Guide du CEPD en matière de législation : éléments centraux et pertinence en Suisse

Le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) est l’autorité indépendante chargée de la protection des données au niveau de l’Union européenne (UE). Parmi ses tâches, il conseille la Commission européenne au sujet des propositions de législation et des autres actes pouvant avoir un impact sur la protection des données. En mai 2025, il publie un guide rassemblant les principaux éléments tirés de ses avis. Ce document, non contraignant, a pour but de servir de base de travail pour le législateur afin que le projet d’acte normatif garantisse un niveau adéquat de protection des données personnelles. Le CEPD rappelle néanmoins qu’il est toujours nécessaire de faire un examen au cas par cas de la conformité au droit supérieur.
I. Évaluation de la gravité de l’atteinte
Le législateur européen doit commencer par examiner la gravité de l’atteinte potentielle aux droits fondamentaux, que sont la protection des données et le respect de la vie privée. Les éléments à prendre en compte dans cette analyse sont notamment : la nature des données personnelles dont il est question (p. ex. données médicales) ; l’accès aux données (p. ex. libre accès) ; la possibilité de déduire des conclusions précises sur la vie privée des personnes concernées (p. ex. profiling) ; la non-information de la personne concernée et l’envergure du traitement de données (p. ex. quantité de données collectées) (cf. : Groupe de travail « Article 29 » sur la protection des données, Lignes directrices concernant l’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD) et la manière de déterminer si le traitement est « susceptible d’engendrer un risque élevé » aux fins du règlement (UE) 2016/679, p. 10–12). Il en est déduit que plus l’atteinte potentielle est grave, plus le projet législatif doit être détaillé et robuste.
II. Objectif et but
Les données personnelles sont traitées dans un objectif et un but précis et, dès lors, ces derniers doivent être explicitement spécifiés dans le projet législatif. D’une part, cela limite le traitement aux seuls objectifs et buts prévus et d’autre part, assure la conformité du traitement.
III. Proportionnalité
Conformément aux art. 52(1) de la Charte européenne des droits fondamentaux et 8(2) CEDH, une mesure qui restreint la protection des données doit respecter le principe de proportionnalité. À ce titre, la mesure envisagée doit, d’une part, être apte à atteindre l’objectif poursuivi et, d’autre part, être nécessaire (en ce sens que le même objectif ne saurait raisonnablement être atteint par une mesure moins attentatoire à la protection des données). Enfin, il convient d’opérer une mise en balance entre la gravité de l’atteinte portée aux droits en matière de protection des données et les intérêts ayant motivé ladite mesure (cf. point I.).
Selon le CEPD, les principaux éléments à prendre en compte pour réaliser l’analyse du respect du principe de proportionnalité sont les suivants :
- Les catégories de données personnelles concernées ;
- Les catégories et le nombre de personnes concernées ;
- La durée de stockage ;
- La communication des données personnelles à des autres autorités ou à des tiers ;
- Les restrictions des droits des personnes concernées.
Notons en outre, que la clarté et le caractère prévisible de la loi peuvent également être pertinents.
S’agissant du contenu de la loi, les éléments précités doivent y figurer de manière claire, exhaustive et sans ambiguïté (p. ex. s’agissant du délai de stockage : « Les données personnelles sont stockés trois mois/jusqu’à trois mois »).
IV. Rôles et responsabilités
Les entités qui se voient attribuées un ou plusieurs des rôles du droit de la protection des données, à savoir le responsable du traitement (conjoint ou non) et le sous-traitant, doivent être explicitement nommées comme tels dans l’acte législatif (et non dans les considérants de l’acte). En sus, l’acte législatif doit prévoir de manière précise les droits et obligations de chaque entité.
Par ailleurs, l’acte juridique obligeant le sous-traitant (p. ex. contrat), doit être inclus dans l’acte législatif (ou l’acte délégué ou d’exécution), par exemple par le biais d’une annexe.
V. Acte législatif et acte délégué ou d’exécution
Le RGPD n’exige pas que la base légale pour traiter des données soit un acte adopté par le Parlement (acte législatif). Toutefois, selon l’art. 290 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), les éléments essentiels d’un domaine sont réservés à l’acte législatif. Partant, le CEPD considère que les dispositions sur les principes essentiels et les modalités impactant la protection des données devraient être prévues dans un acte législatif afin d’assurer un contrôle démocratique complet.
Dans les cas où il n’y a pas d’atteinte grave, il est admis que certaines des modalités soient prévues dans un acte délégué ou d’exécution. Toutefois, il est primordial que l’acte législatif définisse clairement le mandat de la délégation, de manière à éviter que l’acte délégué ou d’exécution contienne des dispositions qui devraient se trouver dans un acte législatif.
Finalement, seuls les détails techniques devraient être laissés aux actes non-juridiques.
VI. Perspective suisse
Du point de vue du droit suisse et conformément à l’art. 15(3) de la Convention 108+, le PFPDT a également pour tâche de se prononcer sur les projets d’actes législatifs fédéraux impliquant le traitement de données (art. 58 al. 1 let. e LPD et art. 38 OPDo). Cette tâche est également attribuée aux préposés à la protection des données cantonaux (p. ex. art. 37 al. 1 let. d LPrD [Vaud] ; art. 30 al. 1 let. d DSG [St-Gall] ; art. 50 al. 1 let. c LPrD [Fribourg] ; art. 34 let. f IDG [Zurich]).
Le PFDPT n’a, à ce jour, pas publié de guide équivalent à celui du CEPD disponible au public. S’agissant des consultations du PFPDT, résumées dans son Rapport d’activités annuel 2023/2024 (pour plus d’informations, cf. www.swissprivacy.law/314/), elles mettent en lumière des considérations similaires au guide (p. ex. introduire dans le projet de révision de la Loi sur les épidémies, l’usage du numéro AVS dans la procédure d’annonce, plutôt que dans une ordonnance.
Il serait utile d’avoir un guide établi par le PFPDT qui puisse servir de base pour le législateur fédéral afin d’assurer l’harmonisation des adoptions législatives et d’encourager les services fédéraux à s’interroger sur les éléments essentiels de la protection des données au stade de la conceptualisation de l’acte législatif.
Proposition de citation : Lucile Pasche, Guide du CEPD en matière de législation : éléments centraux et pertinence en Suisse, 12 juin 2025 in www.swissprivacy.law/359

