Italie : médecin amendé pour un questionnaire contenant des informations liées au VIH
Un patient a dénoncé un dentiste italien qui lui avait fait remplir un questionnaire en vue d’accéder aux services dentaires offerts par son cabinet. Le questionnaire, distribué lors de l’admission du patient, demandait, dans le cadre de l’anamnèse générale, d’indiquer si le patient avait ou suspectait d’avoir des maladies infectieuses du type de la tuberculose, de l’hépatite A, B, ou C, ou du VIH. En remplissant le formulaire, le patient a indiqué qu’il était séropositif. Le médecin l’a alors informé qu’il ne pouvait pas fournir la prestation requise, car le diagnostic de séropositivité ne lui permettait pas de prévenir une éventuelle infection du personnel et des autres patients. Le patient s’est plaint d’un traitement de données personnelles contraire aux principes de bases énoncés par l’art. 5 RGPD.
L’art. 9 par. 1 RGPD interdit par principe le traitement de certaines catégories de données, dont font partie les données de santé. Ces données peuvent néanmoins être traitées en présence d’un des motifs énoncés à l’art. 9 par. 2 RGPD. Parmi ceux-ci figure notamment la nécessité d’un traitement de données aux fins d’un diagnostic médical ou de la prise en charge sanitaire et sociale (lit. h).
Dans le cadre de son examen, le Garante per la Protezione dei Data Personali (Garante) a constaté la nécessité de distinguer deux phases : la phase d’acceptation du traitement et la phase plus strictement diagnostique et thérapeutique, au cours de laquelle des informations médicales sont collectées afin de connaître les antécédents médicaux du patient et d’identifier le traitement le plus approprié. Dans son argumentation, le dentiste estimait que les données du questionnaire relatives au VIH étaient collectées dans le contexte de la seconde phase, soit la phase diagnostique et thérapeutique.
Pour le Garante, les deux phases ne sont pas forcément faciles à distinguer. Il reconnaît d’ailleurs que des informations liées à une éventuelle infection au VIH peuvent être recueillies au moment de l’instauration de la relation médicale si elles sont jugées nécessaires pour déterminer le type ou le plan de traitement médical, étant entendu que le patient a toujours la possibilité de renoncer à divulguer certaines informations concernant sa santé (en assumant les conséquences potentielles de ce renoncement). Au demeurant, le Garante reconnaît qu’il ne lui appartient pas de déterminer quelles informations doivent être recueillies, ces dernières relevant d’une appréciation relative aux sciences médicales et non juridique.
Toutefois, aux yeux du Garante, si l’on suit la position du dentiste, en admettant que les données relatives au VIH sont traitées dans le contexte du traitement médical, le motif justificatif du traitement reposerait sur la poursuite d’un but de diagnostic médical ou d’une prise en charge sanitaire ou sociale (art. 9 par. 2 lit. h RGPD). Or, en l’espèce, l’activité de traitement n’avait pas été initiée puisque le dentiste a informé le patient qu’il n’était pas en mesure de fournir les services médicaux demandés. En l’absence de prise en charge, le motif justificatif de l’ar. 9 par. 2 lit. h RGPD ne saurait donc être valablement invoqué.
Pour le Garante, la collecte n’avait donc pas pour but d’évaluer le meilleur traitement médical pour le patient en lui offrant le service demandé, mais visait bien plutôt à refouler le patient. Il rappelle de surcroît que dans les situations liées au VIH, les opérateurs de santé sont de toute manière obligés par le droit italien d’adopter les mesures nécessaires pour se prémunir contre les risques liés au VIH puisqu’ils peuvent être amenés à traiter des patients infectés par le VIH sans que ces derniers en aient conscience ou qui auraient renoncé à en informer les soignants.
Par conséquent, le Garante reconnaît que le dentiste a traité des données personnelles relatives à la santé de manière contraire aux principes généraux énoncés par l’art. 5 RGPD et le condamne à une amende de EUR 20’000.-.
À première vue, cette décision ne manque pas de susciter quelques interrogations puisque le RGPD semble être utilisé à des fins qui semblent a priori étrangères à la protection des données, en l’occurrence pour servir la cause de l’accès aux soins par des personnes souffrant de certains types de maladies. À bien y réfléchir, une telle application du RGPD a cependant du sens puisqu’un traitement de données personnelles a pour objectif de prévenir les atteintes aux droits et libertés des personnes physiques, parmi lesquelles figurent précisément les cas de discrimination (considérant 75 RPGD). Ainsi, lorsqu’une collecte de données est utilisée comme moyen de discrimination, le droit de la protection des données est pleinement légitimé à jouer son rôle de prévention et de répression à l’encontre des auteurs de la discrimination.
La portée de cette décision doit cependant être limitée. Elle a pour objet la restriction de l’accès à un service sur la base de la collecte des données qui, en l’occurrence, ne reposait sur aucun motif justificatif valable. Une fois la prise en charge médicale initiée, le responsable du traitement peut valablement collecter et traiter des données personnelles dans la mesure nécessaire à la prise en charge (art. 9 par. 2 let. h RGPD).
Enfin, à la lumière de cette décision, on peut se demander si le dentiste (ou tout autre prestataire de soins) doit retirer la question litigieuse du formulaire ou si cette dernière peut continuer à y figurer. Le Garante reconnaît en effet que des informations médicales peuvent être collectées au moment de l’instauration de la relation médicale, à des fins de planification par exemple. En pratique, il est par ailleurs courant que la collecte d’informations liées à l’instauration de la relation médicale (informations administratives) se confonde avec celle qui vise à déterminer l’état de santé du patient (ex.: antécédents). Afin d’éviter une augmentation infondée de la charge administrative, il faut certainement admettre que le prestataire de soins peut licitement collecter des informations de nature aussi bien administrative que médicale au début d’une nouvelle relation, sans distinguer formellement la phase d’acceptation de la relation médicale et la phase diagnostique ou thérapeutique. Cependant, le prestataire qui utiliserait les données relatives à la santé à des fins discriminatoire s’exposerait alors possiblement à une double sanction, à savoir une sanction pour l’utilisation abusive des données et une sanction liée à la discrimination commise (pour autant qu’elle soit punissable à la lumière du droit applicable).
Proposition de citation : Frédéric Erard, Italie : médecin amendé pour un questionnaire contenant des informations liées au VIH, 4 août 2021 in www.swissprivacy.law/83
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