L’Espagne condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour avoir manqué de transposer la Directive Police-Justice
Cadre
La Directive 2016/680 du 27 avril 2016 (Directive Police-Justice) établit des règles spécifiques relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en matière d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces.
Faisant partie du paquet de la révision européenne de la protection des données à caractère personnel au côté du RGPD, la Directive Police-Justice a été adoptée afin de faciliter le libre flux de données à caractère personnel entre les autorités nationales compétentes à des fins notamment de prévention et de détection des infractions pénales au sein de l’Union européenne, et le transfert de telles données vers des pays tiers. La Directive Police-Justice a abrogé la décision-cadre 2008/977/JAI, dont le champ d’application se limitait au traitement des données à caractère personnel transmises ou mises à disposition entre les États membres de l’Union européenne.
Pour entrer dans le champ d’application de la Directive Police-Justice, le traitement de données à caractère personnel doit poursuivre l’une des finalités mentionnées à son art. 1er, et être mis en œuvre par une autorité compétente, soit notamment une autorité publique compétente pour la prévention et la détection des infractions pénales.
La Directive Police-Justice a également une importance pour le cadre juridique suisse puisqu’elle s’inscrit dans le développement des acquis Schengen. Ce faisant, la Suisse a dû reprendre le contenu de la Directive Police-Justice au sein de son ordre juridique, ce qu’elle a fait en adoptant la Loi fédérale du 28 septembre 2018 sur la protection des données personnelles dans le cadre de l’application de l’acquis de Schengen dans le domaine pénal (LPDS), après avoir scindé la révision du cadre législatif relatif à la protection des données.
Affaire
Les États membres ont le devoir de transposer les directives de l’Union européenne au sein de leur ordre juridique. L’art. 63 par. 1 de la Directive Police-Justice prévoit cette obligation de transposition, fixée au plus tard au 6 mai 2018 (soit deux ans après son entrée en vigueur).
N’ayant reçu aucune nouvelle de l’Espagne au 20 juillet 2018, la Commission européenne lui a adressé une lettre de mise en demeure conformément à l’art. 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Restée lettre morte, et sur la base de l’art. 258 TFUE, la Commission européenne a adressé à l’Espagne (ainsi qu’à la Bulgarie, à Chypre, à la Grèce, à la Lettonie, aux Pays-Bas et à la Slovénie) un avis motivé le 25 janvier 2019, l’invitant à prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois.
Faisant suite à l’avis motivé, et sans contester avoir manqué à ses obligations, l’Espagne a indiqué le 27 mars 2019 que le retard pris résultait du contexte politique particulier, mais que la procédure pour l’adoption des mesures de transposition était en cours, l’Espagne préparant un projet de loi qui devait être prêt à la fin du mois de juillet 2019, avant d’être transmis à son Parlement, ce dernier devant adopter le projet au plus tard en mars 2020.
Malgré la réponse de l’Espagne, la Commission européenne a saisi la CJUE le 4 septembre 2019 conformément à l’art. 258 TFUE, en lui demandant de constater le manquement de l’Espagne à ses obligations et, subsidiairement, de lui infliger le paiement d’une somme forfaitaire et le paiement d’une astreinte conformément à l’art. 260 par. 3 TFUE.
Dans un premier temps, la CJUE constate que l’Espagne a bien manqué à ses obligations en n’assurant pas la transposition de la Directive Police-Justice au sein de son ordre juridique. Les arguments de l’Espagne en lien avec le contexte national politique tendu ne suffisent pas à convaincre la CJUE. Cette dernière estime qu’un État membre ne saurait exciper de situations de son ordre juridique interne pour justifier une inobservation des obligations découlant du droit de l’Union européenne.
Dans un second temps, la CJUE examine le manquement au titre de l’art. 260 par. 3 TFUE, retenant que ce dernier doit s’appliquer dans le cas d’espèce. La CJUE rappelle ensuite que la fixation du montant d’une astreinte journalière ou d’une somme forfaitaire dépend de plusieurs critères. Il s’agit notamment de la durée de l’infraction, de son degré de gravité et de la capacité de paiement de l’État membre. Seuls les deux premiers critères seront analysés, la CJUE soulignant toutefois, pour le dernier critère, l’évolution récente du PIB de l’Espagne.
Sur la durée de l’infraction, la CJUE note que le manquement perdure depuis l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 25 mars 2019. À cet égard, la CJUE estime qu’une durée de plus d’un an et demi est conséquente, ce d’autant plus que les États membres avaient l’obligation de transposer ladite directive au plus tard le 6 mai 2018.
Sur la gravité de l’infraction, la CJUE est d’avis que l’obligation d’adopter des mesures nationales pour assurer la transposition complète d’une directive constitue une obligation essentielle afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union européenne. Dès lors, le manquement doit être considéré comme étant d’une gravité certaine. La CJUE souligne également l’importance de la Directive Police-Justice. La CJUE déclare notamment que l’insuffisance de règles garantissant le bon fonctionnement de l’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union européenne doit être considérée comme particulièrement grave, compte tenu des conséquences pour les intérêts publics et privés.
Au vu de ce qui précède, la CJUE confirme la requête de la Commission européenne, et condamne l’Espagne au versement d’une somme forfaitaire de € 15 millions et à une astreinte journalière à hauteur de € 89’000 jusqu’à que l’Espagne mette un terme au manquement constaté.
À notre connaissance, la Commission européenne n’a saisi la CJUE, jusqu’à ce jour, que contre l’Espagne. Les autres États membres ont vraisemblablement tous adopté une loi mettant en œuvre la Directive Police-Justice.
Proposition de citation : Livio di Tria, L’Espagne condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour avoir manqué de transposer la Directive Police-Justice, 7 mars 2021 in www.swissprivacy.law/61
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