La nouvelle identité électronique étatique suisse
Après le rejet par le peuple de la loi fédérale sur les services d’identification, les travaux législatifs concernant la nouvelle identité électronique suisse battent leur plein. Le Conseil fédéral a adopté le message concernant la nouvelle loi fédérale sur l’identité électronique et d’autres moyens de preuves électroniques (loi sur l’e‑ID, LeID) le 22 novembre 2023. Les délibérations parlementaires ont débuté en janvier 2024. La Commission des affaires juridiques du Conseil national a adopté le texte par 21 voix contre 0 et 3 abstentions et le Conseil national (plénum) par 175 voix contre 14 et 2 abstentions. Les délibérations au deuxième conseil ont débuté en mars 2024 et se poursuivront au moins jusqu’à la session d’automne 2024. Le consensus politique établi donne un nouveau souffle de vie à ce projet tant attendu.
Dès l’entrée en vigueur de la loi, en 2026 au plus tôt, la nouvelle identité électronique (e‑ID) sera émise par la Confédération et permettra de prouver son identité de manière simple, sûre et rapide. L’infrastructure technique mise en place pour exploiter l’e‑ID peut aussi servir pour d’autres types de preuves électroniques et est ouverte tant aux autorités cantonales et communales qu’aux acteurs du secteur privé.
Quiconque dispose d’une carte d’identité ou d’un passeport suisse, ou encore d’un titre de séjour pour étranger, peut demander l’obtention d’une e‑ID. Il peut poser une demande en personne ou en ligne.
L’utilisation de l’e-ID est facultative et gratuite. Il est possible de s’en servir sur internet – par exemple pour demander un extrait du casier judiciaire – mais aussi dans le monde physique – par exemple pour prouver son âge en achetant de l’alcool. Toutes les démarches auprès de la Confédération qui peuvent se faire virtuellement, avec présentation de l’e-ID, peuvent continuer de se faire physiquement. En même temps, toutes les autorités suisses sont tenues d’accepter l’e-ID comme document d’identité valable, si elles acceptent le principe d’une preuve électronique de l’identité. Les autorités des cantons et des communes sont incluses parmi les destinataires de cette norme. En font, par exemple, partie les offices des poursuites auprès desquels un particulier demande un extrait du registre par la voie électronique et s’identifie avec une e‑ID. L’e‑ID étatique peut être utilisée conjointement avec les moyens d’accès aux services cyber administratifs existants. Si un canton ou une commune accepte déjà un moyen d’identification électronique public ou fourni par le secteur privé, ce moyen peut ainsi continuer d’être utilisé en parallèle de le-ID nationale.
L’émission de l’e-ID est du ressort de la Confédération, qui offre l’infrastructure nécessaire à son utilisation. Elle fournit, par exemple, l’application pour smartphone permettant aux utilisateurs de sauvegarder leur e‑ID. Cette application est aussi pleinement accessible aux personnes handicapées. L’assistance technique aux utilisateurs est aussi fournie par la Confédération.
En outre, le projet de loi vise à créer une infrastructure de confiance étatique sûre et décentralisée qui permet aux acteurs des secteurs public et privé d’émettre et d’utiliser des moyens de preuves électroniques. Dans ce cadre, l’État exploite les systèmes de base nécessaires (registre de base, registre de confiance) et offre un portefeuille électronique étatique sous forme d’application mobile, qui peut contenir l’e‑ID et d’autres moyens de preuves électroniques (p. ex. un permis de conduire, une carte d’étudiant ou une carte de membre d’un club de fitness). Les titulaires du portefeuille peuvent présenter leur e‑ID et autres moyens de preuves électroniques de manière sécurisée et transparente. Une telle ouverture du système permet d’améliorer la diffusion et d’augmenter l’utilisation des moyens de preuves électroniques. En même temps, elle permet de renforcer le niveau de confiance dont bénéficient les processus électroniques au sein de la population.
L’objectif est que les futurs utilisateurs de l’e-ID gardent le contrôle de leurs données selon le système le plus rigoureux à cet égard. Ils peuvent stocker leurs données d’identification en toute sécurité et décider avec qui ils souhaitent les partager sans qu’une autorité centrale ne soit nécessaire. La protection des données est inhérente au système (principe de la protection des données dès la conception) ; elle est en outre garantie par la minimisation des flux de données et par le fait que les données sont enregistrées uniquement sur le smartphone du titulaire de l’e-ID. Concernant la protection des données, la loi inclut encore une autre précaution, issue de la consultation externe : afin de souligner davantage le principe de la minimisation des données, les cas dans lesquels plus de données contenues dans l’e-ID sont exigées qu’il n’est concrètement nécessaire seront rendus publics.
