swissprivacy.law
  • Décision
  • Doctrine
  • Jurisprudence
  • Réglementation
  • À propos
  • Abonnement à notre newsletter
swissprivacy.law
  • Décision
  • Jurisprudence
  • Doctrine
  • Réglementation
  • À propos
S'abonner
Generic selectors
Expression exacte
Rechercher dans le titre
Rechercher dans le contenu
Post Type Selectors
Filtrer par catégorie
Décision
Doctrine
Jurisprudence
Réglementation

La jurisprudence GoPro : de la nature (il)licite d’un traitement de données à l’(in)exploitabilité de la preuve qui en découle en procédure pénale

Kastriot Lubishtani, le 9 décembre 2020

Dans le cadre de l’exploitabilité d’un moyen de preuve recueilli par un parti­cu­lier dans une procé­dure pénale, la licéité de ce moyen doit, à présent, être déter­mi­née de façon uniforme. Ainsi, la preuve décou­lant d’un trai­te­ment de données est certes frap­pée d’illicéité a priori (art. 12 LPD), mais ne l’est pas de façon irré­fra­gable (notion auto­nome d’illicéité renver­sée), car le trai­te­ment peut in fine être rendu licite s’il repose sur un motif justi­fi­ca­tif (art. 13 LPD).
Arrêt du Tribunal fédé­ral 6B_​1282/​2019 du 13 novembre 2020 (destiné à la publication)

Au volant d’un véhi­cule le matin du 18 mai 2018, un auto­mo­bi­liste descen­dant l’Avenue Denantou à Lausanne klaxonne sans raison un tiers roulant à 35 km/​h sur une trot­ti­nette élec­trique et le dépasse dans une longue courbe à gauche. Alors que le trot­ti­net­tiste se trouve à l’arrière du flanc droit du véhi­cule, l’automobiliste se rabat subi­te­ment à droite et décé­lère, condui­sant le tiers à frei­ner éner­gi­que­ment pour éviter toute colli­sion. La scène est filmée par une caméra GoPro fixée sur le guidon de la trot­ti­nette et les images sont produites au dossier de la procé­dure pénale diri­gée contre l’automobiliste.

Sur la base de cet enre­gis­tre­ment en parti­cu­lier, l’automobiliste est reconnu coupable en première instance de viola­tions simple et grave des règles de la circu­la­tion routière par négli­gence (art. 90, al. 1 et 2, LCR) et la Cour d’appel pénale vaudoise confirme cette condam­na­tion. Pas encore soulevé jusque-là, le moyen de l’inexploitabilité des images recueillies par l’intermédiaire de la GoPro, en raison d’un trai­te­ment illi­cite des données person­nelles, doit être examiné par le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédé­ral commence par défi­nir le cadre juri­dique appli­cable à l’espèce par une longue majeure, en se réfé­rant d’emblée à l’art. 141 du Code de procé­dure pénale qui est la dispo­si­tion topique déter­mi­nant le sort des moyens de preuve obte­nus illé­ga­le­ment, dont l’al. 2 prévoit :

Les preuves qui ont été admi­nis­trées d’une manière illi­cite ou en viola­tion de règles de vali­dité par les auto­ri­tés pénales ne sont pas exploi­tables, à moins que leur exploi­ta­tion soit indis­pen­sable pour éluci­der des infrac­tions graves.

Cette norme ne régle­mente pas l’exploitation des preuves illi­cites recueillies par des parti­cu­liers. Celles-ci sont exploi­tables dans une procé­dure pénale aux deux condi­tions cumu­la­tives suivantes : d’une part, elles auraient pu être obte­nues lici­te­ment par les auto­ri­tés ; d’autre part, après une pesée des inté­rêts, le moyen de preuve appa­raît comme indis­pen­sable à l’élucidation d’infractions graves. Cette double condi­tion ressor­tit à la juris­pru­dence, dans la mesure où l’art. 141 al. 2 CPP ne s’applique que par analo­gie, et non pas direc­te­ment, à ce cas de figure non régle­menté par la loi (TF, 6B_​1311/​2017, c. 2.3).

