Recension : Frédéric Erard, Le secret médical
Un soir d’été, un jeune homme se voit inviter à un enterrement de vie de garçon. Les festivités battent leur plein : l’équipe de joyeux lurons partage un repas convivial, danse au rythme endiablé des musiques d’Enrico Macias – Un soir d’été étant d’ailleurs l’un de ses titres phares – et échangent leurs meilleures anecdotes de vie entre deux (ou plus) verres de vin. L’un des invités, légèrement aviné, produit sa meilleure prestation de danse et, entre deux pas, s’emmêle les pinceaux et chute sévèrement. Il est emmené aux urgences de l’hôpital le plus proche. Le constat est sans appel : fracture de la clavicule et nécessité d’opérer en urgence.
Après une poignée de jours en convalescence, le jeune homme reçoit un appel du service de médecine des addictions de l’hôpital. Ce dernier souhaite savoir si celui-ci, dont les coordonnées et l’état médical ont été transmis par un soignant des urgences au service des addictions, pourrait participer à un questionnaire relatif aux problèmes d’alcool chez les jeunes adultes. L’homme, désarçonné par cette demande, ce dernier n’ayant jamais pensé qu’il pouvait être considéré comme ayant des problèmes d’alcool, se demande si la transmission de ses coordonnées et de son état médical est licite.
Si ce récit rocambolesque semble surréaliste, les obligations qui découlent du secret médical peuvent se révéler être un réel casse-tête dont l’appréhension juridique reste un défi, tant pour les soignants que pour les juristes, notamment à l’aune de la frénésie du « tout numérique ». C’est à cette thématique épineuse que Frédéric Erard a consacré sa thèse de doctorat. Publié en mai 2021, l’ouvrage procède à une analyse chirurgicale du secret médical sous toutes ses facettes et ce en quatre parties.
La première partie dresse l’historique, les défis et les enjeux du secret médical, nécessaire à une relation de confiance entre un patient et son soignant. À cet égard, l’auteur retrace l’histoire du secret médical marquée par son inconstance, en identifiant les multiples devoirs qui en découlent tout en dégageant les intérêts juridiques et éthiques. Une attention particulière est portée aux influences de la société de l’information et à l’adoption progressive et massive des technologies dans le domaine de la santé.
La deuxième partie est consacrée à la protection du secret médical dans l’ordre juridique suisse. L’auteur y identifie les multiples devoirs qui découlent du secret médical et en recense les différentes protections, tant en droit international qu’en droit suisse. Les deux assises principales du secret médical sont le secret professionnel (art. 321 CP) et le secret de fonction (art. 320 CP), dont les contours sont décortiqués, ce qui comprend également la résolution des concours entre les deux dispositions pénales. Ce double régime du secret médical s’explique notamment en raison du caractère particulier du domaine médical, qui navigue tant dans les eaux troubles du droit privé que du droit public.
À ces deux fondements s’adjoignent les devoirs de garder le secret fondés sur d’autres loi fédérales, tels que la Loi fédérale sur les stupéfiants, la Loi fédérale sur la transplantation ou encore le devoir de discrétion de la Loi fédérale sur la protection des données. Sur ce dernier point, l’auteur offre un panorama détaillé des problématiques les plus animées que peut entraîner le traitement de données personnelles dans le domaine médical, incorporant également l’épineuse question du recours à un sous-traitant informatique.
La troisième partie s’arrête pour sa part sur les limitations du secret médical, dont le consentement représente une pièce maîtresse du système. Ces limitations sont complexes, nombreuses et mettent en jeu une pluralité d’intérêts, nécessitant une appréciation globale de la situation. En faveur du secret, l’auteur relève l’intérêt du patient à sa santé et à la protection de sa sphère intime, mais également un intérêt public à la santé publique ainsi qu’un intérêt éventuel de tiers à la protection de leur sphère privée. À l’inverse, l’auteur oppose au secret une liste non-exhaustive d’intérêts relevant notamment de la santé publique, de la sécurité publique, d’intérêts économiques, d’intérêts de proches ou d’héritiers voire encore découlant directement du patient lui-même.
La quatrième et dernière partie fait la place à des conclusions intermédiaires et à des hypothèses quant au futur du secret médical, dont il faut souligner que le concept est malléable et évolue d’époque en époque. Quatre constats principaux sont tirés :
- le secret médical tel que conçu en droit suisse connaît des disparités. Le soignant peut non seulement être soumis à des obligations de confidentialité distinctes selon la profession exercée, mais le droit suisse conduit également à appliquer des régimes juridiques différents si une même profession est exercée dans des contextes différents (ex. : privé ou public) ;
- la protection légale du secret médical en droit suisse tend à s’amenuiser. Cela s’explique en raison du nombre croissant de dérogations légales qui, d’une certaine manière, reflète l’évolution de la société ;
- la règlementation encadrant le secret médical se complexifie. Cette complexité s’explique non seulement par le nombre important de normes susceptibles de s’appliquer, mais aussi par la délicate ligne de démarcation entre droit privé et droit public dans le domaine du droit sanitaire et dans celui du droit de la protection des données ;
- la protection légale du secret médical en droit suisse reposerait sur un système désuet. La cause de cette désuétude est l’évolution de la pratique des soins qui force à constater que le secret médical ne peut plus reposer uniquement sur les épaules des soignants visés à titre individuel. La pratique des soins a évolué, les établissements médicaux se sont développés tout comme les soins en réseau. En sus, le domaine médical fait de plus en plus appel à des solutions informatiques et, a fortiori, à des sous-traitants, ce qui implique de facto un système construit sur les communications de données.
Face à ces quatre constats, l’auteur discute en guise de conclusion les perspectives éventuelles qui attendent le secret médical, étant entendu que le choix de suivre l’une ou l’autre de ces hypothèses ne relève pas du droit seul, mais doit faire l’objet d’un choix de société. La première de ces hypothèses, qui est aussi la plus probable selon l’auteur, est le statu quo, le secret médical ne faisant actuellement pas l’objet d’un projet de révision en droit suisse. La deuxième hypothèse concerne pour sa part l’adaptation de la législation actuelle par le législateur et l’auteur dresse plusieurs pistes d’adaptations. Partant du même postulat que la précédente hypothèse, le troisième scénario envisage une adaptation de la législation par l’adoption d’une nouvelle loi fédérale spécifique relative aux droits des patients. Finalement, la quatrième hypothèse consiste en un renforcement de la protection des informations les plus sensibles. Face à un système opaque, l’auteur milite toutefois en faveur de la préservation d’un réel espace de confidentialité pour le domaine des soins.
Cette thèse de doctorat apporte un éclairage bienvenu du secret médical et du domaine de la santé, dont les spécificités sont nombreuses et requièrent des connaissances spécifiques. La pandémie de COVID-19 est révélatrice du retard pris par le domaine de la santé, notamment dans le domaine du numérique : en appliquant les mêmes tactiques que l’OFSP, il est possible affirmer que cette thèse de doctorat pèse 1,056 kgs et représente 5 ans de – dur – labeur. L’auteur n’a pour sa part pas pris le même pli. Bien qu’une version imprimée existe (et dont la couleur verte ne peut qu’attirer nos yeux), une version numérique est également disponible en open access. Un modèle à suivre, assurément.
Proposition de citation : Livio di Tria, Recension : Frédéric Erard, Le secret médical, 31 mai 2021 in www.swissprivacy.law/77
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