La mise en place par l’État d’une infrastructure électronique de confiance est un développement important et innovant. En outre, ce projet se fonde sur une procédure participative novatrice comprenant deux consultations informelles, des discussions publiques et un forum de discussion spécialisé en ligne (sur la plateforme de collaboration GitHub, qui permet de stocker et de modifier du code dans le cadre du projet). Il intègre aussi l’expérience acquise dans le cadre des projets pilotes avec d’autres offices et des échanges avec d’autres pays. Un projet pilote visant à introduire le permis d’élève conducteur électronique (ePEC) a, par exemple, permis de tester l’infrastructure de confiance prévue pour l’e‑ID – en particulier le portefeuille électronique – avec des utilisateurs afin d’en tirer des enseignements.
Le projet de loi prévoit également que la Confédération publie le code source de l’infrastructure de confiance. Cette mesure permet d’augmenter la confiance dont bénéficie cette infrastructure auprès de la population et de maintenir un niveau de sécurité élevé en permettant aux personnes intéressées de tester le code publié. En outre, elle vise à maintenir l’esprit d’ouverture qui fait partie de l’approche participative du projet.
La loi est formulée de telle manière qu’elle ne dit rien sur les technologies à employer (pour une étude de cas menée par le canton de Vaud concernant l’émission d’une e‑ID basée sur la blockchain : https://swissprivacy.law/281/). Le projet de loi ne règle le choix de la solution technique que lorsque cela est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs législatifs. Il prévoit notamment une gestion décentralisée des données et exclut ainsi toute solution technique selon laquelle un fournisseur de services d’identification s’interpose entre le titulaire et le vérificateur d’un moyen de preuve électronique. Les titulaires ont alors un plus grand contrôle sur leurs données. Toutefois, la majorité des questions relatives au choix de la technologie ne sont pas réglées au niveau de la loi. Le progrès technique avançant à grands pas, il convient de s’assurer que le projet de loi pourra être mis en œuvre dans le contexte technologique qui se présentera après son entrée en vigueur et qui n’est pas encore connu actuellement. Différents aspects à régler au niveau de l’ordonnance seront beaucoup plus concrets et spécifiques sur le plan technologique.
Le service d’authentification AGOV – le login pour les autorités publiques – pourra à l’avenir également être utilisé avec la nouvelle identité électronique étatique (e‑ID). L’instauration de l’e-ID permet de simplifier encore l’utilisation du service AGOV, raison pour laquelle celui-ci fait partie intégrante du programme e‑ID géré par l’Office fédéral de la justice. Cet identifiant peut être utilisé dès aujourd’hui dans trois cantons pilotes (Zurich, Appenzell Rhodes-Extérieures et Lucerne) ainsi qu’auprès des autorités fédérales, pour accéder facilement et rapidement à la déclaration d’impôt électronique et d’autres services. D’autres cantons seront intégrés au fur et à mesure que le projet se développera.
La question de l’utilisation de l’e‑ID dans divers domaines n’est réglée qu’à titre indicatif dans le projet de loi (cf. modification d’autres actes législatifs : loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite [LP] et loi fédérale du 19 juin 2015 sur le dossier électronique du patient [LDEP]). L’objectif de la réglementation est de mettre en place une infrastructure publique de base, qui sera utilisée et développée par des acteurs publics et privés issus de divers secteurs. En cas de réception positive, c’est la pratique qui permettra de développer cette infrastructure en un écosystème plus complexe. Au fur et à mesure de ce développement, de plus en plus de cas d’utilisation pourront être pris en charge par l’infrastructure de confiance. Ces cas d’utilisation seront assujettis en partie à la loi sur l’e-ID en ce qui concerne l’exploitation de l’infrastructure de confiance et en partie à la législation sectorielle applicable en ce qui concerne le contenu et l’utilisation des moyens de preuves électroniques envisagés. Au vu de la grande diversité des cas de figures possibles, il n’est pas possible de définir de normes juridiques communes dans la loi sur l’e-ID pour régler tous ces cas à l’avance.
La nouvelle e‑ID servira de base pour faire avancer la numérisation en Suisse. Tant les démarches administratives que les transactions avec des entreprises se feront sans qu’il soit nécessaire de passer du support papier au support informatique et vice-versa. Les particuliers, les services administratifs et les entreprises s’épargneront ainsi une charge inutile. Cette étape est nécessaire pour s’assurer que la Suisse reste innovante et en phase avec les transformations à l’échelle européenne et internationale. En outre, la nouvelle loi sur l’e-ID laissera une empreinte importante sur la manière dont la technologie sera réglée à l’avenir. De par les mesures participatives et une approche itérative en parallèle au développement de l’infrastructure de confiance, la réglementation de l’e-ID pourra servir de projet pionnier dont s’inspireront d’autre projets de loi similaires.
Proposition de citation : Magdalena Forowicz / Rolf Rauschenbach, La nouvelle identité électronique étatique suisse, 31 mai 2024 in www.swissprivacy.law/302
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.