Quel dédommagement pour la photographie d’un rapport médical ?
Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 21 décembre 2023, Affaire C‑667/21
Introduction
MDK Nordrhein est un organisme de droit public offrant un service médical aux caisses d’assurance maladie. Il est chargé de réaliser des expertises médicales visant à évaluer l’incapacité de travail des assurés. Lorsqu’il doit établir une expertise concernant ses propres employés, seuls les membres de la « cellule cas particuliers » sont autorisés à traiter les données desdits employés.
Un employé du service informatique de MDK Nordrhein se retrouve en incapacité de travail. Sa caisse d’assurance maladie obligatoire demande à MDK Nordrhein de réaliser une expertise. Apprenant l’existence de cette expertise, l’employé concerné demande à un de ses collègues du service informatique de lui transmettre des photographies du rapport d’expertise, ce que fait ce dernier.
Estimant que ses données concernant la santé ont fait l’objet d’un traitement illicite par son employeur, l’employé concerné réclame en vain le versement d’une indemnité de EUR 20’000.- de la part de MDK Nordrhein. Débouté par les deux premières instances, il introduit un pourvoi en révision devant le Tribunal fédéral du travail allemand (Bundesarbeitsgericht), lequel saisit la CJUE de plusieurs questions préjudicielles.
Le traitement des données concernant la santé (questions 1 à 3)
Le traitement portant sur des catégories de données sensibles est interdit (art. 9 par. 1 RGPD), sauf si l’une des conditions de l’art. 9 par. 2 RGPD est réalisée. Parmi ces dérogations figure l’art. 9 par. 2 let. h RGPD, lequel permet le traitement de données sensibles pour autant (i) qu’il soit nécessaire à l’appréciation de la capacité de travail du travailleur (ii) sur la base du droit de l’UE, du droit d’un État membre ou d’un contrat conclu avec un professionnel de la santé et (iii) qu’il respecte les conditions et garanties de l’art. 9 par. 3 RGPD. Dans le présent arrêt, la CJUE indique que l’art. 9 par. 2 let. h RGPD n’est pas réservé aux tiers indépendants de l’employeur. Par conséquent, il s’applique également aux situations où un organisme de contrôle médical tel que MDK Nordrhein traite des données sensibles de l’un de ses employés en qualité de service médical.
La CJUE précise également que dans de telles circonstances, l’art. 9 par. 3 RGPD n’impose pas au responsable de prendre des mesures empêchant les employés qui côtoient professionnellement la personne concernée d’accéder à ses données. Toutefois, une telle exigence peut découler du droit national des États membres (art. 9 par. 4 RGPD), voire des principes d’intégrité et de confidentialité (art. 5 par. 1 let. f RGPD, concrétisé à l’art. 32 par. 1 RGPD).
Cet arrêt précise aussi qu’en présence de données concernant la santé, il n’est pas suffisant de lever l’interdiction prévue à l’art. 9 par. 1 RGPD pour pouvoir les traiter. Même lorsque le responsable du traitement se prévaut d’une des dérogations prévues à l’art. 9 par. 2 RGPD, la licéité du traitement s’apprécie toujours selon l’art. 6 par. 1 RGPD (cf. considérant 51 du RGPD).
La réparation du dommage (questions 4 et 5)
Les autres questions préjudicielles permettent à la CJUE de procéder à plusieurs rappels sur le régime de responsabilité prévu à l’art. 82 RGPD. Aux termes de cette disposition,
« [t]oute personne ayant subi un dommage matériel ou moral du fait d’une violation du présent règlement a le droit d’obtenir du responsable du traitement ou du sous-traitant réparation du préjudice subi ».
Confirmant son raisonnement développé dans l’arrêt UI contre Österreichische Post (C‑300/21), la CJUE rappelle que la créance fondée sur l’art. 82 RGPD suppose (i) une violation du RGPD, (ii) un dommage matériel ou moral, (iii) un lien de causalité entre la violation du RGPD et le dommage et (iv) une faute, laquelle est présumée (art. 82 par. 2 et 3 RGPD).
Le RGPD ne prescrivant pas de méthode d’évaluation du dommage, il convient d’y appliquer le droit national, pour autant qu’il respecte les principes d’équivalence et d’effectivité. Toutefois, la CJUE précise que la réparation n’a qu’une fonction compensatoire – à l’exclusion de toute fonction punitive, qui est assurée par les art. 83 s. RGPD – et doit permettre de compenser intégralement le préjudice effectivement subi par la personne concernée (cf. considérant 146 RGPD). Puisque les dommages-intérêts alloués au titre de réparation du préjudice n’ont qu’une portée compensatoire, la gravité de la faute n’a pas à être prise en compte pour déterminer leur montant.
Une appréciation
Cet arrêt est instructif à plusieurs titres. D’abord, la CJUE rappelle que même en cas de dérogation (art. 9 par. 2 RGPD) à l’interdiction de traiter des données sensibles (art. 9 par. 1 RGPD), le responsable du traitement devra toujours se prévaloir d’un motif de licéité au sens de l’art. 6 RGPD.
Ensuite, la CJUE clarifie que l’art. 82 RGPD instaure bien une responsabilité pour faute. Dans la mesure où la faute est présumée, il revient au responsable du traitement de démontrer qu’aucune faute ne lui est imputable. Ce raisonnement de la CJUE est cohérent avec les autres dispositions du RGPD. En effet, le principe de responsabilité impose au responsable du traitement de démontrer qu’il respecte le RGPD (art. 5 par 2 RGPD). Il lui revient donc de prouver le respect des art. 24 et 32 RGPD, c’est-à-dire qu’il a bien adopté des mesures techniques et organisationnelles appropriées pour démontrer la conformité du traitement avec le RGPD (art. 24 par. 1 RGPD) et pour garantir un niveau de sécurité des données adapté au risque, compte tenu des connaissances, des coûts de mise en œuvre et de la nature, de la portée, du contexte et des finalités du traitement ainsi que des risques (art. 32 RGPD). Le registre des activités de traitement (art. 30 RGPD) devrait d’ailleurs fournir des informations utiles à cet effet. Si les mesures ont été adoptées, le responsable du traitement dispose des informations qui devraient lui permettre de se disculper.
Enfin, le présent arrêt met en évidence que la simple violation du RGPD ne donne pas droit à des dommages-intérêts. Encore faut-il que cette violation provoque un dommage, qu’il soit matériel ou moral. Dans le cas d’espèce, le dommage moral est dû à l’accès aux données de l’employé par ses collègues. La CJUE n’a donc pas eu à déterminer si la simple crainte qu’un tiers puisse indûment accéder aux données constitue un dommage moral.
Cette dernière question a toutefois fait l’objet de l’arrêt BL contre MediaMarktSaturn Hagen-Iserlohn GmbH (affaire C‑687/21). La CJUE y précise d’abord que le dommage moral n’a pas à atteindre un certain seuil de gravité pour être réparable. Le dommage moral, aussi minime soit-il, donne droit à une réparation. En revanche, le simple risque purement hypothétique d’usage abusif des données personnelles ne crée pas encore de dommage. Ainsi, lorsqu’il est établi que personne n’a pris connaissance des données personnelles, il n’y a pas de dommage.
Au vu de ce qui précède, la personne concernée qui se prévaut d’un dommage moral ne peut se faire l’économie d’exposer en quoi la violation du RGPD a concrètement provoqué un dommage.
Proposition de citation : Nathan Philémon Matantu, Quel dédommagement pour la photographie d’un rapport médical ?, 11 avril 2024 in www.swissprivacy.law/293
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