Une DPO peut-elle être licenciée pour une raison autre que celle liée à ses qualités professionnelles ?
Arrêt CJUE C‑534/20 du 22 juin 2022
L’affaire portée devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
A. exerce, depuis le 1er février 2018, la fonction de déléguée à la protection des données au sein de la société B. (Allemagne). En vertu de l’art. 6 du Bundesdatenschutzgesetz (loi fédérale allemande sur la protection des données ; BDSG), la société B. est tenue de désigner un délégué à la protection des données en sa qualité d’autorité publique. En juillet 2018, la société B. licencie A. avec préavis, en se prévalant d’une mesure de restructuration de la société, dans le cadre de laquelle le service de protection des données est externalisé.
A. saisit les juges du fond en contestation de la validité de son licenciement. Ils lui donnent raison en invalidant le licenciement dès lors que, conformément aux dispositions combinées de l’art. 38 par. 3 RGPD et de l’art. 6 BDSG, A. pouvait uniquement, du fait de sa qualité de déléguée à la protection des données, être licenciée sans préavis pour motif grave. Or, la mesure de restructuration décrite par la société B. ne constitue pas un tel motif.
La société B. introduit recours auprès du Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail allemande), qui se demande si le RGPD autorise une réglementation d’un État membre qui subordonne le licenciement d’un délégué à la protection des données à des conditions plus strictes que celles prévues par le droit de l’UE. Pour répondre à cette interrogation, la Bundesarbeitsgericht porte l’affaire devant la CJUE sous la forme d’une demande préjudicielle. Le 22 juin 2022, elle rend l’arrêt ici commenté en retenant ce qu’il suit.
La disposition topique en l’espèce est l’art. 38 par. 3 RGPD. Elle dispose que le délégué à la protection des données ne peut être relevé de ses fonctions ou pénalisé par le responsable du traitement ou le sous-traitant pour l’exercice de ses missions.
Dans son arrêt, la CJUE débute par indiquer que cette disposition ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant qu’un responsable du traitement ou un sous-traitant puisse uniquement licencier un délégué à la protection des données membre de son personnel pour un motif grave. Ce raisonnement est applicable même si le licenciement n’est pas lié à l’exercice des missions de ce délégué, pour autant qu’une telle réglementation ne compromette pas la réalisation des objectifs du RGPD.
Ensuite, la CJUE souligne que l’interdiction faite au responsable du traitement ou au sous-traitant de relever un délégué à la protection des données de ses fonctions ou de le pénaliser signifie que ce délégué doit être protégé contre toute décision par laquelle il serait mis fin à ses fonctions, par laquelle il subirait un désavantage ou qui constituerait une sanction ; une mesure de licenciement peut constituer une telle décision. La CJUE précise que cette disposition s’applique tant au délégué à la protection des données qui est un membre du personnel du responsable du traitement ou du sous-traitant qu’à celui qui exerce ses missions sur la base d’un contrat de service conclu avec ces derniers. La disposition a donc vocation à s’appliquer aux relations entre un délégué à la protection des données et un responsable du traitement ou un sous-traitant, indépendamment de la nature de la relation de travail unissant ce délégué à ces derniers. Elle fixe donc une limite qui consiste à interdire le licenciement d’un délégué à la protection des données pour un motif tiré de l’exercice de ses missions, à savoir le contrôle du respect des dispositions du droit de l’Union ou du droit des États membres en matière de protection des données ainsi que des règles internes du responsable du traitement ou du sous-traitant en matière de protection des données à caractère personnel.
La CJUE poursuit en examinant l’objectif poursuivi par l’art. 38 par. 3 RGPD. Le RGPD mentionne que les délégués à la protection des données, qu’ils soient ou non des employés du responsable du traitement, devraient être en mesure d’exercer leurs fonctions et missions en toute indépendance, conformément à l’objectif du RGPD. Ainsi, l’objectif visant à garantir l’indépendance fonctionnelle du délégué à la protection des données suppose que celui-ci ne reçoive aucune instruction en ce qui concerne l’exercice de ses missions, qu’il fasse directement rapport au niveau le plus élevé de la direction du responsable du traitement ou du sous-traitant et qu’il soit soumis au secret professionnel ou à une obligation de confidentialité. Partant, cette disposition vise à préserver l’indépendance du délégué à la protection des données, dans la mesure où cette disposition le protège contre toute décision en relation avec ses fonctions qui mettrait fin à celles-ci, lui ferait subir un désavantage ou constituerait une sanction. Toutefois, cette disposition ne vise pas à régir globalement les relations de travail entre un responsable du traitement ou un sous-traitant et les membres de son personnel.
