Géolocalisation des taxis : approbation de normes cantonales par le Tribunal fédéral
Arrêt du Tribunal fédéral, 2C_275/2023 du 12 juin 2024
Après l’entrée en vigueur de la loi genevoise sur les taxis et les transports avec chauffeur (LTVTC/GE) et son règlement d’exécution (RTVTC/GE) le 1er novembre 2022, des associations professionnelles contestent certains articles devant la Chambre constitutionnelle de la Cour de Justice de Genève le 24 novembre 2022. Le Tribunal rejette leur recours le 24 mars 2023. Les associations saisissent alors le Tribunal fédéral par un recours en matière de droit public (RMDP), demandant l’annulation de l’arrêt de la Cour de Justice. Elles remettent en question la légalité de plusieurs articles de la LTVTC/GE, notamment les art. 27 al. 4 et 5, ainsi que 51 al. 4 RTVTC/GE, concernant la protection des données.
Le Tribunal fédéral commence par rappeler les dispositions contestées. Celles-ci imposent l’installation d’un système de géolocalisation sur les véhicules concernés, afin de vérifier le respect des prescriptions sur l’utilisation du domaine public, l’accès aux zones restreintes, ainsi que l’interdiction de circuler afin de rechercher des clients sur la voie publique (art. 49 RTVTC/GE). L’art. 51 RTVTC/GE prévoit en sus que la conservation des données doit être de 6 mois, sous réserve de tout contentieux.
Les recourants invoquent d’abord la violation des art. 13 al. 1 Cst et 8 al. 1 CEDH, visant à protéger la sphère privée. À cet effet, le Tribunal fédéral rappelle que toute ingérence à la vie privée doit être prévue par la loi, viser un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique (arrêts CourEDH Ben Faiza c. France et Uzun c. Allemagne).
En ce qui concerne la nécessité d’une base légale, le Tribunal fédéral relève que la géolocalisation est une mesure moins intrusive que des mesures de surveillance visuelles ou acoustiques. Il suffit donc que la loi prévoie de manière transparente l’étendue et les conditions d’une telle surveillance. Les autorités judiciaires doivent pour le surplus pouvoir revoir ces aspects au cours d’un contrôle abstrait. Le Tribunal cite à titre d’exemple son arrêt sur le Règlement intercommunal sur les taxis du canton de Vaud (Arrêt 2C_116/2011 du 29 août 2011). Il avait jugé à cette occasion que la surveillance visait à garantir le respect des conditions minimales inhérentes au « quasi-service public » que représente le transport en voiture avec chauffeur, sans violer les normes invoquées.
Les recourants invoquent d’abord leur méconnaissance de l’étendue de l’utilisation des données collectées par les mesures de surveillance prévues. Ils relatent l’impossibilité pour eux d’exclure l’application de cette mesure à des trajets privés et invoquent leur droit à l’autodétermination informationnelle.
Il convient de rappeler que le Tribunal fédéral procède au contrôle abstrait de normes avec retenue. Une disposition doit être annulée seulement s’il faut craindre avec une vraisemblance certaine que celles-ci seront interprétées en violation du droit supérieur ou qu’elles ne se prêtent pas à une interprétation conforme aux normes constitutionnelles (ATF 149 I 81, consid. 3.3.6).
Notre Haute Cour note que l’art. 27 al. 4 RTVTC/GE précise que la géosurveillance concerne les véhicules en « service ». Les autorités ne peuvent examiner que les données liées à une activité professionnelle, et ce dans les limites fixées par la législation (art. 35 et 36 LIPAD/GE cum art. 51 RTVTC/GE). Le texte de la loi ne permet donc pas de conclure que ces dispositions pourraient être interprétées en violation du droit supérieur selon le Tribunal fédéral.
Le Tribunal confirme la conformité aux droits constitutionnels d’une surveillance GPS à des chauffeurs et fait à nouveau mention de la qualité de « quasi-service public » inhérente à ce métier. Le recours à cette dénomination soulève à notre sens des questions sur les devoirs et responsabilités attachés à cette notion.
S’agissant de la durée de conservation des données, le Tribunal fédéral relève qu’un délai de maintien des données n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les finalités de la loi se trouve en conformité avec les art. 8 CEDH et 13 Cst. (L.B. c. Hongrie et Marper c. Royaume-Uni). En l’espèce, les autorités sont tenues de détruire ou d’anonymiser les données concernées après six mois. Cette période est jugée adéquate par le Tribunal, qui ne cite pas d’exemples concrets de délais pour la destruction ou l’anonymisation des données personnelles.
Enfin, les recourants contestent l’art. 27 al. 5 RTVTC/GE, qui exige que les spécificités techniques du système de géolocalisation soient publiées sur le site internet de l’Etat de Genève. Ces derniers craignent que cette publication permette à l’administration d’étendre la géosurveillance aux trajets privés des chauffeurs. Le Tribunal fédéral rejette cet argument, le considérant sans fondement. Il rappelle que, selon l’art. 27 al. 5 phr. 1 RTVTC/GE, ces spécificités visent exclusivement à permettre le contrôle des activités professionnelles (art. 49 al. 1 let. b et c RTVTC/GE) et ne visent donc pas les trajets privés. De plus, la publication des spécificités techniques a pour seul but d’informer les chauffeurs des caractéristiques requises afin de garantir la précision et la pertinence des données collectées.
Le Tribunal fédéral écarte ainsi les arguments relatifs à la violation de la sphère privée et confirme le rejet du recours.
Conclusion :
L’usage de la notion de « quasi-service public » dans les deux arrêts concernant la réglementation des chauffeurs de taxi est regrettable. Bien que leur activité soit soumise à des autorisations et soit régulée, les chauffeurs, tout comme les avocats par ailleurs, ne sont ni subordonnés, ni rémunérés par l’Etat (ATF 143 III 10). Cette notion juridiquement indéterminée semble justifier une sévérité particulière envers les chauffeurs exerçant une profession régulée principalement par la loi de l’offre et de la demande.
Le Tribunal fédéral restant limité dans son contrôle abstrait de la validité des normes, il faudra en outre espérer un examen plus approfondi de ces aspects techniques et de leurs limitations dans le futur. Il sera à cet effet possible de remettre en question l’application concrète de la loi et son système de géolocalisation par la contestation de sanctions prises sur la base de la LTVTC (art. 40 et 41 LTVTC).
Proposition de citation : Mallorie Ashton-Lomax, Géolocalisation des taxis : approbation de normes cantonales par le Tribunal fédéral, 20 novembre 2024 in www.swissprivacy.law/324
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