S’agissant en parti­cu­lier de l’illicéité d’un moyen de preuve, elle peut notam­ment tirer son origine de la viola­tion de la Loi sur la protec­tion des données (LPD) ou du Code civil (CC), étant précisé que la première complète et concré­tise la protec­tion de la person­na­lité figu­rant dans le second (art. 28 CC). C’est dans ce contexte que la protec­tion des données joue un rôle, car ses prin­cipes géné­raux doivent être respec­tés. En effet, tout trai­te­ment de données doit, notam­ment, être « effec­tué confor­mé­ment aux prin­cipes de la bonne foi et de la propor­tion­na­lité », mais aussi être « recon­nais­sable pour la personne concer­née » (art. 4, al. 2 et 4, LPD). La viola­tion de ces prin­cipes consti­tue a priori une atteinte illi­cite à la person­na­lité des personnes concer­nées en vertu de l’art. 12 LPD. Néanmoins, l’illicéité peut in fine être ôtée et le trai­te­ment deve­nir licite lorsqu’il repose sur un motif justi­fi­ca­tif de l’art. 13 al. 1 LPD, à savoir le consen­te­ment de la victime, un inté­rêt prépon­dé­rant privé ou public ou encore la loi.

Ces prin­cipes posés, le Tribunal fédé­ral revient sur l’arrêt dash­cam (TF, 6B_​1188/​2018) à l’état de fait simi­laire au cas présent. Il y a retenu que l’enregistrement en continu d’une dash­cam fixée sur un véhi­cule auto­mo­bile consti­tue une viola­tion du prin­cipe de recon­nais­sa­bi­lité (art. 4 al. 4 LPD) qui, par voie de consé­quence, doit être quali­fiée de trai­te­ment illi­cite (art. 12 LPD). En parti­cu­lier, il s’est refusé à exami­ner la présence ou non d’un motif justi­fi­ca­tif de l’art. 13 LPD qui aurait pu rendre le trai­te­ment licite. Par ce biais, il a retenu une illi­céité de façon irré­fra­gable, en consa­crant une notion « auto­nome de l’illicéité en procé­dure » qui évince le raison­ne­ment en deux temps impé­ra­ti­ve­ment exigé lors de l’examen de tout trai­te­ment de données.

Soulignant que cet arrêt a été soutenu par une partie de la doctrine, mais aussi criti­qué par une impor­tante partie de celle-ci, le Tribunal fédé­ral justi­fie son approche restric­tive en matière de motifs justi­fi­ca­tifs par le fait que les images d’une caméra de bord fixée sur un véhi­cule « se font en continu et sans discri­mi­na­tion », si bien qu’elles s’apparentent « à un système de surveillance de l’espace public qui relève de la compé­tence de l’État pour assu­rer la sécu­rité du trafic ». Il cite en outre les expli­ca­tions rela­tives aux camé­ras de bord (dash­cams) du Préposé fédé­ral à la protec­tion des données et à la trans­pa­rence (PFPDT) pour qui :

Les enre­gis­tre­ments effec­tués avec une caméra de bord ne devraient être utili­sés ni comme diver­tis­se­ment, ni comme moyen de preuve en cas de délits mineurs, comme des manœuvres routières risquées, mais banales. L’atteinte au prin­cipe de trans­pa­rence est alors trop mani­feste pour justi­fier le recours aux données enre­gis­trées. Il faut éviter de jouer à l’ap­prenti shérif.

Ainsi, une exclu­sion des motifs justi­fi­ca­tifs est néces­saire pour empê­cher « toute forme de contrôle, par des privés, du respect des règles de la circu­la­tion routière, tâche qui appar­tient à l’État » et relève de son mono­pole, selon le Tribunal fédéral.

En dépit de cette justi­fi­ca­tion lais­sant entendre une confir­ma­tion de sa juris­pru­dence anté­rieure dans le cas d’espèce, le Tribunal fédé­ral pour­suit en indi­quant s’en être d’ores et déjà distancé, après avoir admis qu’un motif justi­fi­ca­tif puisse venir lever l’illicéité d’une atteinte s’agissant d’enregistrements vidéo effec­tués par des parti­cu­liers au moyen d’un télé­phone portable (TF 6B_​1404/​2019), d’une caméra de surveillance d’un hôtel (TF 6B_​1468/​2019) ou d’une body­cam (TF 6B_​810/​2020).

