La Suisse se dote (enfin) d’une nouvelle Loi fédérale sur la protection des données – Tour d’horizon sur ce qu’elle réserve
La saga juridico-politique a pris fin le 25 septembre 2020, date à laquelle la nouvelle Loi fédérale sur la protection des données (LPD) a été adoptée lors du vote final par le Conseil des États (à l’unanimité par 44 voix) et par le Conseil national (141 voix pour, 54 voix contre et 1 abstention). Seul le bloc de l’UDC du Conseil national rejette, avec notamment une voix dissidente de leur parlementaire Franz Grüter (Lucerne), le texte soumis pour le vote final. Au sein de la pratique, la nouvelle LPD est déjà soumise à quelques critiques, diverses personnes estimant que le compromis politique n’assure pas la sécurité juridique et n’amène pas assez de clarté, notamment au vu des notions juridiques indéterminées intégrées à la nouvelle LPD à l’instar du profilage « à risque élevé ». Peut-être aussi que nous en attendions plus, notamment en ce qui concerne les pouvoirs du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT).
Dans tous les cas, la nouvelle LPD ayant été adoptée, celle-ci devrait vraisemblablement entrer en vigueur au début de l’année 2022, voire au milieu de cette année-là, sous réserve bien entendu d’un référendum. La prochaine étape consistera, pour le Conseil fédéral, par le biais de l’Office fédéral de la justice, à élaborer l’ordonnance fédérale accompagnant la nouvelle LPD. Au vu de sa grande portée, cette ordonnance devra être soumise à une procédure de consultation (art. 3 al. 1 let. d de la Loi fédérale du 18 mars 2005 sur la procédure de consultation ; RS 172.061). L’ordonnance fédérale est, pour sa part, attendue pour le premier trimestre 2021.
S’agissant des traitements effectués par des personnes privées, l’ordonnance apportera des précisions bienvenues notamment quant aux exigences minimales en matière de sécurité des données (art. 8 al. 3 nLPD), aux exceptions relatives à la tenue d’un registre des activités de traitement (art. 12 al. 5 nLPD), aux procédures auxquelles seront soumises les responsables du traitement pour la certification et l’introduction d’un label de qualité (art. 13 al. 2 nLPD), aux exceptions relatives à la gratuité du droit d’accès (art. 25 al. 6 nLPD). En outre, le PFPDT ne sera plus compétent pour constater si un État dispose d’une législation assurant un niveau de protection adéquat dans le cadre de la communication transfrontière de données personnelles, la compétence ayant été déléguée au Conseil fédéral (art. 16 al. 1 nLPD).
Si la nouvelle LPD n’entre en vigueur que courant 2022, alors pourquoi rédiger un article sur ses possibles implications ? Tout simplement car lors des débats législatifs, nos parlementaires ont supprimé les dispositions transitoires qui prévoyaient un délai de deux ans pour se mettre en conformité avec la nouvelle LPD, et ce, dès son entrée en vigueur. Le législateur a tout de même prévu un compromis en prévoyant un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle LPD (art. 59 nLPD) en ce qui concerne l’obligation d’effectuer une étude d’impact relative à la protection des données (art. 16 nLPD) et des mesures à prendre pour assurer la protection des données dès la conception et par défaut, ainsi que pour l’obligation de documenter leurs traitements de données personnelles (art. 19 let. a nLPD).
Mais alors, concrètement, à quoi les responsables du traitement doivent-ils veiller ? Afin d’aider chacun, nous avons préparé un tableau comparatif entre la nouvelle LPD, le projet du Conseil fédéral et l’actuelle LPD en vigueur. Nous nous bornerons à passer en revue les modifications les plus importantes. Nous pouvons déjà affirmer que les principes de base restent inchangés, le secteur privé ne devant pas modifier la manière dont il traite les données personnelles. En outre le concept suisse selon lequel un traitement de données personnelles est en principe autorisé et qu’un motif justificatif n’est nécessaire que dans certaines situations reste inchangé (art. 30 et 31 nLPD). À titre de comparaison, le système européen prévoit que le traitement de données personnelles est illicite per se sauf si l’une des conditions de l’art. 6 du Règlement général européen sur la protection des données (RGPD) est respectée. Il reste à souligner que les données des personnes morales ne seront plus protégées par la LPD, celles-ci n’étant plus considérées comme étant des données personnelles. Elles demeurent toutefois protégées par les dispositions générales des articles 28 ss du Code civil.
