Cher réseau, …
Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice CAPH/116/2023 du 9 novembre 2023
Des mots savamment choisis, un profil léché, une photo qui brille de mille feux, il est courant sur les réseaux sociaux professionnels de se laisser aller à une légère exagération sur ses prouesses et/ou cahier des charges. Or, la frontière entre la mise en valeur et une information erronée peut être ténue, en particulier lorsque la fin des rapports de travail n’a pas été de tout repos.
Faits
Une employée, initialement engagée en tant qu’« Experienced Secretary » par une société de conseils basée au Royaume-Uni, est transférée quelques années plus tard dans une succursale située à Genève au rang de « Senior Consultant ». Conformément à la pratique, le contrat contient une clause de confidentialité imposant le respect des règlements et procédures internes, leur non-respect pouvant entraîner le licenciement.
La même année, l’employée est promue « Assistant Manager ». Malgré cette promotion, elle exprime un manque de soutien de la part de l’entreprise lors de sa venue à Genève. Lors d’un entretien avec sa hiérarchie concernant son transfert, son employeur lui assure que ses performances sont positives et que les clients sont satisfaits.
Cependant, l’entretien prend une tout autre tournure lorsque l’employée mentionne son souhait de nouvelle promotion au rang de « Manager ». L’employeur l’informe alors que personne d’autre que son ancien supérieur hiérarchique n’avait soutenu sa précédente promotion et qu’elle doit encore faire ses preuves.
Durant les mois suivant, l’employée se retrouve en incapacité totale de travailler. Au cours de cette période, elle se soucie de la possibilité que son supérieur ne fasse pas état de ses bonnes performances. Afin de pouvoir démontrer, à l’avenir, qu’elle mérite une promotion, l’employée télécharge sur son cloud personnel une quinzaine de courriels et de « feedbacks » de collègues, clients et supérieurs.
Ce téléchargement, comprenant des documents confidentiels pour l’entreprise, déclenche une alerte auprès du service informatique. Suite à cela, l’employeur organise un entretien téléphonique avec l’employée et un collaborateur du service informatique. Il a été établi que 47 documents ont été téléchargés. Cet acte enfreint la politique interne de l’entreprise et est un motif de licenciement immédiat, lequel est notifié à l’employée.
De surcroît, l’employeur demande que l’employée rectifie son profil LinkedIn. En effet, cette dernière ne mentionne sur le réseau social que son poste de « Assistant Manager », sans mention de son poste précédant de « Senior Consultant ». Aussi, elle indique que son activité au sein de l’entreprise a pris fin en avril 2021, ce que l’employeur réfute.
L’employée saisit alors la justice afin de contester son licenciement immédiat. Elle affirme que les documents téléchargés ne contenaient que des courriels qui lui avaient été adressés en lien avec la qualité de son travail et ses performances. Elle invoque également que son licenciement immédiat était injustifié et donc que la fin de ses rapports de travail était intervenue en avril 2021.
En première instance, le tribunal conclut que le licenciement immédiat n’était pas justifié et que la rectification ne pouvait être exigée faute d’atteinte à la personnalité de l’entreprise au sens de l’art. 28 CC. L’employeur a donc fait appel de cette décision.
Licenciement immédiat
Tout d’abord, la Cour d’appel se penche sur la question de la justification du licenciement immédiat. Elle rappelle qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle devant être admise de manière restrictive. Les faits l’entrainant doivent conduire à une perte du rapport de confiance, lequel constitue le fondement du contrat de travail. Dès lors, seul un manquement particulièrement grave peut justifier une telle mesure.
La Cour rappelle que le juge bénéficie d’un pouvoir d’appréciation large et qu’il n’est pas possible d’établir une casuistique en se focalisant sur un seul élément du comportement de l’employé congédié, qui plus est lorsqu’il est sorti de son contexte. Il faut notamment tenir compte de la position et de la responsabilité du travailleur au sein de l’entreprise, du type et de la durée des rapports contractuels, de la nature et de l’importance des manquements ainsi que du caractère intentionnel de ceux-ci.
En l’espèce, l’employeur a motivé le licenciement immédiat par le fait que l’employée a téléchargé des documents confidentiels – et non des courriels – sur un support externe privé en violation de ses obligations contractuelles.
Selon la Cour, cette motivation est à nuancer. Elle retient qu’un téléchargement a bien eu lieu sur le cloud personnel de l’employée et que certains des documents concernent les méthodes de travail de l’entreprise, ainsi que des propositions faites à des clients, qui sont de nature confidentielle.
