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La CJUE limite la publicité du registre des bénéficiaires effectifs

Célian Hirsch, le 28 novembre 2022
Un accès par le grand public au registre des béné­fi­ciaires effec­tifs viole le droit à la protec­tion de la vie privée et le droit à la protec­tion des données personnelles.

Arrêt CJUE C‑37/​20 et C‑601/​20 du 22 novembre 2022

« Quel est le juste équi­libre entre, d’une part, l’exigence de trans­pa­rence en ce qui concerne les béné­fi­ciaires effec­tifs et les struc­tures de contrôle des socié­tés, qui joue un rôle fonda­men­tal dans le cadre de la préven­tion du blan­chi­ment de capi­taux et du finan­ce­ment du terro­risme et, d’autre part, le respect des droits fonda­men­taux des personnes concer­nées, à savoir les béné­fi­ciaires effec­tifs, et, notam­ment, de leurs droits au respect de la vie privée et à la protec­tion des données à carac­tère personnel ? »

C’est avec cette « ques­tion fonda­men­tale » que débutent les conclu­sions de l’avocat géné­ral. Elles ne seront pour­tant pas suivies par la Cour de justice de l’Union euro­péenne (CJUE), comme nous allons le voir ci-dessous.

Cette ques­tion fonda­men­tale trouve son origine en mai 2018, lorsque le légis­la­teur euro­péen adopte sa 5e direc­tive sur le blan­chi­ment de capi­taux (direc­tive 2015/​849 modi­fiée). Cette direc­tive impose aux États membres de rendre acces­sibles à « tout membre du grand public » les infor­ma­tions sur les béné­fi­ciaires effec­tifs de socié­tés, sauf déro­ga­tion excep­tion­nelle (art. 30 par. 4 let. c direc­tive 2015/​849 modi­fiée).

Le Luxembourg la met en œuvre et rend ainsi public, sur Internet, le registre des béné­fi­ciaires effec­tifs. Une société luxem­bour­geoise conteste la vali­dité de cette trans­pa­rence au motif qu’elle viole­rait le droit à la protec­tion de la vie privée et le droit à la protec­tion des données person­nelles, droits garan­tis par les art. 7 et 8 de la Charte des droits fonda­men­taux de l’UE.

Saisie de ques­tions préju­di­cielles, la CJUE rappelle que toute ingé­rence dans les droits fonda­men­taux doit (1) repo­ser sur une base légale, (2) ne pas porter atteinte au « contenu essen­tiel » du droit fonda­men­tal, (3) viser un objec­tif d’intérêt géné­ral et, enfin, (4) être propor­tion­née au but poursuivi.

En l’espèce, le fait de rendre acces­sibles au grand public les infor­ma­tions rela­tives aux béné­fi­ciaires effec­tifs d’une société consti­tue une atteinte grave aux droits à la protec­tion de la vie privée et à la protec­tion des données person­nelles. En effet, une fois que des données sont mises à la dispo­si­tion du grand public, il est illu­soire pour les personnes concer­nées de se défendre effi­ca­ce­ment contre des abus.

Concernant les deux premières condi­tions, la CJUE constate que cette ingé­rence repose sur une base légale et ne porte pas atteinte au contenu essen­tiel des droits fondamentaux.

L’objectif d’intérêt géné­ral consiste en la préven­tion du blan­chi­ment d’argent. Le Conseil de l’UE soutient que le prin­cipe de trans­pa­rence est égale­ment un objec­tif d’intérêt géné­ral visé par cette règle­men­ta­tion. La CJUE lui rétorque que ce prin­cipe ne vise que les acti­vi­tés de nature publique. Il ne peut donc pas être invo­qué afin de permettre au grand public d’accéder à l’identité de béné­fi­ciaires effec­tifs privés.

Enfin, bien que l’accès au public soit apte à préve­nir le blan­chi­ment d’argent, cet accès n’est pas néces­saire. En effet, le projet de modi­fi­ca­tion de direc­tive condi­tion­nait l’accès aux infor­ma­tions des béné­fi­ciaires effec­tifs à l’existence d’un « inté­rêt légi­time ». Cette condi­tion aurait posé des diffi­cul­tés pratiques, de sorte qu’elle a simple­ment été aban­don­née par le légis­la­teur. La CJUE retient que la diffi­culté pratique de la notion d’intérêt légi­time ne saurait justi­fier l’accès du grand public à ces infor­ma­tions. Typiquement, la presse et les orga­ni­sa­tions de la société civile présen­tant un lien avec la lutte contre le blan­chi­ment d’argent disposent d’un tel inté­rêt légi­time. Il en va de même pour les insti­tu­tions finan­cières et pour les personnes suscep­tibles de conclure des tran­sac­tions avec la société.