Rien ne change non plus s’agissant du consentement, sous réserve qu’il doit être exprès lors d’un traitement de données sensibles, d’un profilage à risque élevé effectué par une personne privée ou d’un profilage effectué par un organe fédéral (art. 6 al. 7 nLPD). Les modalités du recueil du consentement diffèrent sensiblement du droit européen (considérant 33 et art. 7 RGPD). Par exemple, il n’est pas nécessaire pour le responsable du traitement d’informer sur la possibilité de retrait et le consentement peut porter sur l’ensemble des finalités envisagées (art. 6 al. 6 nLPD a fortiori).
La nouvelle LPD prévoit cependant de nouvelles obligations à l’égard des responsables du traitement telles que la tenue d’un registre des activités de traitement (art. 12 nLPD), sous réserve des exceptions qui devront être précisées par le Conseil fédéral. Les responsables du traitement seront également tenus d’informer de manière adéquate de la collecte des données personnelles, en leur fournissant certaines informations pour qu’elles puissent faire valoir leurs droits (art. 19 nLPD). Le système de reconnaissabilité actuellement prévu au sein de la LPD en vigueur est donc à cet égard modifié. Les responsables du traitement devront donc se munir d’une politique de protection de la vie privée.
Les responsables du traitement devront également, lorsque le traitement envisagé peut présenter un risque élevé, réaliser une analyse d’impact relative à la protection des données (art. 22 nLPD, voir également sur ce sujet Livio di Tria, L’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD) en droit européen et suisse, in : sic ! 03/2020). En outre, les responsables du traitement devront également annoncer les violations de la sécurité des données (art. 24 nLPD).
Le droit d’accès (art. 25 ss nLPD) reste quant à lui sensiblement le même, sous réserve de quelques modifications d’ordre rédactionnel, avec la notion de « données personnelles en tant que telles » qui reste à déterminer, mais dont les débats parlementaires montrent qu’il s’agit d’une restriction pour exclure que soit transmise toute la documentation (BO 2020 N 150) qui peut contenir les données personnelles, ce que le législateur juge disproportionné (sur ce sujet, voir prochainement la parution de Livio di Tria/Kastriot Lubishtani, Étude empirique du droit d’accès à ses données personnelles, in : Sylvain Métille, Le droit d’accès à ses données personnelles et aux documents officiels).
Les responsables du traitement pourront également nommer un conseiller à la protection des données, interne ou externe (art. 10 nLPD). Il ne s’agit cependant pas d’une obligation. Nous pouvons également souligner que le PFPDT voit son pouvoir renforcé, en ce sens qu’il pourra, plutôt que d’émettre de simples recommandations, émettre de réelles injonctions à l’encontre des responsables du traitement (art. 51 nLPD). En outre, les sanctions pénales ont été revues à la hausse, même si elles resteront probablement rares en pratique (art. 60 ss nLPD).
Voici ce que nous pouvons déjà dire, de manière condensée, sur cette nouvelle LPD. En conclusion, nous ne pouvons qu’enjoindre les responsables du traitement d’examiner la manière dont ils déploient leur traitement de données personnelles et, de se mettre en conformité d’ici l’entrée en vigueur de la loi. À cet égard, notre tableau comparatif pourrait se révéler être un outil utile à l’égard du praticien pour une meilleure vue d’ensemble.
Proposition de citation : Livio di Tria, La Suisse se dote (enfin) d’une nouvelle Loi fédérale sur la protection des données – Tour d’horizon sur ce qu’elle réserve, 30 septembre 2020 in www.swissprivacy.law/12
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