Des dommages-intérêts en raison d’une réponse tardive à une requête d’accès aux données ?
Arbeitsgericht Düsseldorf, 05.03.2020 – 9 Ca 6557/18
Le 5 juin 2018, une personne exerce auprès de son ancien employeur son droit d’accès à ses données personnelles au sens de l’art. 15 RGPD. L’employeur n’y répond que le 10 décembre 2018 et de manière incomplète, alors que l’art. 12 par. 3 RGPD prévoit un délai d’un mois pour répondre à cette demande.
Le requérant saisit alors l’Arbeitsgericht de Düsseldorf, afin que non seulement l’employeur lui donne les informations demandées, mais aussi qu’il soit condamné à lui réparer le préjudice moral causé par la réponse tardive et incomplète. Le présent commentaire se concentre sur la seconde conclusion.
L’art. 82 par. 1 RGPD prévoit ce qui suit :
« Toute personne ayant subi un dommage matériel ou moral du fait d’une violation du présent règlement a le droit d’obtenir du responsable du traitement ou du sous-traitant réparation du préjudice subi. »
L’art. 82 par. 3 RGPD permet néanmoins au responsable de s’exonérer de cette responsabilité :
« Un responsable du traitement ou un sous-traitant est exonéré de responsabilité, au titre du paragraphe 2, s’il prouve que le fait qui a provoqué le dommage ne lui est nullement imputable. »
L’Arbeitsgericht souligne que la réponse tardive et incomplète constitue une violation du RGPD au sens de l’art. 82 par. 1 RGPD. En l’espèce, l’employeur n’a invoqué aucun motif d’exonération de responsabilité au sens de l’art. 82 par. 3 RGPD. Partant, il doit dédommager le requérant de son préjudice.
Concernant le préjudice, l’art. 82 par. 1 RGPD mentionne expressément qu’il peut constituer en un « dommage moral » (non-material damage ; immaterieller Schaden). Le considérant 75 du RGPD retient une notion large du dommage et donne notamment l’exemple des personnes qui pourraient être empêchées d’exercer le contrôle sur leurs données. De plus, l’art. 8 al. 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit expressément le droit d’accès aux données. L’Arbeitsgericht note que l’ampleur du préjudice n’est pas déterminante pour retenir une responsabilité selon l’art. 82 par. 1 RGPD, mais cela est uniquement pris en compte afin de fixer le montant de la prétention.
Concernant précisément l’ampleur du préjudice, l’Arbeitsgericht souligne que les violations du RGPD doivent être effectivement sanctionnées pour que ce règlement soit efficace, notamment en prévoyant un niveau d’indemnisation dissuasif. Les tribunaux peuvent fonder leur évaluation du dommage moral sur l’art. 83 par. 2 RGPD (conditions générales pour imposer des amendes administratives), de sorte que les critères d’évaluation peuvent inclure, entre autres, la nature, la gravité, la durée de la violation, le degré de faute, les mesures visant à atténuer le préjudice subi par les personnes concernées, les violations antérieures pertinentes et les catégories de données à caractère personnel concernées. Il convient également de prendre en compte les capacités financières du responsable du traitement, et non uniquement l’ampleur du dommage moral.
En l’espèce, la violation a duré plusieurs mois (le temps de l’absence de réponse) et la réponse à la demande d’accès était finalement incomplète. Ainsi, l’Arbeitsgericht fixe le dommage à EUR 500.- pour les deux premiers mois de retard, puis à EUR 1’000.- pour chacun des trois mois suivants et, enfin, à EUR 1’000.- le contenu lacunaire de l’information transmise.
Cet arrêt est particulier puisqu’il figure parmi les rares arrêts allemands qui admettent l’existence d’un « dommage moral » au sens de l’art. 82 par. 1 RGPD. En effet, le droit allemand, comme le droit suisse, connaît une notion du dommage fondée sur la valeur économique (diminution ou non-augmentation du patrimoine). L’art. 82 par. 1 RGPD crée ainsi une nouvelle catégorie de dommage réparable, dont l’ampleur est difficilement quantifiable. La jurisprudence allemande semble avoir retenu pour l’instant une approche plutôt restrictive de cette nouvelle notion, ce qui semble salué par la doctrine (cf. Wybitul Tim, Immaterieller Schadensersatz wegen Datenschutzverstößen – Erste Rechtsprechung der Instanzgerichte, Neue Juristische Wochenschrift, p. 3265 ss).
Pour sa part, la jurisprudence anglaise semble suivre une conception plus large (Gulati v MGN Ltd ([2015] EWHC 1482 (Ch), par. 111) :
« While the law is used to awarding damages for injured feelings, there is no reason in principle, in my view, why it should not also make an award to reflect infringements of the right itself, if the situation warrants it. The fact that the loss is not scientifically calculable is no more a bar to recovering damages for “loss of personal autonomy” or damage to standing than it is to a damages for distress. If one has lost “the right to control the dissemination of information about one’s private life” then I fail to see why that, of itself, should not attract a degree of compensation, in an appropriate case. »
En droit suisse, la nLPD n’apporte aucune modification à la notion de dommage. La réponse tardive ou incomplète à une requête d’accès ne devrait, en principe, pas engager la responsabilité civile du responsable du traitement. Néanmoins, le responsable du traitement qui fournit intentionnellement des renseignements inexacts ou incomplets à une demande d’accès pourra voir sa responsabilité pénale engagée (art. 60 nLPD).
Proposition de citation : Célian Hirsch, Des dommages-intérêts en raison d’une réponse tardive à une requête d’accès aux données ?, 29 novembre 2020 in www.swissprivacy.law/35
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