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Vidéosurveillance, preuves illicites et délit de chauffard

Alexandre Barbey, le 30 septembre 2022
Un système de vidéo­sur­veillance privé qui filme une large portion de la route viole la LPD. Les images en décou­lant consti­tuent donc une preuve illi­cite recueillie par un parti­cu­lier. Leur exploi­ta­bi­lité est toute­fois admise dans une enquête ouverte pour délit de chauf­fard (art. 90 al. 3 LCR) dès lors qu’il s’agit d’une infrac­tion grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP.

Arrêt de la Chambre des recours pénale PE21.011866-RMG/238 du 4 avril 2022.

Dans le cadre d’une procé­dure pénale, des images issues d’un système de vidéo­sur­veillance privé géré par une station-service et par un garage ont été ajou­tées au dossier. L’on y voit deux co-préve­nus, chacun dans son propre véhi­cule, arrê­ter le trafic et faire la course sur la voie publique. Lors de cette virée, l’un des co-préve­nus perd le contrôle de son véhi­cule, percute un lampa­daire ainsi que la voiture d’un autre usager de la route. Seuls des dégâts maté­riels sont à déplorer.

Le prévenu fait recours devant la Chambre des recours pénale du Tribunal canto­nal vaudois contre la déci­sion de la procu­reure refu­sant de retran­cher ces images du dossier pénal. Celle-ci se prononce sur l’exploitabilité de cette preuve.

Le Tribunal canto­nal rappelle la juris­pru­dence fédé­rale selon laquelle les preuves recueillies par un parti­cu­lier ne sont exploi­tables que si (1) elles avaient pu être recueillies lici­te­ment par les auto­ri­tés pénales et si (2) une pesée des inté­rêts en présence plaide pour exploi­ta­bi­lité. Ce n’est que lorsque le moyen de preuve permet d’élucider des infrac­tions graves qu’il est exploitable.

Les preuves collec­tées en viola­tion de la LPD sont illi­cites. En l’espèce, les camé­ras de surveillance privées filment non seule­ment le terrain privé de la station-service, mais égale­ment une large partie de la route, qui fait partie du domaine public. Or, selon un aide-mémoire du PFPDT, il n’est pas possible pour les privés d’effectuer une vidéo­sur­veillance du domaine public pour une fina­lité privée. Cela cause une atteinte illi­cite à la person­na­lité d’un nombre indé­ter­miné de personnes et ne se justi­fie donc pas. Une excep­tion existe toute­fois si la portion du domaine public filmée est petite. Ce n’est néan­moins pas le cas en l’espèce. Pour cette raison, le Tribunal canto­nal quali­fie les images tirées de la vidéo­sur­veillance comme illicites.

En l’absence de motifs justi­fi­ca­tifs au sens de l’art. 13 LPD qui auraient permis de lever l’illicéité et ainsi de permettre l’exploitabilité de la preuve, le Tribunal canto­nal examine les condi­tions fixées par le CPP. L’art. 141 al. 2 CPP dispose que « Les preuves qui ont été admi­nis­trées d’une manière illi­cite ou en viola­tion de règles de vali­dité par les auto­ri­tés pénales ne sont pas exploi­tables, à moins que leur exploi­ta­tion soit indis­pen­sable pour éluci­der des infrac­tions graves. » En l’espèce, le prévenu a été renvoyé pour viola­tion grave quali­fiée des règles de la circu­la­tion routière selon l’art. 90 al. 3 LCR (délit de chauf­fard), qui dispose que « [c]elui qui, par une viola­tion inten­tion­nelle des règles fonda­men­tales de la circu­la­tion, accepte de courir un grand risque d’accident pouvant entraî­ner de graves bles­sures ou la mort, que ce soit en commet­tant des excès de vitesse parti­cu­liè­re­ment impor­tants, […] ou en parti­ci­pant à des courses de vitesse illi­cites avec des véhi­cules auto­mo­biles est puni d’une peine priva­tive de liberté d’un à quatre ans. » Le prévenu a en effet adopté un compor­te­ment dange­reux en raison de sa parti­ci­pa­tion à une course sur la voie publique, à une heure où le trafic est impor­tant, à une vitesse non établie, mais large­ment supé­rieure à la vitesse auto­ri­sée. Il a en outre causé un acci­dent, dont les consé­quences auraient pu être bien plus impor­tantes, voire fatales.

Le Tribunal canto­nal est ainsi d’avis qu’il s’agit « mani­fes­te­ment » d’une infrac­tion grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Il estime que l’intérêt public à l’élucidation des faits l’emporte sur l’intérêt du recou­rant à l’administration des preuves rigou­reu­se­ment conformes à la loi. Il conclut que, bien qu’illicites, les preuves sont exploi­tables et rejette le recours.

À notre connais­sance, il s’agit du premier arrêt trai­tant de l’exploitation de preuves récol­tées par des parti­cu­liers dans une enquête portant sur une infrac­tion de délit de chauf­fard (art. 90 al. 3 LCR). Il existe des arrêts rendus par le Tribunal fédé­ral concer­nant des preuves recueillies par des parti­cu­liers, mais portant sur des infrac­tions simples ou graves à la loi sur la circu­la­tion routière (art. 90 al. 1 et 2 LCR).

Dans l’ATF 147 IV 16 du 13 novembre 2020 et l’arrêt 6B_​1188/​2018 du 26 septembre 2019, le Tribunal fédé­ral dit que la preuve obte­nue par un privé en viola­tion de la LPD au moyen d’une caméra GoPro fixée sur le guidon d’une moto, respec­ti­ve­ment au moyen d’une dash­cam instal­lée dans un véhi­cule privé, n’est pas exploi­table lorsqu’il s’agit d’une procé­dure ouverte pour infrac­tions simple et grave à la LCR (art. 90 al. 1 et 2 LCR) (cf. www​.swiss​pri​vacy​.law/41).

Nous rele­vons que la notion « d’infraction grave » au sens de l’art. 141 al. 2 CPP n’est pas défi­nie par le légis­la­teur. Un auteur a établi une liste des infrac­tions qui ont été quali­fiées comme telles par le Tribunal fédé­ral (Poulikakos George Darvish, Die Verwertbarkeit rechts­wi­drig erho­be­ner Beweise, Zurich 2021 (Zürcher Studien zum Strafrecht, no 112), p. 118 s.). On y trouve notam­ment le meurtre, l’assassinat, les lésions corpo­relles graves, le brigan­dage, l’escroquerie et le viol. Le délit de chauf­fard n’en fait pas partie.

La juris­pru­dence fédé­rale (cita­tion de l’ATF 147 IV 16 [f.], consid. 6 ; arrêt de prin­cipe : ATF 147 IV 9 [all.] consid. 1.4.2) indique néan­moins que :

« la notion d’infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP [doit] être exami­née au regard de la gravité de l’acte concret et de l’ensemble des circons­tances qui l’entourent et non abstrai­te­ment selon la peine menace de l’infraction en cause » .

En raison de la créa­tion du risque d’accident pouvant entraî­ner de graves bles­sures ou la mort, engen­drée par la course sur la voie publique et répri­mée par le délit de chauf­fard, nous suivons la conclu­sion du Tribunal canto­nal. La preuve illi­cite doit pouvoir être exploitable.



Proposition de citation : Alexandre Barbey, Vidéosurveillance, preuves illicites et délit de chauffard, 30 septembre 2022 in www.swissprivacy.law/174


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