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Les preuves exigibles pour la reconnaissance de l’identité de genre

David Dias Matos, le 18 juin 2025
La CJUE consacre le droit des personnes trans à la recti­fi­ca­tion de leur genre dans les registres publics sans exigence de preuve chirurgicale.

Arrêt CJUE C‑247/​23 du 13 mars 2025

Faire recon­naître son iden­tité de genre reste, pour de nombreuses personnes trans, un combat. Entre exigences médi­cales et obstacles admi­nis­tra­tifs, leur volonté d’être recon­nues telles qu’elles sont se heurte encore à une résis­tance insti­tu­tion­nelle tenace. L’affaire VP contre Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság, portée devant la CJUE, illustre cette diffi­culté : peut-on condi­tion­ner la recon­nais­sance d’un genre à une opéra­tion chirurgicale ?

Faits

Dans cette affaire, un ressor­tis­sant iranien (VP) obtient le statut de réfu­gié en Hongrie en 2014 en raison de sa tran­si­den­tité, attes­tée par des certi­fi­cats médi­caux psychia­triques et gyné­co­lo­giques. Bien que ces docu­ments confirment une iden­tité de genre mascu­line, VP est enre­gis­tré comme femme dans le registre de l’asile, tenu par l’autorité compé­tente et conte­nant les données person­nelles, dont le genre, des béné­fi­ciaires de la protection.

En 2022, VP demande la recti­fi­ca­tion de son genre en « mascu­lin » et la modi­fi­ca­tion de son prénom dans le registre de l’asile, en se fondant sur le droit de recti­fi­ca­tion prévu par l’art. 16 RGPD et s’appuyant sur des attes­ta­tions médi­cales. L’autorité rejette sa demande, faute de preuve d’une chirur­gie de réas­si­gna­tion sexuelle.

VP saisit alors la juri­dic­tion de renvoi (Fővárosi Törvényszék), pour contes­ter le refus de l’autorité de corri­ger la mention de son genre. Il soutient que sa tran­si­den­tité implique, par défi­ni­tion, un chan­ge­ment d’identité de genre, confirmé par des certi­fi­cats médi­caux, et qu’exiger un trai­te­ment chirur­gi­cal de réas­si­gna­tion sexuelle viole les art. 3 et 7 de la Charte des droits fonda­men­taux (Charte).

Il invoque à cet égard la juris­pru­dence de la Cour euro­péenne des droits de l’homme (CourEDH), qui inter­dit de subor­don­ner la recon­nais­sance du genre à une inter­ven­tion chirur­gi­cale (arrêt A.P., Garçon et Nicot c. France du 6 avril 2017). Il souligne égale­ment que plusieurs États membres de l’Union permettent une recon­nais­sance sur simple déclaration.

La juri­dic­tion de renvoi observe qu’en droit hongrois, aucune procé­dure n’existe pour permettre aux réfu­giés de faire recon­naître juri­di­que­ment leur chan­ge­ment de genre, contrai­re­ment aux ressor­tis­sants hongrois, ce qu’avait déjà été jugé comme incons­ti­tu­tion­nel par la Cour consti­tu­tion­nelle hongroise. Ce vide juri­dique persiste malgré l’arrêt Rana c. Hongrie du 16 juillet 2020, ayant condamné la Hongrie pour ne pas avoir prévu une telle procé­dure pour les réfu­giés. Depuis 2020, le droit hongrois a suspendu la recon­nais­sance juri­dique du genre est d’ailleurs suspen­due pour l’ensemble de ses ressortissants.

C’est dans ce contexte que VP fonde son recours sur l’art. 16 RGPD, qui garan­tit le droit à la recti­fi­ca­tion des données person­nelles. La juri­dic­tion hongroise inter­roge donc la CJUE sur la portée de cette dispo­si­tion, et sur les éléments de preuve pouvant raison­na­ble­ment être exigés à l’appui d’une telle demande.