Enfin, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, la CJUE précise que, hormis la protection spécifique du délégué à la protection des données prévue, la protection contre le licenciement d’un délégué à la protection des données employé par un responsable du traitement ou par un sous-traitant ne relève pas de règles pouvant être adoptées sur la base du RGPD, mais bien du domaine de la politique sociale. Chaque État membre est libre, dans l’exercice de sa compétence, de prévoir des dispositions particulières plus protectrices en matière de licenciement du délégué à la protection des données, pour autant que ces dispositions soient compatibles avec les dispositions du RGPD. En particulier, une telle protection accrue ne saurait compromettre la réalisation des objectifs du RGPD. Or tel serait le cas si la disposition empêchait tout licenciement, par un responsable du traitement ou par un sous-traitant, d’un délégué à la protection des données qui ne possèderait plus les qualités professionnelles requises pour exercer ses missions ou qui ne s’acquitterait pas de celles-ci.
Il résulte de ce qui précède que l’art. 38 par. 3 RGPD doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant qu’un responsable du traitement ou un sous-traitant ne peut licencier un délégué à la protection des données qui est membre de son personnel que pour un motif grave, même si le licenciement n’est pas lié à l’exercice des missions de ce délégué, pour autant qu’une telle réglementation ne compromette pas la réalisation des objectifs du RGPD.
Qu’en est-il en sous l’angle de la nouvelle Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la protection des données (nLPD) ?
En Suisse, il faut distinguer le Préposé à la protection des données et à la transparence (PFPDT) des conseillers à la protection des données privés et publics.
Le PFPDT est élu par l’Assemblée fédérale (art. 43 al. 1 nLPD). Ses rapports de travail sont régis par la Loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération (LPers ; RS 172.220.1) pour autant que la nLPD n’en dispose pas autrement (art. 43 al. 2 nLPD). Tout comme le droit de l’Union, il exerce ses fonctions de manière indépendante et sans recevoir ni solliciter d’instructions de la part d’une autorité ou d’un tiers (art. 43 al. 4 nLPD). La période de fonction du PFPDT est limitée dans le temps, à savoir un mandat de 4 ans renouvelable deux fois (art. 44 al. 1 nLPD). Il peut cependant demander à l’Assemblée fédérale, moyennant le respect d’un délai de 6 mois, de mettre fin à ses rapports de travail pour la fin d’un mois (art. 44 al. 2 nLPD). Enfin, l’Assemblée fédérale peut révoquer le PFPDT avant la fin de sa période de fonction s’il a violé gravement ses devoirs de fonction de manière intentionnelle ou par négligence grave ou s’il a durablement perdu la capacité d’exercer sa fonction (art. 44 al. 3 nLPD). Ces dispositions sont précisées par l’Ordonnance de l’Assemblée fédérale du 17 juin 2022 concernant les rapports de travail du chef du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (FF 2022 1571).
S’agissant du conseiller à la protection des données, les entreprises en Suisse sont libres de nommer ou non un conseiller à la protection des données (art. 10 al. 1 nLPD) contrairement à l’art. 37 par. 1 RGPD qui oblige, dans certains cas, les responsables de traitement à désigner un délégué à la protection des données. Néanmoins, les organes fédéraux doivent désigner un conseiller (art. 10 al. 4 nLPD cum art. 25 OPDo). Tout comme en droit de l’Union, le conseiller à la protection des données veille au respect des prescriptions de protection des données au sein d’une entreprise et prodigue au responsable du traitement des conseils en matière de protection des données (art. 10 al. 2 nLPD). Il doit donc avoir les connaissances professionnelles nécessaires pour exercer ses tâches, s’agissant notamment de la législation en matière de protection des données et des normes techniques relatives à la sécurité des données. De plus il doit exercer sa fonction de manière indépendante par rapport au responsable du traitement et sans recevoir d’instruction de celui-ci (art. 10 al. 3 nLPD). À l’inverse du PFPDT, ses rapports de travail ne sont pas réglés par la nLPD.
Il résulte de ce qui précède tout d’abord que seule la fin des rapports de travail du PFPDT sont réglés par la nLPD et l’Ordonnance de l’Assemblée fédérale du 17 juin 2022 concernant les rapports de travail du chef du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence. Il en va de même pour les conseillers à la protection des données des organes fédéraux. Cependant, la fin de leurs rapports de travail sont réglés par la LPers. S’agissant des conseillers à la protection des données privés, le responsable du traitement a le choix entre désigner un collaborateur interne dont les rapports de travail seront régis en principe par un contrat de travail (art. 319 ss CO) ou un tiers dont les rapports seront en principe régis par un contrat de mandat (art. 394 ss CO). Ainsi, la nLPD mentionne les tâches et devoirs du conseiller, tandis que ses rapports de travail sont réglés parle Code des obligations, qui offre aux responsables de traitement des motifs de résiliation plus étendus. Si une affaire similaire était soulevée devant les tribunaux suisses, ces derniers ne suivraient sans doute pas le même raisonnement que la CJUE au vu de l’importance – réduite – du statut de conseiller à la protection des données. La liberté contractuelle en Suisse permet une plus grande diversité quant aux motifs de résiliation du contrat de travail ou de fin de mandat.
Proposition de citation : Fabio Iannicelli, Une DPO peut-elle être licenciée pour une raison autre que celle liée à ses qualités professionnelles ?, 17 mars 2023 in www.swissprivacy.law/209
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