Applications de rencontre : la vie intime l’est-elle réellement ?
Le PFPDT est saisi en décembre 2020 car l’application de rencontre Once ne permettrait pas aux utilisateurs de supprimer leurs comptes via l’application et que la responsable du traitement ne réagirait pas aux demandes de suppression. Le PFPDT ouvre une enquête pour examiner les traitements de données de l’entreprise Once Dating AG relatifs à ces questions. Il analyse également des points relatifs à la sécurité des données, à la sous-traitance, ou aux différentes informations sont transmises aux utilisateurs de l’application.
Il n’est pas contestable que l’application traite des profils de personnalité et des données sensibles, plus précisément des données relatives à la sphère intime ainsi qu’aux opinions et activités syndicales, philosophiques ou politiques (art. 3 let. c ch. 1 et 2 LPD), ce qui implique des obligations renforcées pour la responsable du traitement.
Dans le cadre de son enquête, le PFPDT examine le principe de transparence et son pendant, le devoir d’information (art. 4 al. 4 ; art. 14 LPD), qui importent tant pour l’enregistrement, la sous-traitance que la suppression des données. Les utilisateurs de l’application doivent en effet notamment savoir quelles données sont traitées, pour quelles finalités et sous quelles conditions. Au sujet des données sensibles et des profils de personnalité, les utilisateurs devraient également savoir si elles sont communiquées à des tiers.
L’entreprise Once Dating AG dispose de conditions générales, d’une directive sur la protection des données et d’une FAQ. Les conditions générales prévalent sur la directive et cette dernière prime sur la FAQ. Certaines incohérences et contradictions existent entre la directive de protection des données et des conditions générales, ce qui rend la prise de connaissance des informations compliquée pour les utilisateurs.
Par exemple, la directive prévoit que la communication de l’adresse courriel est obligatoire si l’utilisateur souhaite recevoir la newsletter de l’application, contrairement aux conditions générales qui prévoient que, lors de l’inscription à l’application, le membre accepte de recevoir la newsletter. Par ailleurs, la LPD n’est mentionnée nulle part et la directive de protection des données ne précise pas, en matière de communication de données, les prestataires de services qui traitent des données personnelles à leurs propres fins, à l’instar de Google, Facebook et PayPal.
Concernant la possibilité de supprimer son compte, les utilisateurs peuvent à tout moment le désactiver, ce qui dépriorise leur profil et le rend invisible. Un tel procédé n’équivaut cependant pas à une suppression de compte. Bien qu’il soit possible de demander la suppression du compte par courriel, par voie postale ou par une option de canal de contact in-app (dont l’accessibilité pourrait être améliorée) et que ces processus soient traités rapidement, le PFPDT estime que les informations transmises aux utilisateurs à ce sujet ne sont pas uniformes entre les différents documents de protection des données, ni centralisées ou suffisamment claires.
Lorsque des comptes sont désactivés, l’application doit limiter le temps de conservation des données pour ne pas violer le principe de la bonne foi et le principe de proportionnalité (art. 4 al. 2 LPD). En outre, Once Dating AG doit disposer d’un processus proactif pour que les données stockées chez ses sous-traitants soient également supprimées. En agissant de façon contraire, elle contrevient notamment aux principes de proportionnalité et de bonne foi (art. 4 al. 1 et 2 LPD) dès lors que ses mandataires continuent de traiter pour leur propre compte des données dont l’utilisateur a expressément demandé la suppression ou qui ne sont plus nécessaires.
Concernant par ailleurs ses prestataires de services, la responsable du traitement Once Dating AG doit, conformément à l’art. 10a LPD, les sélectionner soigneusement, les instruire et les surveiller de façon à ce qu’ils respectent la loi. Le PFPDT n’analysant pas la relation exacte entre Once Dating AG et ses prestataires, il aboutit tout de même à la conclusion selon laquelle la responsable du traitement ne les contrôle pas de manière adéquate et ne prend pas de mesures particulières pour garantir que les données transférées par ceux-ci vers des pays tiers restent protégées adéquatement.
Au niveau de la sécurité des données, l’application met en place certaines mesures (telles que la possibilité de se connecter via Facebook ou le processus de vérification par SMS) permettant de rendre plus difficile la création de faux profils. Il s’agit de procédures de vérification habituelles en ligne. De plus, des tests de vulnérabilités sont effectués en interne (mesure jugée comme nécessaire par le PFPDT). En revanche, le PFPDT observe qu’aucun audit ou test d’intrusion n’a été réalisé par des auditeurs externes, ce qui revient pour lui à une violation du principe de sécurité (art. 7 LPD).
Finalement, le PFPDT estime que le consentement des usagers n’est pas valable et les violations de la LPD occasionnées ne sont pas justifiées. En effet, l’information des utilisateurs est lacunaire, notamment au sujet des communications à l’étranger qui ne représentent pas des cas ponctuels. En outre, la suppression équivaut justement à une révocation du consentement. Once Dating AG ne peut pas non plus, sans clarifications, justifier les atteintes causées à la personnalité par un intérêt privé prépondérant.
Pour remédier à ces différentes violations, le PFPDT recommande premièrement, en matière de transparence, une information des utilisateurs claire et dans un langage compréhensible quant aux traitements de données effectués, aux finalités et aux destinataires auxquels elles sont transmises. Les différents instruments d’information doivent être cohérents et le fait que les données sont traitées sur la base du consentement ou d’un intérêt privé prépondérant doit ressortir clairement.
Deuxièmement et en lien avec les utilisateurs inactifs, l’application doit informer de façon claire, centralisée et uniforme au sujet de toutes les possibilités de suppression possibles, adapter les systèmes et s’abstenir de préciser qu’elle peut refuser les demandes d’utilisateurs « manifestement infondées » dans ce contexte, afin d’éviter de dissuader ces derniers d’exercer leurs droits. En outre, elle doit désactiver automatiquement les comptes après 30 jours d’inactivité et proposer de supprimer les données personnelles, qui doivent dans tous les cas être supprimées après un an d’inactivité. La suppression ou l’anonymisation doit être garantie également chez les sous-traitants.
Troisièmement, et en relation avec la sous-traitance, le PFPDT rappelle à Once Dating AG de s’assurer que les prestataires de services respectent les exigences de l’art. 6 LPD pour les transferts à l’étranger et qu’ils ne traitent pas de données à leurs propres fins sans motifs justificatifs.
Quatrièmement, la sécurité des données doit être respectée par des examens réguliers des mesures en place et par des tests d’intrusion et d’audits externes.
Les applications de rencontre traitent de nombreuses données sensibles et procèdent à du profilage et, par conséquent, sont soumises à des exigences accrues. Pourtant, Once n’est pas la première à se faire recadrer par une autorité de protection des données (cf. www.swissprivacy.law/126/) et il est à espérer que les pratiques s’améliorent, pour des raisons de risques généraux relatifs à la vie intime comme pour des raisons de risques plus spécifiques, existant par exemple dans certaines régions, dépendant de critères tels que l’orientation sexuelle.
Proposition de citation : Pauline Meyer, Applications de rencontre : la vie intime l’est-elle réellement ?, 24 juillet 2023 in www.swissprivacy.law/242
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