est l’intimée. Jouant le tout pour le tout, le plaignant a estimé qu’il avait été lésé par le cabinet ainsi que par B et C dans son droit fondamental à la confidentialité des données conformément au droit autrichien. Il estimait que l’entreprise B n’était pas en droit de transmettre ses données personnelles à C et a fortiori au cabinet dans le cadre de la procédure. Un tel transfert n’était pas prévu par la politique de confidentialité de B et il n’avait pas donné son consentement.
L’Autorité autrichienne saisie doit alors se prononcer sur la question de savoir si le cabinet d’avocats est en droit de traiter, au nom de sa cliente C, les données du plaignant dans le cadre d’une procédure civile initiée par celui-ci. La question de la légalité de l’offre en ligne de B et C ne font pas partie de l’objet de cette procédure.
Dans sa décision, l’Autorité rappelle tout d’abord les composantes du droit fondamental à la confidentialité des données personnelles consacré par le droit autrichien. Elle explique que ce droit comprend notamment une protection pour la personne concernée contre l’utilisation des données la concernant dans la mesure où il existe un intérêt digne de protection. Cet aspect s’étend aussi aux communications qui en sont faites.
Comme souvent, ce droit n’est pas absolu. Des restrictions au droit au secret sont possibles. Dans la mesure où un traitement des données n’est pas fait dans l’intérêt vital de la personne concernée ou avec son consentement, le traitement peut se justifier pour la préservation des intérêts prépondérants d’autrui.
Pour interpréter ce droit au secret, l’Autorité autrichienne souligne que le RGPD et ses principes, faisant partie intégrante de son ordre juridique, doivent aussi être pris en considération.
Tout d’abord, l’art. 6 par. 1 let. f RGPD dispose qu’un traitement de données est licite s’il est
« nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers. »
Ensuite, l’art. 9 par. 1 du RGPD pose le principe d’interdiction du traitement des catégories particulières de données personnelles. Toutefois, son deuxième paragraphe pose les exceptions à l’interdiction, notamment la let. f en cas
« de traitement nécessaire à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en justice ou chaque fois que des juridictions agissent dans le cadre de leur fonction juridictionnelle. »
Cas particulier de l’avocat
Le cabinet d’avocats étant l’intimée dans cette affaire, c’est donc le traitement de données qu’il a réalisé qui doit être analysé.
L’Autorité autrichienne relève que les avocats agissent régulièrement en tant que responsables du traitement lorsqu’ils traitent des données dans le but de représenter leurs clients. Bien qu’ils agissent en vertu d’une procuration et soient autorisés à faire des déclarations juridiquement contraignantes pour leurs clients, la décision de traiter les données de tiers pour l’exécution du mandat est prise par l’avocat a priori sans instruction. Cette approche est aussi adoptée par le Comité Européen à la protection des données (cf. Lignes directrices 07/2020 concernant les notions de responsable du traitement et de sous-traitant dans le RGPD, p. 14).
En l’espèce, l’intimée a pris la décision d’utiliser les données traitées à l’origine par B et transmises à sa cliente C par le biais d’un échange de données au sein d’un groupe d’entreprise selon l’art. 4 par. 19 RGPD. Conformément au considérant 48 RGPD, un intérêt légitime peut découler de la
« transmission de données à caractère personnel au sein du groupe d’entreprises à des fins administratives internes, y compris le traitement de données à caractère personnel relatives à des clients ou des employés. »
L’art. 9 par. 2 let. f RGPD crée la base juridique permettant d’utiliser des données particulières, même contre la volonté de la personne concernée, dans le cadre d’une procédure judiciaire. Selon l’Autorité autrichienne, cette disposition peut également être utilisée comme base pour une atteinte au droit au secret.
Cette réglementation vise à éviter qu’un droit ne puisse pas être exercé devant les tribunaux, dans une procédure administrative ou extrajudiciaire ou que la position de défense soit affaiblie à cause de l’interdiction du traitement de données particulières d’une autre personne. Suivant l’argumentation du cabinet intimé, l’Autorité autrichienne juge que les art. 9 par. 2 et 6 par. 1 let. f RGPD, permettant d’utiliser l’intérêt légitime comme base juridique, peuvent être combinés. Un raisonnement a maiore ad minus est applicable. Le consentement de la personne concernée n’est alors pas nécessaire au traitement.
L’Autorité autrichienne juge que le cabinet d’avocats est habilité à utiliser de tels moyens de défense. Elle rappelle que c’est l’autorité devant laquelle les moyens de preuve sont présentés qui doit décider de leur admissibilité. Elle considère que le fonctionnement efficace de la justice constitue un intérêt public important. Cela comprend l’accès aux preuves et le droit d’exposer des faits et justifie un intérêt légitime de l’intimée au traitement des données.
Pour l’Autorité autrichienne, le plaignant n’a pas su démontrer que son intérêt légitime à la confidentialité de ses données l’emportait. Partant, elle a jugé qu’il ne pouvait pas empêcher le cabinet d’avocats, et donc l’entreprise C qu’il représente, de présenter des faits qui pourraient nuire au succès de son propre procès.
Le cabinet d’avocats était donc en droit d’invoquer l’art. 6 par. 1 let. f RGPD comme base juridique du traitement. Le plaignant a finalement dû se résigner à rester sur le carreau.
Proposition de citation : David Dias Matos, Intérêt légitime de l’avocat au traitement de données dans une procédure judiciaire, 9 octobre 2022 in www.swissprivacy.law/177
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