Or, contrairement à ce que l’employeur allègue, seule une partie des documents ayant fait l’objet dudit téléchargement sont de nature confidentielle. De plus, l’employée n’a, ni exploité ces documents d’une quelconque manière, ni transmis lesdits documents à des tiers non autorisés. La Cour relève également que la politique et les directives internes ne prohibent pas expressément le téléchargement sur des supports externes, mais uniquement l’utilisation et la divulgation d’informations confidentielles.
Finalement, la Cour relève que l’employée a immédiatement coopéré à la procédure de récupération des données concernées en mettant à disposition de l’employeur son ordinateur portable et a consenti à l’effacement des documents litigieux de son cloud personnel. Elle a également signé un document s’engageant à se conformer à ses obligations contractuelles en matière de confidentialité.
Compte tenu de ces éléments, la Cour considère que le téléchargement litigieux n’était pas suffisant pour détruire irrémédiablement le rapport de confiance entre les parties, les relations de travail pouvant objectivement encore durer le temps du délai de congé ordinaire.
Rectification du profil LinkedIn
Quant à la demande de rectification du profil LinkedIn de l’employée, l’ancienne LPD (aLPD) était applicable aux éléments de la procédure. Pour rappel, l’aLPD et son art. 2 régissait le traitement de données personnelles concernant tant des personnes physiques que des personnes morales.
Selon l’art. 5 aLPD, celui qui traite des données personnelles doit s’assurer qu’elles sont correctes. Il s’agit du principe d’exactitude qui impose de prendre toute mesure appropriée permettant d’effacer ou de rectifier les données inexactes ou incomplètes au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. Toute personne concernée peut requérir leur rectification (al. 2).
La Cour rappelle que toute donnée inexacte doit être corrigée si la personne concernée le demande. Elle explique que « le droit à l’autodétermination en matière informationnelle ne permet pas de relativiser cette prétention en fonction du but, du type ou des circonstances du traitement ».
En outre, la Cour souligne que si la personne concernée n’obtient pas satisfaction, elle peut user des prétentions en rectification des art. 15 ou 25 aLPD, sans qu’une atteinte n’ait à être établie, ni qu’un motif justificatif ne puisse être invoqué. Le principe d’exactitude ne peut être relativisé en admettant l’existence d’un intérêt prépondérant de l’exploitant à conserver des données inexactes.
En l’espèce, l’employeur base sa requête sur son droit à la rectification au sens de l’art. 5 al. 2 aLPD. Ainsi, il n’a pas à prouver une quelconque atteinte à sa personnalité au sens de l’art. 28 CC ou à se prévaloir d’un juste motif pour que les informations le concernant sur le profil de l’employée soient rectifiées pour correspondre à la réalité des faits.
Malgré le fait que le licenciement immédiat était injustifié, les rapports de travail entre les parties ont cessé en décembre 2020 et non, comme indiqué sur le profil, en avril 2021, . L’employée a également mentionné sur son profil avoir occupé le poste de « Assistant Manager » dès le 1er décembre 2019, ce qui n’était pas correct, dès lors qu’elle n’a exercé cette fonction qu’à compter du 1er septembre.
La Cour lui ordonne donc de rectifier son profil LinkedIn afin qu’il reflète la durée et le poste qu’elle a occupé au sein de l’entreprise.
Nouvelle LPD
Cet arrêt a été rendu sous l’ancienne LPD, remplacée par la nouvelle le 1er septembre 2023. L’entrée en vigueur de celle-ci s’est accompagnée de changements significatifs qui auraient abouti à une issue différente pour la procédure.
La modification majeure résultant du changement de loi est que les personnes morales ne sont plus considérées comme des personnes concernées. En effet, l’ancien art. 2 al. 1 a été modifié et ne régit plus que les traitements de données concernant des personnes physiques. Ce changement se justifie par la volonté du législateur de se rapprocher des législations plus modernes, notamment du RGPD.
Par conséquent, il n’aurait pas été possible pour l’entreprise de faire valoir son droit à la rectification basé sur la nLPD. Ce droit existe toujours et figure à l’art. 32 al. 1 LPD pour les traitements de données faits par des privés et à l’art. 41 al. 2 let. a LPD pour les traitements de données par des organes fédéraux, mais peut uniquement être utilisé par des personnes physiques.
L’entreprise devrait à présent user des droits découlant de la protection de sa personnalité selon les art. 28 ss CC.
Proposition de citation : David Dias Matos, Cher réseau, …, 14 août 2024 in www.swissprivacy.law/312
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