Droit

Le droit de recti­fi­ca­tion et le prin­cipe d’exactitude

Tout d’abord, la Cour examine si l’art. 16 RGPD impose à une auto­rité natio­nale de recti­fier les données person­nelles rela­tives à l’identité de genre d’une personne physique lorsque ces données sont inexactes.

Cette dispo­si­tion est la concré­ti­sa­tion du droit fonda­men­tal consa­cré à l’art. 8 par. 2, 2e ph. de la Charte, selon lequel toute personne a le droit d’accéder aux données collec­tées la concer­nant et d’en obte­nir la rectification.

La CJUE rappelle que l’art. 16 RGPD est à lire avec l’art. 5 par. 1 let. d RGPD, soit le prin­cipe d’exactitude. Selon ce prin­cipe, les données trai­tées doivent être exactes et, si néces­saire, tenues à jour, étant précisé que toutes les mesures raison­nables doivent être prises pour que les données inexactes soient effa­cées ou recti­fiées sans délai.

Il ressort égale­ment du consi­dé­rant 59 RGPD que des moda­li­tés doivent être prévues pour faci­li­ter l’exercice par la personne concer­née de ses droits.

Selon la juris­pru­dence de la Cour, le carac­tère exact et complet de données à carac­tère person­nel doit être appré­cié au regard de la fina­lité pour laquelle les données ont été collec­tées (cf. arrêt Nowak, C‑434/​16).

En l’occurrence, la Cour rappelle que l’identité de genre consti­tue une donnée à carac­tère person­nel au sens de l’art. 4 ch. 1 RGPD et que cette donnée a fait l’objet d’un trai­te­ment selon le ch. 2.

Par consé­quent, il incombe à la juri­dic­tion de renvoi de véri­fier l’exactitude de la donnée en cause selon la fina­lité visée, in casu, le fait de pouvoir iden­ti­fier la personne à des fins de droit d’asile. La CJUE explique que l’information vise

l’identité de genre vécue par cette personne, et non celle qui lui aurait été assi­gnée à la nais­sance.

En l’espèce, l’autorité en charge de l’asile aurait donc dû rete­nir l’identité de genre de VP au moment de son inscrip­tion dans le registre d’asile et non de l’identité de genre qui lui aurait été assi­gnée à la nais­sance. De surcroît, c’est préci­sé­ment sur la base de son chan­ge­ment d’identité de genre que la Hongrie lui a reconnu le statut de réfugié.

La CJUE écarte égale­ment l’argument hongrois et estime au contraire que le droit à la recti­fi­ca­tion de l’art. 16 RGPD ne peut être limité qu’aux condi­tions énon­cées à l’art. 23 RGPD, soit par des mesures légis­la­tives internes visant des motifs d’intérêts public géné­ral. Un État membre ne peut pas non plus se préva­loir de l’absence de procé­dure de recon­nais­sance juri­dique de la tran­si­den­tité dans son droit interne pour empê­cher l’exercice du droit à la rectification.

La produc­tion de preuves et les limi­ta­tions de l’art. 23 RGPD

Quant à la produc­tion de preuves d’un trai­te­ment chirur­gi­cal de réas­si­gna­tion sexuelle, la CJUE rappelle que l’art. 16 RGPD ne fixe pas de liste exhaus­tive de preuves. Cependant, elle admet qu’il peut être requis de produire des éléments perti­nents et suffi­sants, raison­na­ble­ment exigibles selon les circons­tances (cf. arrêt Google sur le déré­fé­ren­ce­ment d’un contenu préten­du­ment inexact, C‑460/​20).

En revanche, l’art. 23 par. 1 RGPD prévoit des condi­tions précises pour limi­ter le droit de recti­fi­ca­tion. Premièrement, une telle limi­ta­tion doit être prévue « par la voie de mesures légis­la­tives ». Deuxièmement, l’essence des liber­tés et droits fonda­men­taux doit être respecté. Finalement, ces mesures doivent être néces­saires et propor­tion­nées au but visé, ici, l’intérêt public à la bonne tenue de registres publics.

