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Recension : Frédéric Erard, Le secret médical

Livio di Tria, le 31 mai 2021
Frédéric Erard, Le secret médi­cal – Étude des obli­ga­tions de confi­den­tia­lité des soignants en droit suisse, thèse de docto­rat, Collection sui gene­ris, Zurich 2021. Disponible en open access.

Un soir d’été, un jeune homme se voit invi­ter à un enter­re­ment de vie de garçon. Les festi­vi­tés battent leur plein : l’équipe de joyeux lurons partage un repas convi­vial, danse au rythme endia­blé des musiques d’Enrico Macias – Un soir d’été étant d’ailleurs l’un de ses titres phares – et échangent leurs meilleures anec­dotes de vie entre deux (ou plus) verres de vin. L’un des invi­tés, légè­re­ment aviné, produit sa meilleure pres­ta­tion de danse et, entre deux pas, s’emmêle les pinceaux et chute sévè­re­ment. Il est emmené aux urgences de l’hôpital le plus proche. Le constat est sans appel : frac­ture de la clavi­cule et néces­sité d’opérer en urgence.

Après une poignée de jours en conva­les­cence, le jeune homme reçoit un appel du service de méde­cine des addic­tions de l’hôpital. Ce dernier souhaite savoir si celui-ci, dont les coor­don­nées et l’état médi­cal ont été trans­mis par un soignant des urgences au service des addic­tions, pour­rait parti­ci­per à un ques­tion­naire rela­tif aux problèmes d’alcool chez les jeunes adultes. L’homme, désar­çonné par cette demande, ce dernier n’ayant jamais pensé qu’il pouvait être consi­déré comme ayant des problèmes d’alcool, se demande si la trans­mis­sion de ses coor­don­nées et de son état médi­cal est licite.

Si ce récit rocam­bo­lesque semble surréa­liste, les obli­ga­tions qui découlent du secret médi­cal peuvent se révé­ler être un réel casse-tête dont l’appréhension juri­dique reste un défi, tant pour les soignants que pour les juristes, notam­ment à l’aune de la fréné­sie du « tout numé­rique ». C’est à cette théma­tique épineuse que Frédéric Erard a consa­cré sa thèse de docto­rat. Publié en mai 2021, l’ouvrage procède à une analyse chirur­gi­cale du secret médi­cal sous toutes ses facettes et ce en quatre parties.

La première partie dresse l’historique, les défis et les enjeux du secret médi­cal, néces­saire à une rela­tion de confiance entre un patient et son soignant. À cet égard, l’auteur retrace l’histoire du secret médi­cal marquée par son incons­tance, en iden­ti­fiant les multiples devoirs qui en découlent tout en déga­geant les inté­rêts juri­diques et éthiques. Une atten­tion parti­cu­lière est portée aux influences de la société de l’information et à l’adoption progres­sive et massive des tech­no­lo­gies dans le domaine de la santé.

La deuxième partie est consa­crée à la protec­tion du secret médi­cal dans l’ordre juri­dique suisse. L’auteur y iden­ti­fie les multiples devoirs qui découlent du secret médi­cal et en recense les diffé­rentes protec­tions, tant en droit inter­na­tio­nal qu’en droit suisse. Les deux assises prin­ci­pales du secret médi­cal sont le secret profes­sion­nel (art. 321 CP) et le secret de fonc­tion (art. 320 CP), dont les contours sont décor­ti­qués, ce qui comprend égale­ment la réso­lu­tion des concours entre les deux dispo­si­tions pénales. Ce double régime du secret médi­cal s’explique notam­ment en raison du carac­tère parti­cu­lier du domaine médi­cal, qui navigue tant dans les eaux troubles du droit privé que du droit public.

À ces deux fonde­ments s’adjoignent les devoirs de garder le secret fondés sur d’autres loi fédé­rales, tels que la Loi fédé­rale sur les stupé­fiants, la Loi fédé­rale sur la trans­plan­ta­tion ou encore le devoir de discré­tion de la Loi fédé­rale sur la protec­tion des données. Sur ce dernier point, l’auteur offre un pano­rama détaillé des problé­ma­tiques les plus animées que peut entraî­ner le trai­te­ment de données person­nelles dans le domaine médi­cal, incor­po­rant égale­ment l’épineuse ques­tion du recours à un sous-trai­tant informatique.