Le Tribunal fédé­ral opère impli­ci­te­ment un revi­re­ment de juris­pru­dence par rapport à son arrêt 6B_​1188/​2018 précité, afin d’écarter la notion auto­nome d’illicéité de la preuve. En lieu et place, il retient qu’une notion uniforme en procé­dure, exigeant l’examen de motif justi­fi­ca­tif au sens de l’art. 13 LPD, s’impose désor­mais. En présence d’un moyen de preuve recueilli par un parti­cu­lier de façon contraire aux prin­cipes de la LPD, il y a lieu dès lors lieu de procé­der en deux étapes : tout d’abord, exami­ner la présence d’un motif justi­fi­ca­tif, auquel cas le moyen de preuve est exploi­table « sans restric­tion » ; à défaut d’un tel motif, dans un second temps, exami­ner les deux condi­tions juris­pru­den­tielles d’exploitabilité des preuves illi­cites recueillies par des particuliers.

Fort de ces déve­lop­pe­ments, le Tribunal fédé­ral applique les prin­cipes déga­gés au cas d’espèce. Implicitement, il recon­naît que les prises de vue de la GoPro, dont la plaque d’immatriculation du prévenu, ont trait à une donnée person­nelle (art. 3 let. a LPD) et qu’il s’agit d’un trai­te­ment de données (art. 3 let. e). En outre, il constate que la GoPro du trot­ti­net­tiste, à l’instar d’une dash­cam, « enre­gis­trait en continu ce qui entrait dans son champ de vision, sans discri­mi­na­tion », si bien que l’enregistrement était contraire au prin­cipe de recon­nais­sa­bi­lité (art. 4 al. 4).

Partant, le Tribunal fédé­ral consi­dère que l’enregistrement consti­tue une atteinte à la person­na­lité du prévenu. En revanche, il s’abstient à ce stade d’opérer un juge­ment défi­ni­tif quant à la licéité de l’atteinte en pour­sui­vant l’examen à la recherche d’éventuels motifs justi­fi­ca­tifs, confor­mé­ment à sa nouvelle approche telle qu’exposée ci-dessus.

Ayant préa­la­ble­ment indi­qué qu’un pur inté­rêt de « justi­cier » d’un conduc­teur muni d’une GoPro ou d’une dash­cam doit être écarté, notre Haute Cour exclut, sans procé­der à une véri­table analyse, tout motif justi­fi­ca­tif de l’art. 13 LPD en raison « des parti­cu­la­ri­tés de l’enregistrement, de la nature des infrac­tions repro­chées […] et du fait que le dépas­se­ment en cause n’a pas occa­sionné d’accident ou de lésion ». Les prises de vue obte­nues au moyen de la GoPro proviennent dès lors d’un trai­te­ment illi­cite de données qui n’est pas justi­fié en l’espèce, raison pour laquelle la preuve ainsi recueillie doit être quali­fiée d’illicite.

Ce constat amène le Tribunal fédé­ral à exami­ner l’exploitabilité des images en fonc­tion des condi­tions qu’il a lui-même établies, notam­ment répondre à la ques­tion de savoir si, dans la pesée des inté­rêts, la gravité in concreto des faits plaide ou non pour l’exploitabilité. En l’occurrence, les infrac­tions en cause (art. 90, al. 1 et 2, LCR) ne sont pas « graves » de manière abstraite et le compor­te­ment du prévenu, aussi bien au regard du bien juri­di­que­ment protégé que de l’intensité de la mise en danger en l’espèce, n’a pas atteint le niveau de gravité requis pour justi­fier l’exploitation des prises de vue de la GoPro. L’examen de la condi­tion de la récolte hypo­thé­tique par les auto­ri­tés est donc super­flu. Par consé­quent, les prises de vue de la GoPro sont décla­rées inex­ploi­tables dans la présente procédure.

L’instance infé­rieure ayant fondé sa condam­na­tion sur la base d’un moyen de preuve inex­ploi­table, il s’ensuit que le juge­ment canto­nal doit être annulé et que les prises de vue en cause doivent être retran­chées du dossier pénal.