Concernant la première condi­tion, l’exigence de preuves d’un trai­te­ment chirur­gi­cal découle non pas d’une mesure légis­la­tive hongroise mais bien d’une pratique administrative.

Deuxièmement, la Cour estime qu’une telle pratique admi­nis­tra­tive porte atteinte à l’essence des droits fonda­men­taux garan­tis par la Charte UE, notam­ment, à l’intégrité de la personne et au droit au respect de la vie privée prévus aux art. 3 et 7.

Selon son art. 52 par. 3, les droits et garan­ties de la Charte ont le même sens et la même portée que les droits corres­pon­dants garan­tis par la CEDH. La Convention consti­tue un seuil de protec­tion minimale.

Il ressort de la juris­pru­dence que l’art. 8 CEDH protège l’identité de genre d’une personne, qui est un élément consti­tu­tif et l’un des aspects les plus intimes de sa vie privée. Cela englobe le droit pour chacun d’établir les détails de son iden­tité d’être humain, ce qui comprend le droit des personnes trans­genres à l’épanouissement person­nel et à l’intégrité physique et morale ainsi qu’au respect et à la recon­nais­sance de leur iden­tité de genre. Cette protec­tion impose aux États de prému­nir les personnes trans­genres contre les ingé­rences arbi­traires des pouvoirs publics. Elle requiert égale­ment de mettre en place des procé­dure effi­caces et acces­sibles garan­tis­sant un respect effec­tif de leur droit à l’identité de genre (arrêt Mirin, C‑4/​23, point 64 s.).

Dans un autre arrêt (X et Y c. Roumanie, §165 et 167), la CourEDH a jugé que la recon­nais­sance de l’identité de genre d’une personne trans­genre ne pouvait pas être subor­don­née à la réali­sa­tion d’un trai­te­ment chirur­gi­cal non souhaité par cette personne.

Finalement, la CJUE estime que la dernière condi­tion n’est en l’espèce pas remplie. Elle consi­dère en effet qu’exiger une preuve chirur­gi­cale n’est ni néces­saire ni propor­tionné pour assu­rer la fiabi­lité d’un registre public tel que celui de l’asile, dès lors qu’une attes­ta­tion médi­cale, incluant un psycho­diag­nos­tic, peut suffire à établir l’identité de genre de la personne concernée.

Pour conclure, la Cour estime que, bien que l’art. 16 RGPD permette de deman­der à la personne concer­née de four­nir des éléments de preuve, un État membre « ne peut en aucun cas » subor­don­ner, par une pratique admi­nis­tra­tive, l’exercice de ce droit à la produc­tion de preuves d’un trai­te­ment chirur­gi­cal de réas­si­gna­tion sexuelle.

Conclusion

Applicable dans tous les États membres de l’Union euro­péenne et poten­tiel­le­ment trans­po­sable dans les États parties à la CEDH, cette juris­pru­dence est la bien­ve­nue. Elle réaf­firme que l’identité de genre relève du droit à la vie privée et que les États ne peuvent impo­ser des exigences médi­cales intru­sives sans base légale suffisante.

Contrairement à certaines craintes, il semble peu probable que les registres publics se voient à l’avenir submer­gés de demandes infon­dées. Cette déci­sion ne supprime pas les garde-fous admi­nis­tra­tifs exis­tants. Elle empêche simple­ment l’État d’aller trop loin dans l’ingérence, en garan­tis­sant que, dans le dédale admi­nis­tra­tif, la dignité des personnes trans­genres soit respectée.



Proposition de citation : David Dias Matos, Les preuves exigibles pour la reconnaissance de l’identité de genre, 18 juin 2025 in www.swissprivacy.law/360


Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.
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