La troi­sième partie s’arrête pour sa part sur les limi­ta­tions du secret médi­cal, dont le consen­te­ment repré­sente une pièce maîtresse du système. Ces limi­ta­tions sont complexes, nombreuses et mettent en jeu une plura­lité d’intérêts, néces­si­tant une appré­cia­tion globale de la situa­tion. En faveur du secret, l’auteur relève l’intérêt du patient à sa santé et à la protec­tion de sa sphère intime, mais égale­ment un inté­rêt public à la santé publique ainsi qu’un inté­rêt éven­tuel de tiers à la protec­tion de leur sphère privée. À l’inverse, l’auteur oppose au secret une liste non-exhaus­tive d’intérêts rele­vant notam­ment de la santé publique, de la sécu­rité publique, d’intérêts écono­miques, d’intérêts de proches ou d’héritiers voire encore décou­lant direc­te­ment du patient lui-même.

La quatrième et dernière partie fait la place à des conclu­sions inter­mé­diaires et à des hypo­thèses quant au futur du secret médi­cal, dont il faut souli­gner que le concept est malléable et évolue d’époque en époque. Quatre constats prin­ci­paux sont tirés :

  1. le secret médi­cal tel que conçu en droit suisse connaît des dispa­ri­tés. Le soignant peut non seule­ment être soumis à des obli­ga­tions de confi­den­tia­lité distinctes selon la profes­sion exer­cée, mais le droit suisse conduit égale­ment à appli­quer des régimes juri­diques diffé­rents si une même profes­sion est exer­cée dans des contextes diffé­rents (ex. : privé ou public) ;
  2. la protec­tion légale du secret médi­cal en droit suisse tend à s’amenuiser. Cela s’explique en raison du nombre crois­sant de déro­ga­tions légales qui, d’une certaine manière, reflète l’évolution de la société ;
  3. la règle­men­ta­tion enca­drant le secret médi­cal se complexi­fie. Cette complexité s’explique non seule­ment par le nombre impor­tant de normes suscep­tibles de s’appliquer, mais aussi par la déli­cate ligne de démar­ca­tion entre droit privé et droit public dans le domaine du droit sani­taire et dans celui du droit de la protec­tion des données ;
  4. la protec­tion légale du secret médi­cal en droit suisse repo­se­rait sur un système désuet. La cause de cette désué­tude est l’évolution de la pratique des soins qui force à consta­ter que le secret médi­cal ne peut plus repo­ser unique­ment sur les épaules des soignants visés à titre indi­vi­duel. La pratique des soins a évolué, les établis­se­ments médi­caux se sont déve­lop­pés tout comme les soins en réseau. En sus, le domaine médi­cal fait de plus en plus appel à des solu­tions infor­ma­tiques et, a fortiori, à des sous-trai­tants, ce qui implique de facto un système construit sur les commu­ni­ca­tions de données.

Face à ces quatre constats, l’auteur discute en guise de conclu­sion les pers­pec­tives éven­tuelles qui attendent le secret médi­cal, étant entendu que le choix de suivre l’une ou l’autre de ces hypo­thèses ne relève pas du droit seul, mais doit faire l’objet d’un choix de société. La première de ces hypo­thèses, qui est aussi la plus probable selon l’auteur, est le statu quo, le secret médi­cal ne faisant actuel­le­ment pas l’objet d’un projet de révi­sion en droit suisse. La deuxième hypo­thèse concerne pour sa part l’adaptation de la légis­la­tion actuelle par le légis­la­teur et l’auteur dresse plusieurs pistes d’adaptations. Partant du même postu­lat que la précé­dente hypo­thèse, le troi­sième scéna­rio envi­sage une adap­ta­tion de la légis­la­tion par l’adoption d’une nouvelle loi fédé­rale spéci­fique rela­tive aux droits des patients. Finalement, la quatrième hypo­thèse consiste en un renfor­ce­ment de la protec­tion des infor­ma­tions les plus sensibles. Face à un système opaque, l’auteur milite toute­fois en faveur de la préser­va­tion d’un réel espace de confi­den­tia­lité pour le domaine des soins.

Cette thèse de docto­rat apporte un éclai­rage bien­venu du secret médi­cal et du domaine de la santé, dont les spéci­fi­ci­tés sont nombreuses et requièrent des connais­sances spéci­fiques. La pandé­mie de COVID-19 est révé­la­trice du retard pris par le domaine de la santé, notam­ment dans le domaine du numé­rique : en appli­quant les mêmes tactiques que l’OFSP, il est possible affir­mer que cette thèse de docto­rat pèse 1,056 kgs et repré­sente 5 ans de – dur – labeur. L’auteur n’a pour sa part pas pris le même pli. Bien qu’une version impri­mée existe (et dont la couleur verte ne peut qu’attirer nos yeux), une version numé­rique est égale­ment dispo­nible en open access. Un modèle à suivre, assurément.



Proposition de citation : Livio di Tria, Recension : Frédéric Erard, Le secret médical, 31 mai 2021 in www.swissprivacy.law/77


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