Destiné à la publi­ca­tion, cet arrêt du Tribunal fédé­ral doit être salué, en tant qu’il revient sur la juris­pru­dence Dashcam qui nous semble diffi­ci­le­ment justi­fiable d’un point de vue dogma­tique. Certes, sa conclu­sion était la bien­ve­nue, puisqu’elle consti­tuait une réponse de prin­cipe s’opposant aux « citoyens justi­ciers » et aux abus inhé­rents aux surveillances privées. En revanche, le chemi­ne­ment intel­lec­tuel pour parve­nir à cette solu­tion était peu convain­cant, car il avait pour effet une diffé­rence de quali­fi­ca­tion rela­tive aux trai­te­ments de données : sous l’angle de la LPD, un trai­te­ment pouvait être licite, car justi­fié selon l’art. 13 LPD, alors qu’il pouvait être quali­fié d’illicite sous l’empire du Code de procé­dure pénale. La notion auto­nome impli­quait un examen partiel d’une loi, en l’occurrence la LPD, omet­tant ses méca­nismes propres, faits de présomp­tions et de motifs justi­fi­ca­tifs. Elle était de toute évidence peu satis­fai­sante et c’est pour­quoi l’approche uniforme de la notion de licéité est plébis­ci­tée par une large partie de la doctrine et doit être approuvée.

Aussi bien dans l’affaire GoPro que dash­cam, c’est en parti­cu­lier l’enregistrement en continu qui nous paraît être problé­ma­tique. En revanche, lorsqu’un enre­gis­tre­ment inter­vient après le début des faits péna­le­ment répré­hen­sibles à dénon­cer (à l’instar d’un quidam témoin de violences poli­cières qui sorti­rait son télé­phone pour filmer la scène), il en va alors tout à fait autre­ment. Il ne s’agit pas, en effet, d’autoriser les privés à procé­der à une surveillance géné­ra­li­sée de l’espace public, mais à faire triom­pher l’intérêt public à l’établissement de la vérité, de façon réac­tive et non proac­tive. Dans ses expli­ca­tions, le PFPDT avait d’ores et déjà mis en avant le fait que seuls des enre­gis­tre­ments réac­tifs, « en cas d’incident » par exemple, permettent d’éviter des dérives.

Pour termi­ner, rele­vons que le refus par le Tribunal fédé­ral de quali­fier les faits en cause comme rele­vant d’une « infrac­tion grave » ne prête pas le flanc à la critique. Certes, l’automobiliste « a créé un danger sérieux pour la sécu­rité d’autrui », selon les auto­ri­tés canto­nales. Néanmoins, son compor­te­ment n’a causé aucune lésion et n’était pas inten­tion­nel, même pas par dol éven­tuel, mais rele­vait d’une négli­gence, quoique « gros­sière ». Qui plus est, la quotité de la peine, 30 jours-amende, témoigne d’une culpa­bi­lité rela­ti­ve­ment faible, en plus du fait que le fonde­ment de la condam­na­tion, une viola­tion grave des règles de la circu­la­tion routière (art. 90 al. 2 LCR), est un délit et non pas un crime (art. 10, al. 2 et 3, du Code pénal). En défi­ni­tive selon nous, les faits en cause ne résis­taient pas à juste titre à la sanc­tion de l’inex­ploi­ta­bi­lité des images de la GoPro, l’ex­ploi­ta­bi­lité d’une preuve illi­cite devant demeu­rer un régime d’ex­cep­tion pour des faits d’une gravité certaine.



Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, La jurisprudence GoPro : de la nature (il)licite d’un traitement de données à l’(in)exploitabilité de la preuve qui en découle en procédure pénale, 9 décembre 2020 in www.swissprivacy.law/41


Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.
Sur ce thème
  • Une DPO peut-elle être licenciée pour une raison autre que celle liée à ses qualités professionnelles ?
  • Peut-on encore, en Suisse, recourir à des services cloud offerts par Microsoft ?
  • Protection des données et archivage: la fin de la quadrature du cercle ?
  • Reconnaissance des SCC par la Suisse : tour d’horizon pour les entreprises helvétiques
Derniers articles
  • Contenu de l’information sur le licenciement d’un employé à l’interne
  • L’administration publique responsable dans l’utilisation de services en nuage
  • Une DPO peut-elle être licenciée pour une raison autre que celle liée à ses qualités professionnelles ?
  • La mise en place de mesures de sécurité techniques et organisationnelles : not just a checklist !
Abonnement à notre newsletter
swissprivacy.law