Dès lors que la condi­tion de la néces­sité n’est pas remplie, l’accès du grand public aux infor­ma­tions sur les béné­fi­ciaires effec­tifs n’est pas valable.

Dans une dernière étape, la CJUE procède encore à la pesée des inté­rêts en présence (propor­tion­na­lité au sens étroit). Elle souligne en parti­cu­lier que la lutte contre le blan­chi­ment d’argent incombe aux auto­ri­tés publiques et aux établis­se­ments finan­ciers. Le fait de rendre acces­sibles au public les infor­ma­tions sur les béné­fi­ciaires effec­tifs n’est ainsi pas justi­fié par une pondé­ra­tion équi­li­brée entre l’objectif d’intérêt géné­ral pour­suivi et les droits fonda­men­taux atteints.

Cet arrêt contraste avec les conclu­sions susmen­tion­nées de l’avocat géné­ral. Ce dernier avait en parti­cu­lier retenu que le prin­cipe de la trans­pa­rence peut s’appliquer à l’égard de parti­cu­liers, et non unique­ment dans le secteur public. Ce raison­ne­ment lui avait permis de rete­nir que l’accès par le grand public était néces­saire au renfor­ce­ment de la trans­pa­rence, sans que la personne inté­res­sée doive démon­trer un inté­rêt légi­time. Enfin, pour rete­nir une pondé­ra­tion équi­li­brée des inté­rêts, l’avocat géné­ral avait proposé de condi­tion­ner l’accès par le grand public à une inscrip­tion. La CJUE n’a mani­fes­te­ment pas été convain­cue par ce raison­ne­ment, en limi­tant expres­sé­ment la portée du prin­cipe de la trans­pa­rence au secteur public et en rappe­lant qu’il n’appartient pas au grand public de lutter contre le blanchiment.

La problé­ma­tique entre le prin­cipe de la trans­pa­rence et la vie privée a égale­ment été analy­sée récem­ment par la CJUE. En effet, dans son arrêt C‑184/​20 du 1er août 2022 (commenté in swiss​pri​vacy​.law/​164/​), la Cour avait examiné l’obligation légale de publier sur Internet, en vertu du prin­cipe de la trans­pa­rence, les décla­ra­tions d’intérêts d’un direc­teur d’une société perce­vant des fonds publics. Cette trans­pa­rence visait à préve­nir les conflits d’intérêts et à lutter contre la corrup­tion dans le secteur public. Cela étant, une telle publi­cité était justi­fiée, car l’autorité publique n’aurait pas disposé des ressources humaines suffi­santes pour contrô­ler effec­ti­ve­ment toutes les décla­ra­tions qui lui étaient soumises. Une telle justi­fi­ca­tion démon­trait que la condi­tion de néces­sité n’était pas remplie (condi­tion de la propor­tion­na­lité). Comme dans l’arrêt analysé ci-dessus, la trans­pa­rence totale ne pour­rait ainsi pas être justi­fiée afin de délé­guer au grand public des tâches qui devraient être effec­tuées par l’État.

Au niveau inter­na­tio­nal, la Recommandation 24 du GAFI sur la trans­pa­rence et l’identification du béné­fi­ciaire effec­tif de personnes morales est actuel­le­ment en révi­sion. Le projet prévoit que les États pour­raient faci­li­ter l’accès à ces infor­ma­tions par le grand public, à condi­tion de procé­der à une pesée des inté­rêts entre la lutte contre le blan­chi­ment d’argent et la protec­tion des droits fonda­men­taux. Cette pesée ayant désor­mais été effec­tuée par la CJUE, le GAFI devra proba­ble­ment revoir sa copie.

Qu’en est-il en droit suisse ?

Le 12 octobre 2022, le Conseil fédé­ral a annoncé vouloir renfor­cer la trans­pa­rence des personnes morales. Il a ainsi chargé le Département fédé­ral des finances d’éla­bo­rer un projet de loi visant à accroître la trans­pa­rence et à faci­li­ter l’iden­ti­fi­ca­tion des ayants droit écono­miques des personnes morales. Le registre central d’iden­ti­fi­ca­tion des ayants droit écono­miques sera acces­sible aux auto­ri­tés compé­tentes, mais pas au grand public. La problé­ma­tique euro­péenne ne se posera donc pas en Suisse.

Ce commen­taire est en grande partie repris du commen­taire du même auteur publié sous cdbf​.ch/​1​259.



Proposition de citation : Célian Hirsch, La CJUE limite la publicité du registre des bénéficiaires effectifs, 28 novembre 2022 in www.swissprivacy.law/186


Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.
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