La licéité du traitement : inapplicabilité des présomptions légales ?
Contexte
En Espagne, il existe des autorités régionales de protection des données, notamment en Andalousie, Catalogne et à Madrid. Ces autorités régionales sont des autorités administratives indépendantes dotées d’une personnalité juridique qui agissent en toute indépendance par rapport aux autorités publiques dans l’exercice de leurs fonctions.
Le 10 janvier dernier, l’Autorité de protection des données d’Andalousie (Consejo de Transparencia y Protección de Datos de Andalucia) a donné un avertissement à la mairie de Jerez de la Frontera pour violation de l’art. 6 RGPD.
À l’origine de cette affaire, un homme a reçu une notification de la mairie de Jerez de la Frontera qui fait état d’une saisie de la pension qu’il perçoit de l’Institut national de la sécurité sociale, mais l’élément qui attire l’attention de l’Autorité est la présence d’informations relatives à l’épouse du plaignant sans le consentement de cette dernière.
En effet, la notification fait état d’une dette et de données d’ordre économique et patrimonial de l’épouse. Cette communication est considérée par le plaignant comme dépourvue de base légale en raison du fait que la dette en question porte sur un bien immobilier acquis par son épouse, antérieurement à la conclusion de leur mariage, lequel est régi par le régime de la séparation de biens.
Conformément à la loi espagnole sur la protection des données (LOPDGDD) et, plus spécifiquement, ses art. 37 et 65, l’Autorité a transmis la réclamation au DPO de la Mairie. Cette dernière s’est vu impartir un délai d’un mois afin de communiquer la réponse fournie à ladite réclamation ainsi que les actions réalisées en lien avec celle-ci.
À la suite d’une procédure d’enquête préliminaire, l’Autorité a ouvert une enquête pour violation présumée de l’obligation de licéité du traitement des données et l’a notifiée à la mairie.
En réponse, le responsable du traitement fait notamment part de l’application d’une présomption d’indivision entre les époux et, par conséquent, du caractère de débiteur solidaire du plaignant. Au surplus, il indique à l’Autorité que le traitement dont il est question repose sur un intérêt public fondé sur la législation en vigueur.
Au vu de ces éléments, l’Autorité considère, à juste titre, que la mairie n’a réalisé aucune vérification quant au régime matrimonial unissant les époux avant d’engager une procédure de saisie à l’encontre du plaignant.
Les données consultées et communiquées par la mairie, à savoir, les noms et prénoms, le document d’identité, les données économiques patrimoniales, les dettes contractées par des tiers, constituent bel et bien des données personnelles soumises aux dispositions du RGPD.
L’Autorité retient que le traitement mentionné par l’époux est double, – d’une part, il y a un traitement effectué par la mairie à partir d’informations dont elle est responsable en sa qualité d’organe de recouvrement en communiquant les données de la débitrice à l’époux dans le cadre d’une procédure dans laquelle il n’est pas concerné, et – d’autre part, la demande de communication des données financières de l’époux effectuée par la mairie auprès d’une autre administration après l’avoir considéré, à tort, comme faisant partie de la procédure de recouvrement susmentionnée.
Quant au premier traitement
Après avoir rappelé que l’art. 6 par. 1 RGPD établit les conditions dans lesquelles le traitement de données personnelles est licite, l’Autorité fait état du devoir de collaboration entre les administrations publiques (art. 141 de la loi 40/2015 du 1er octobre relative au régime juridique du secteur public) qui est notamment applicable aux organes de l’administration fiscale qui ont pour obligation de notifier, également, l’époux lorsqu’une saisie de biens porte sur des biens matrimoniaux (art. 94 et 170 de la loi fiscale générale 58/2003 du 17 décembre).
L’Autorité poursuit son développement en faisant état de la présomption tirée de l’art. 1361 du Code civil espagnol selon lequel les biens existant pendant le mariage sont présumés être des biens communs tant qu’il n’est pas prouvé qu’ils appartiennent à l’un des époux. Or, les administrations et les fonctionnaires publics ont accès, dans l’exercice de leurs fonctions, au registre d’état civil auquel figure le régime matrimonial (art. 4 ch. 8 et 8 al. 2 de la loi 20/2011 du 21 juillet relative au registre civil).
En l’espèce, il n’a pas été possible de déterminer spécifiquement l’activité de traitement dans laquelle la mairie avait inclus la gestion des saisies ni la demande d’information auprès d’autres administrations. Qui plus est, cette information faisait défaut lors de la consultation de l’inventaire des activités de traitement sur le site web de la mairie alors qu’une telle publication était requise par deux lois nationales (art. 31 al. 2 LOPDGDD et art. 6bis de la loi 19/2013 du 9 décembre relative à la transparence, l’accès à l’information publique et à la bonne gouvernance).
Au surplus, les exigences découlant du principe d’accountability qui se réfère au respect des règles de protection des données contraignent la mairie à, avant toute communication d’une dette contractée par une autre personne que le plaignant, effectuer les démarches nécessaires auprès de l’établissement du régime matrimonial liant les époux afin d’éviter une communication de données personnelles incorrecte, et de ce fait privée de motif légitime.
Par conséquent, l’Autorité retient que l’inobservation des mesures élémentaires de vérification des données représente un risque évident pour les personnes concernées et facilite la communication inadéquate de ces dernières.
Quant au second traitement
L’Autorité retient, à raison, que la consultation auprès de l’institut est également constitutive d’une violation de l’art. 6 RGPD car le respect du principe de responsabilité tel qu’évoqué précédemment aurait conduit à l’absence de nécessité de recourir à ladite consultation.
Conséquemment, tant la consultation des données que la communication au plaignant étaient dépourvues de légitimité.
Critique
Nous pouvons reprocher à l’Autorité de ne pas avoir pris le soin de catégoriser les données concernées et d’en tirer les conséquences en découlant. En effet, les données économiques patrimoniales ainsi que les dettes doivent être considérées comme des données hautement personnelles puisqu’elles sont susceptibles de révéler des informations économiques concernant les personnes concernées et ont, ainsi, pour parallèle de faire supporter au responsable du traitement une plus grande responsabilité en ce qui concerne la sécurité adéquate des données. La conséquence du non-respect de ces normes plus élevées peut se traduire par des mesures plus sévères au cours de l’enquête menée. Par conséquent, nous constatons que l’Autorité n’a pas pris en compte les éléments ressortant des enquêtes diligentées, se limitant à ceux soulevés par le plaignant, qui l’aurait vraisemblablement enjoint au prononcé d’une sanction plus sévère.
Cette décision est intéressante et critiquable sous l’angle de la non-prise en compte par l’Autorité de la difficulté que représentait, ou non, la vérification des données personnelles concernées. Nonobstant la qualification retenue « d’infraction très grave » à l’art. 6 RGPD par renvoi de l’art. 72 al. 1 let. b de la LOPDGDD, l’Autorité ne tire aucune conséquence de la facilité de vérification permettant d’éviter une infraction d’une telle gravité.
Proposition de citation : Nathanaël Pascal, La licéité du traitement : inapplicabilité des présomptions légales ?, 7 novembre 2023 in www.swissprivacy.law/263
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