Des rapports d’audit concernant le versement de primes exceptionnelles sont-ils soumis au principe de la transparence ?
Suite à la parution d’articles de journaux concernant des primes extraordinaires versées à certains administrateurs de Tridel SA en 2016, un administré vaudois a requis de la société, en date du 26 juin 2018, l’envoi de documents officiels au sens de la Loi vaudoise sur l’information (LInfo). La demande d’accès aux documents concernait l’extrait du procès-verbal validant le versement de primes exceptionnelles, une copie datée et non caviardée des rapports d’audit concernant la société par BDO et du Contrôle des finances de la Ville de Lausanne, ainsi qu’une copie de la note d’honoraires finale du conseil de Tridel SA. En réponse à sa demande, la société a adressé au requérant l’extrait du procès-verbal requis et l’a informé que le rapport d’audit de BDO était consultable en ses locaux, mais qu’il devait s’adresser à la Ville de Lausanne pour obtenir le second rapport d’audit, tout en précisant que la société n’avait pas reçu de note d’honoraires.
L’administré a indiqué à Tridel SA qu’il prévoyait de prendre des photos du rapport d’audit de BDO, suite à quoi la société l’a informé que ce rapport se trouvait sur son site Internet. Elle a en outre maintenu sa position quant au rapport d’audit de la Ville de Lausanne. L’administré a recouru à l’encontre de cette décision en concluant à la délivrance des rapports d’audit de BDO et du contrôle des finances de la Ville de Lausanne dans des versions non-caviardées. Il a également requis de la CDAP que soit confirmée son droit à photographier ou copier ces documents en cas de consultation sur place. Pour s’opposer à la transmission des documents non caviardées, la société allègue, d’une part, qu’il s’agit de documents internes au sens de l’art. 9 al. 2 LInfo et, d’autre part, que des intérêts publics et privés prépondérants au sens de l’art. 16 al. 1 LInfo s’opposent à la divulgation, puisque les passages caviardées contiennent les noms et prénoms de certains membres du Conseil d’administration de la société, ainsi que d’autres employés. En dernier lieu, la société allègue qu’elle n’est pas la propriétaire du rapport d’audit du contrôle des finances de la Ville de Lausanne et qu’elle n’est donc pas habilitée à le transmettre.
Saisie par l’administré, la CDAP est amenée à préciser sa jurisprudence relative à la LInfo. Elle s’intéresse en premier lieu la notion de « documents officiels » au sens de l’art. 8 LInfo et de « documents internes » au sens des art. 9 al. 2 LInfo et 14 RLInfo, étant donné que ces derniers documents ne sont pas compris dans le droit à l’information. Pour ce faire, la CDAP examine les travaux préparatoires de la LInfo, notamment l’exposé des motifs qui cite comme exemple de documents internes les notes et courriers échangés entre les membres d’une autorité collégiale ou entre ces derniers et leurs collaborateurs en raison du fait qu’ils doivent permettre la libre formation de l’opinion et de la décision d’une autorité collégiale.
Sur cette notion de documents internes, l’exposé des motifs s’inspire en partie de la jurisprudence du Tribunal fédéral en lien avec le droit de consulter un dossier sous un angle procédural, en retenant que sont des documents internes les documents informels qui ne constituent pas des moyens de preuve pour l’étude d’un cas, qui servent à la formation de l’opinion interne de l’autorité et qui ne sont destinés qu’à un usage purement interne à l’administration, tels des notes, avis personnels, brouillons ou esquisses. En outre, le Tribunal fédéral a spécifié que les rapports et expertises établis de manière interne au sujet d’états de fait litigieux ne constituent pas des documents internes. La CDAP rappelle finalement que la notion de documents internes servant à la formation de l’opinion et à la décision de l’autorité devait être interprétée de manière restrictive et au cas par cas, confirmant ainsi la présomption de publicité des documents officiels telle qu’ancrée par le principe de la transparence prévu par l’art. 1 LInfo.
Au vu de ce qui précède, la CDAP a considéré que les rapports d’audit étaient soumis à la présomption de publicité et pouvaient être qualifiés de documents officiels au sens de l’art. 9 al. 2 LInfo. En outre, elle a souligné le fait qu’un administré pouvait demander à avoir accès à tout document officiel détenu par l’autorité, indépendamment de la question de savoir si elle est la propriétaire du document requis.
La CDAP détermine ensuite si le caviardage des noms et prénoms répond à un impératif de protection d’intérêts publics ou privés prépondérants au sens de l’art. 16 LInfo. Selon l’exposé des motifs, la transmission d’un document contenant des noms de personnes n’est pas nécessairement constitutive d’une atteinte notable à la sphère privée. À ce titre, de nombreux documents issus de l’administration se voient apposer le nom de la personne en charge de l’affaire. La transmission est cependant constitutive d’une atteinte lorsque les informations portent sur une appréciation, un jugement de valeur ou décrit le comportement d’une telle personne.
En l’espèce, les documents ne contiennent pas de telles informations. À cela s’ajoute le fait que les éléments caviardés ne contiennent pas d’autres informations personnelles que le nom ou le prénom des membres du Conseil d’administration de Tridel SA, informations librement accessibles par l’intermédiaire du registre du commerce et déjà exposées par l’intermédiaire de la presse. Il en va autrement des informations personnelles du mandataire externe et de l’employé désigné au sein du rapport d’audit du Contrôle des finances. Pour le premier, la communication de ses données se heurte à son intérêt de ne pas voir divulguer au public son identité, la nature de ses relations contractuelles avec la société et sa rémunération. Pour le second, la communication de son nom associée à celle du montant et des causes de l’indemnité reçue relève de la protection de sa sphère privée que l’employeur se doit de protéger en vertu de l’art. 328 et 328b du CO.
Partant, la CDAP admet partiellement le recours est conclu à la remise des rapports d’audit dans leur version non-caviardée, sous réserve du nom du mandataire et de l’employé.
Proposition de citation : Livio di Tria, Des rapports d’audit concernant le versement de primes exceptionnelles sont-ils soumis au principe de la transparence ?, 26 septembre 2020 in www.swissprivacy.law/7
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