Droit d’accès et justification d’identité
Décision de l’autorité de protection des données d’Espagne du 25 février 2022 (PS.0003.2021) et décision de l’autorité de protection des données de Belgique du 17 mars 2022 (40.2022).
Les autorités de protection des données d’Espagne (APD-ES) et de Belgique (APD-BE) ont chacune dû se déterminer sur la question de la sollicitation – systématique – par le responsable du traitement de la copie de la carte d’identité des personnes exerçant leur droit d’accès, et ce à des fins d’identification. Ces deux décisions sont pour nous une occasion de revenir sur cette obligation de justifier de son identité, dans une perspective de droit européen et suisse.
La décision espagnole concerne la société européenne de recrutement « Page Group », qui gère un site web sur lequel toute personne peut créer un profil d’utilisateur contenant toutes les données personnelles nécessaires à la recherche d’un emploi (données de contact, historique professionnel, compétences professionnelles, etc.).
La décision belge concerne pour sa part la société belge « bpost », qui s’occupe en Belgique du traitement du courrier postal et de la gestion du réseau de bureaux de poste.
L’obligation de justifier de son identité
L’art. 15 RGPD prévoit que toute personne a le droit d’obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données personnelles la concernant sont ou ne sont pas traitées, et lorsqu’elles le sont, l’accès auxdites données ainsi diverses informations telles que les finalités du traitement ou les catégories de données traitées. Comme en droit suisse, le droit d’accès au sens du RGPD est constitué de trois composantes : (1) la confirmation qu’un traitement de données existe ou non, (2) l’accès aux données personnelles qui sont traitées, ainsi que (3) l’accès à certaines informations spécifiques.
Si le RGPD n’impose aucune méthode au responsable du traitement pour déterminer l’identité d’une personne lorsqu’elle exerce l’un de ses droits, l’art. 12 RGPD règle néanmoins certaines modalités de l’exercice des droits. En particulier s’agissant de l’identification d’une personne, l’art. 12 par. 6 RGPD prévoit que le responsable du traitement est en droit de demander des informations supplémentaires à la personne exerçant ses droits pour qu’elle confirme son identité lorsque le responsable du traitement a des doutes raisonnables quant à son identité.
Cette possibilité pour le responsable du traitement de demander des informations additionnelles permettant l’identification de la personne concernée est fondée sur le principe de sécurité (art. 5 par. 1 let. f et art. 32 RGPD). Chaque responsable du traitement doit s’assurer, à chaque étape du traitement, de garantir une sécurité appropriée des données personnelles, notamment la protection contre tout traitement non autorisé ou illicite. Remettre à la mauvaise personne les données personnelles d’une autre reviendrait pour le responsable du traitement à violer notamment le principe de sécurité.
Il convient toutefois de rappeler que, sous l’angle du principe de proportionnalité, le responsable du traitement ne peut pas traiter plus de données personnelles que ce qui est nécessaire, même pour permettre l’identification de la personne concernée (art. 5 par. 1 let. c RGPD). L’utilisation des informations requises doit en outre être limitée dans le temps conformément à la limitation de la conservation (art. 5 par. 1 let. e RGPD). Dans le cas d’une vérification de l’identité, les données doivent être conservées le temps de traiter la requête.
Dans le cas où le responsable du traitement demande la fourniture d’informations complémentaires nécessaires à l’identification de la personne exerçant l’un de ses droits, le responsable du traitement doit évaluer quelles informations lui permettront effectivement de confirmer l’identité de la personne. Si la copie d’une carte d’identité est à même de permettre l’identification d’une personne, d’autres mesures doivent être avant tout privilégiées. Par exemple, si le responsable du traitement dispose du numéro de téléphone de la personne concernée, celui-ci pourrait privilégier l’envoi d’un SMS d’authentification.
Dans le cas où seule la carte d’identité est à même de permettre l’identification de la personne concernée, le responsable du traitement doit se contenter de traiter les données nécessaires à l’identification. Le recto de la carte d’identité, duquel la personne concernée peut caviarder toutes les données autres que son nom, son prénom et sa date de naissance, est suffisant à atteindre ce but.
Dans le cadre de la décision belge, l’APD-BE reproche à la société bpost de demander automatiquement une copie de la carte d’identité. L’autorité n’a toutefois pas prononcé d’amende administrative.
Dans l’affaire espagnole, une amende administrative de 300’000 euros a été prononcée contre la société Page Group pour la violation de la limitation de la conservation (art. 5 par. 1 let. e RGPD) et pour la violation des modalités de l’exercice des droits de la personne (art. 12 RGPD). Ce montant, particulièrement sévère, a été prononcé par l’APD-ES car la société, en plus d’une copie de la carte d’identité, demandait également à la personne des copies de sa carte d’assurance et de ses factures d’énergie ou d’eau pour vérifier l’exactitude de l’adresse de la personne concernée.
Quelles limites en droit suisse ?
En droit suisse, l’obligation de justifier de son identité n’est prévue ni par la LPD ni par la nLPD. Cette obligation est ancrée au sein de l’OLPD. L’art. 1 al. 1 OLPD prescrit que toute personne qui demande au responsable du traitement si des données la concernant sont traitées doit justifier de son identité. L’essence de cette disposition a été reprise au sein du projet d’ordonnance relative à la loi sur la protection des données (P‑OLPD). La disposition a toutefois été complétée, l’art. 20 al. 4 P‑OLPD disposant que :
Le responsable du traitement prend les mesures adéquates pour assurer l’identification de la personne concernée et pour protéger les données de la personne concernée de tout accès de tiers non autorisé lors de la communication des renseignements. La personne concernée est tenue de collaborer à son identification.
Il est vraisemblable que la teneur de l’art. 20 al. 4 P‑OLPD soit reprise au sein de la nouvelle OLPD, actuellement en cours d’élaboration. Malgré une pratique établie, il ne faut déduire ni de l’art. 1 al. 1 OLPD ni de l’art. 20 al. 4 P‑OLPD que le responsable du traitement est en droit de demander automatiquement une copie de la carte d’identité de la personne exerçant l’un de ses droits, et en particulier son droit d’accéder aux données personnelles. On ne peut pas non plus en déduire que la personne concernée doit automatiquement annexer la copie de sa carte d’identité à sa demande. Nous soulignons qu’il est d’ailleurs regrettable que la lettre-type de demande de renseignements simple établie par le PFPDT indique le contraire.
Selon nous, les mêmes principes que ceux susmentionnés doivent prévaloir en droit suisse. Le responsable du traitement ne peut exiger la production de la carte d’identité de la personne exerçant l’un de ses droits que dans le cas d’un doute raisonnable, ou lorsque la situation l’exige (p. ex. pour la transmission de données sensibles). En cas de doute, le responsable du traitement doit dans un premier temps évaluer si d’autres informations permettent l’identification de la personne et privilégier la mise en place de mesures apte à permettre l’identification de la personne (p. ex. un SMS d’authentification, une procédure électronique par l’accès à son compte utilisateur, etc.).
Proposition de citation : Livio di Tria, Droit d’accès et justification d’identité, 18 avril 2022 in www.swissprivacy.law/136
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